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Le nabab, tome II cuisinière du second, mademoiselle Séraphine, dont j'accepte en retour quelques petites provisions que je conserve dans le coffre-fort, revenu à l'emploi de garde-manger.

Publié le 11/04/2014

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Le nabab, tome II cuisinière du second, mademoiselle Séraphine, dont j'accepte en retour quelques petites provisions que je conserve dans le coffre-fort, revenu à l'emploi de garde-manger. La femme du gouverneur est aussi très bonne pour moi et bourre mes poches à chaque fois que je vais la voir dans son grand appartement de la Chaussée d'Antin. De ce côté, rien n'est changé. Même luxe, même confort; en plus un petit bébé de trois mois, le septième, et une superbe nourrice, dont le bonnet cauchois fait merveille aux promenades du bois de Boulogne. Il faut croire qu'une fois lancés sur les rails de la fortune, les gens ont besoin d'un certain temps pour ralentir leur vitesse ou s'arrêter tout à fait. D'ailleurs, ce bandit de Paganetti, en prévision d'un accident, avait tout mis au nom de sa femme. C'est peut-être pourquoi cette charabias d'Italienne lui a voué une admiration que rien ne peut entamer. Il est en fuite, il se cache; mais elle reste convaincue que son mari est un petit saint Jean d'innocence, victime de sa bonté, de sa crédulité. Il faut l'entendre: «Vous le connaissez, vous, moussiou Passajon. Vous savez s'il est escroupouleux... Ma, aussi vrai qu'il y a oun Dieu, si mon mari avait commis des malhonnêtetés comme on l'accuse, moi-même, vous m'entendez, moi-même, j'y aurais mis oune scopette dans les mains et j'y aurais dit: «Té! Tcheccofais-toi peter la tête!...» Et à la façon dont elle ouvre son petit nez retroussé, ses yeux noirs et ronds comme deux boules de jais, on sent bien que cette petite Corse de l'Ile-Rousse l'aurait fait ainsi qu'elle le dit. Faut-il qu'il soit adroit tout de même, ce damné gouverneur, pour duper jusqu'à sa femme, jouer la comédie chez lui, là où les plus habiles se laissent voir tels qu'ils sont! En attendant, tout ce monde-là fricote de bons dîners, Bois-l'Héry à Mazas se fait porter à manger du café Anglais, et l'oncle Passajon en est réduit à vivre de ratas ramassés dans les cuisines. Enfin ne nous plaignons pas trop. Il y en a encore de plus malheureux que nous, à preuve M. Francis que j'ai vu entrer ce matin à la Territoriale, maigre, pâli, du linge déshonorant, des manchettes fripées qu'il étire encore par habitude. J'étais justement en train de faire griller un bon morceau de lard devant la cheminée de la salle du conseil, mon couvert mis sur un coin de table en marqueterie, avec un journal étendu pour ne pas salir. J'invitai le valet de chambre de Monpavon à partager ma frugale collation; mais, pour avoir servi un marquis, celui-là se figure faire partie de la noblesse, et il m'a remercié d'un air digne qui donnait à rire en voyant ses joues creusées. Il commença par me dire qu'il était toujours sans nouvelles de son maître, qu'on l'avait renvoyé du cercle de la rue Royale, tous les papiers sous scellés et des tas de créanciers en pluie de sauterelles sur la mince défroque du marquis. «De sorte que je me trouve un peu à court,» ajoutait M. Francis. C'est-à-dire qu'il n'avait plus un radis en poche, qu'il couchait depuis deux jours sur les bancs du boulevard, réveillé à chaque instant par les sergents de ville, obligé de se lever, de faire l'homme en ribote, pour regagner un autre abri. Quant à ce qui est de manger, je crois bien que cela ne lui était pas arrivé de longtemps, car il regardait la nourriture avec des yeux affamés qui faisaient peine, et lorsque j'eus mis de force devant lui une grillade de lard et un verre de vin, il tomba dessus comme un loup. Tout de suite le sang lui vint aux pommettes, et tout en dévorant il se mit à bavarder, à bavarder... --Vous savez, père Passajon, me dit-il entre deux bouchées, je sais où il est... je l'ai vu... Il clignait de l'oeil malignement. Moi, je le regardais, très étonné. --Qui donc ça avez-vous vu, monsieur Francis? --Le marquis, mon maître... là-bas, dans la petite maison blanche, derrière Notre-Dame. (Il ne disait pas la Morgue, parce que c'est un trop vilain mot). J'étais bien sûr que je le trouverais là. J'y suis allé tout droit, le lendemain. Il y était. Oh! mais bien caché, je vous réponds. Il fallait son valet de chambre pour le reconnaître. Les cheveux tout gris, les dents absentes, et ses vraies rides, ses soixante-cinq ans qu'il arrangeait si bien. Sur cette dalle de marbre, avec le robinet qui dégoulinait dessus, j'ai cru le voir devant sa table de toilette. --Et vous n'avez rien dit? XXIII. MÉMOIRES D'UN GARÇON DE BUREAU.