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Le nabab, tome II d'avance.

Publié le 11/04/2014

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Le nabab, tome II d'avance... Pourquoi est-elle venue ici reprendre goût à la vie impossible après l'aveu qu'elle serait forcée de faire?... Des pas rapides ébranlent l'escalier, la porte s'ouvre précipitamment, c'est André. Il chante, il est content, très pressé surtout, car on l'attend pour dîner chez les Joyeuse. Vite, un peu de lumière, que l'amoureux se fasse beau. Mais, tout en frottant les allumettes, il devine quelqu'un dans l'atelier, une ombre remuante parmi les ombres immobiles. «Qui est là?» Quelque chose lui répond, comme un rire étouffé ou un sanglot. Il croit que ce sont ses petites voisines, une invention des «enfants» pour s'amuser. Il s'approche. Deux mains, deux bras le serrent, l'enlacent. «C'est moi...» Et d'une voix fiévreuse, qui se hâte pour s'assurer, elle lui raconte qu'elle part pour un voyage assez long, et, qu'avant de partir... «Un voyage... Et où donc vas-tu? --Oh! je ne sais pas... Nous allons là-bas, très loin pour des affaires qu'il a dans son pays. --Comment! tu ne seras pas là pour ma pièce? C'est dans trois jours... Et puis, tout de suite après, le mariage... Voyons, il ne peut pas t'empêcher d'assister à mon mariage.» Elle s'excuse, imagine des raisons, mais ses mains brûlantes dans celles de son fils, sa voix toute changée, font comprendre à André qu'elle ne dit pas la vérité. Il veut allumer, elle l'en empêche: «Non, non, c'est inutile. On est mieux ainsi... D'ailleurs, j'ai tant de préparatifs encore; il faut que je m'en aille.» Ils sont debout tous deux, prêts pour la séparation; mais André ne la laissera pas partir sans lui faire avouer ce qu'elle a, quel souci tragique creuse ce beau visage où les yeux,--est-ce un effet du crépuscule?--reluisent d'un éclat farouche. «Rien... non, rien; je t'assure... Seulement l'idée de ne pouvoir prendre ma part de tes bonheurs, de tes triomphes... Enfin, tu sais que je t'aime, tu ne doutes pas de ta mère, n'est-ce pas? Je ne suis jamais restée un jour sans penser à toi... Fais-en autant, garde-moi ton coeur... Et maintenant embrasse-moi que je m'en aille vite... J'ai trop tardé.» Une minute encore, elle n'aurait plus la force de ce qui lui reste à accomplir. Elle s'élance. «Eh bien, non, tu ne sortiras pas... Je sens qu'il se passe dans ta vie quelque chose d'extraordinaire que tu ne veux pas dire... Tu as un grand chagrin, je suis sûr. Cet homme t'aura fait quelque infamie... --Non, non... laisse-moi aller... laisse-moi aller.» Mais il la retient au contraire, il la retient fortement. «Voyons, qu'est-ce qu'il y a?... Dis... dis...» Puis tout bas, à l'oreille, la parole tendre, appuyée et sourde comme un baiser: XXII. DRAMES PARISIENS 91 Le nabab, tome II «Il t'a quittée, n'est-ce pas?» La malheureuse tressaille, se débat. «Ne me demande rien... je ne veux rien dire... adieu.» Et lui, la pressant contre son coeur: «Que pourrais-tu me dire que je ne sache déjà, pauvre mère?... Tu n'as donc pas compris pourquoi je suis parti, il y a six mois... --Tu sais?... --Tout... Et ce qui t'arrive aujourd'hui, voilà longtemps que je le pressens, que je le souhaite... --Oh! malheureuse, malheureuse, pourquoi suis-je venue? --Parce que c'est ta place, parce que tu me dois dix ans de ma mère... Tu vois bien qu'il faut que je te garde.» Il lui dit cela à genoux devant le divan où elle s'est laissée tomber dans un débordement de larmes et les derniers cris douloureux de son orgueil blessé. Longtemps elle pleure ainsi, son enfant à ses pieds. Et voici que les Joyeuse, inquiets de ne pas voir André descendre, montent le chercher en troupe. C'est une invasion de visages ingénus, de gaietés limpides, boucles flottantes, modestes parures, et sur tout le groupe rayonne la grosse lampe, la bonne vieille lampe au vaste abat-jour, que M. Joyeuse porte solennellement, aussi haut, aussi droit qu'il peut avec un geste de canéphore. Ils s'arrêtent interdits devant cette dame pâle et triste qui regarde, très émue, toute cette grâce souriante, surtout Élise un peu en arrière des autres et que son attitude gênée dans cette indiscrète visite désigne comme la fiancée. «Élise, embrassez notre mère et remerciez-la. Elle vient demeurer avec ses enfants.» La voilà serrée dans tous ces bras caressants, contre quatre petits coeurs féminins à qui manque depuis longtemps l'appui de la mère, la voilà introduite et si doucement sous le cercle lumineux de la lampe familiale, un peu élargi pour qu'elle puisse y prendre sa place, sécher ses yeux, réchauffer, éclairer son esprit à cette flamme robuste qui monte dans un vacillement, même dans ce petit atelier d'artiste près des toits, où soufflaient si fort tout à l'heure des tempêtes sinistres qu'il faut oublier. ***** Celui qui râle là-bas, effondré dans sa baignoire sanglante, ne l'a jamais connue, cette flamme sacrée. Égoïste et dur, il a jusqu'à la fin vécu pour la montre, gonflant son plastron tout en surface d'une enflure de vanité. Encore cette vanité était ce qu'il y avait de meilleur en lui. C'est elle qui l'a tenu crâne et debout si longtemps, elle qui lui serre les dents sur les hoquets de son agonie. Dans le jardin moisi, le jet d'eau tristement s'égoutte. Le clairon des pompiers sonne le couvre-feu... «Allez donc voir au 7, dit la maîtresse, il n'en finit plus avec son bain.» Le garçon monte et pousse un cri d'effroi, de stupeur: «Oh! madame, il est mort... mais ce n'est plus le même...» On accourt, et personne, en effet, ne veut reconnaître le beau gentilhomme qui est entré tout à l'heure, dans cette espèce de poupée macabre, la tête pendant au bord de la baignoire, un teint où le fard étalé se mêle au sang qui le délaie, tous les membres jetés dans une lassitude suprême du rôle joué jusqu'au bout, jusqu'à tuer le comédien. Deux coups de rasoir en travers du magnifique plastron inflexible, et toute sa majesté factice s'est dégonflée, s'est résolue dans cette horreur sans nom, ce tas de boue, de sang, de chairs maquillées et cadavériques où gît méconnaissable l'homme de la tenue, le marquis Louis-Marie-Agénor de Monpavon. XXII. DRAMES PARISIENS 92

« «Il t'a quittée, n'est-ce pas?» La malheureuse tressaille, se débat. «Ne me demande rien...

je ne veux rien dire...