--DERNIERS FEUILLETS 95 Le nabab, tome II --Non. Je savais ses intentions à ce sujet, depuis longtemps... Je l'ai laissé s'en aller discrètement, à l'anglaise, comme il voulait. C'est égal! il aurait bien dû me donner un morceau de pain avant de partir, moi qui l'ai servi pendant vingt ans. Et tout à coup, frappant de son poing sur la table, avec rage: --Quand je pense que, si j'avais voulu, j'aurais pu, au lieu d'aller chez Monpavon, entrer chez Mora, avoir la place de Louis... Est-il veinard, celui-là! En a-t-il rousti des rouleaux de mille à la mort de son duc!... Et la défroque, des chemises par centaines, une robe de chambre en renard bleu qui valait plus de vingt mille francs... C'est comme ce Noël, c'est lui qui a dû faire un sac! En se pressant, parbleu, car il savait que ça finirait tôt. Maintenant, plus moyen de gratter, place Vendôme. Un vieux gendarme de mère qui mène tout. On vend Saint-Romans, on vend les tableaux. La moitié de l'hôtel en location. C'est la débâcle.» J'avoue que je ne pus m'empêcher de montrer ma satisfaction; car enfin ce misérable Jansoulet est cause de tous nos malheurs. Un homme qui se vantait d'être si riche, qui le disait partout. Le public s'amorçait là-dessus, comme le poisson qui voit luire des écailles dans une nasse... Il a perdu des millions, je veux bien; mais pourquoi laissait-il croire qu'il en avait d'autres?... Ils ont arrêté Bois-l'Héry; c'est lui qu'il fallait arrêter plutôt... Ah! si nous avions eu un autre expert, je suis sûr que ce serait déjà fait... Du reste, comme je le disais à Francis, il n'y a qu'à voir ce parvenu de Jansoulet pour se rendre compte de ce qu'il vaut. Quelle tête de bandit orgueilleux! --Et si commun, ajouta l'ancien valet de chambre. --Pas la moindre moralité. --Un manque absolu de tenue... Enfin, le voilà à la mer, et puis Jenkins aussi, et bien d'autres avec eux. --Comment! le docteur aussi?... Ah! tant pis... Un homme si poli, si aimable... --Oui, encore un qu'on déménage... Chevaux, voitures, mobilier... C'est plein d'affiches dans la cour de l'hôtel, qui sonne le vide comme si la mort y avait passé... Le château de Nanterre est mis en vente. Il restait une demi-douzaine de «petits Bethléem» qu'on a emballés dans un fiacre... C'est la débâcle, je vous dis, père Passajon, une débâcle dont nous ne verrons peut-être pas la fin, vieux tous deux comme nous sommes, mais qui sera complète... Tout est pourri; il faut que tout crève!» Il était sinistre à voir ce vieux larbin de l'Empire, maigre, échiné, couvert de boue, et criant comme Jérémie: «C'est la débâcle!» avec une bouche sans dents, toute noire et large ouverte. J'avais peur et honte devant lui, grand désir de le voir dehors; et dans moi-même je pensais: «O M. Chalmette... ô ma petite vigne de Montbars...» ***** Même date.--Grande nouvelle. Madame Paganetti est venue cette après-midi m'apporter mystérieusement une lettre du gouverneur. Il est à Londres, en train d'installer une magnifique affaire. Bureaux splendides dans le plus beau quartier de la ville; commandite superbe. Il m'offre de venir le rejoindre, «heureux, dit-il, de réparer ainsi le dommage qui m'a été fait.» J'aurai le double de mes appointements à la Territoriale, logé, chauffé, cinq actions du nouveau comptoir, et remboursement intégral de mon arriéré. Une petite avance à faire seulement, pour l'argent du voyage et quelques dettes criardes dans le quartier. Vive la joie! ma fortune est assurée. J'écris au notaire de Montbars de prendre hypothèque sur ma vigne... XXIII. MÉMOIRES D'UN GARÇON DE BUREAU.--DERNIERS FEUILLETS 96

« —Non.

Je savais ses intentions à ce sujet, depuis longtemps...

Je l'ai laissé s'en aller discrètement, à l'anglaise, comme il voulait.

C'est égal! il aurait bien dû me donner un morceau de pain avant de partir, moi qui l'ai servi pendant vingt ans. Et tout à coup, frappant de son poing sur la table, avec rage: —Quand je pense que, si j'avais voulu, j'aurais pu, au lieu d'aller chez Monpavon, entrer chez Mora, avoir la place de Louis...

Est-il veinard, celui-là! En a-t-il rousti des rouleaux de mille à la mort de son duc!...

Et la défroque, des chemises par centaines, une robe de chambre en renard bleu qui valait plus de vingt mille francs...

C'est comme ce Noël, c'est lui qui a dû faire un sac! En se pressant, parbleu, car il savait que ça finirait tôt.

Maintenant, plus moyen de gratter, place Vendôme.

Un vieux gendarme de mère qui mène tout. On vend Saint-Romans, on vend les tableaux.

La moitié de l'hôtel en location.

C'est la débâcle.» J'avoue que je ne pus m'empêcher de montrer ma satisfaction; car enfin ce misérable Jansoulet est cause de tous nos malheurs.

Un homme qui se vantait d'être si riche, qui le disait partout.

Le public s'amorçait là-dessus, comme le poisson qui voit luire des écailles dans une nasse...

Il a perdu des millions, je veux bien; mais pourquoi laissait-il croire qu'il en avait d'autres?...

Ils ont arrêté Bois-l'Héry; c'est lui qu'il fallait arrêter plutôt...

Ah! si nous avions eu un autre expert, je suis sûr que ce serait déjà fait...

Du reste, comme je le disais à Francis, il n'y a qu'à voir ce parvenu de Jansoulet pour se rendre compte de ce qu'il vaut.

Quelle tête de bandit orgueilleux! —Et si commun, ajouta l'ancien valet de chambre. —Pas la moindre moralité. —Un manque absolu de tenue...

Enfin, le voilà à la mer, et puis Jenkins aussi, et bien d'autres avec eux. —Comment! le docteur aussi?...

Ah! tant pis...

Un homme si poli, si aimable... —Oui, encore un qu'on déménage...

Chevaux, voitures, mobilier...

C'est plein d'affiches dans la cour de l'hôtel, qui sonne le vide comme si la mort y avait passé...

Le château de Nanterre est mis en vente.

Il restait une demi-douzaine de «petits Bethléem» qu'on a emballés dans un fiacre...

C'est la débâcle, je vous dis, père Passajon, une débâcle dont nous ne verrons peut-être pas la fin, vieux tous deux comme nous sommes, mais qui sera complète...

Tout est pourri; il faut que tout crève!» Il était sinistre à voir ce vieux larbin de l'Empire, maigre, échiné, couvert de boue, et criant comme Jérémie: «C'est la débâcle!» avec une bouche sans dents, toute noire et large ouverte.

J'avais peur et honte devant lui, grand désir de le voir dehors; et dans moi-même je pensais: «O M.

Chalmette...

ô ma petite vigne de Montbars...» * * * * * Même date.—Grande nouvelle.

Madame Paganetti est venue cette après-midi m'apporter mystérieusement une lettre du gouverneur.

Il est à Londres, en train d'installer une magnifique affaire.

Bureaux splendides dans le plus beau quartier de la ville; commandite superbe.

Il m'offre de venir le rejoindre, «heureux, dit-il, de réparer ainsi le dommage qui m'a été fait.» J'aurai le double de mes appointements à la Territoriale, logé, chauffé, cinq actions du nouveau comptoir, et remboursement intégral de mon arriéré.

Une petite avance à faire seulement, pour l'argent du voyage et quelques dettes criardes dans le quartier.

Vive la joie! ma fortune est assurée.

J'écris au notaire de Montbars de prendre hypothèque sur ma vigne...

Le nabab, tome II XXIII.

MÉMOIRES D'UN GARÇON DE BUREAU.—DERNIERS FEUILLETS 96. »

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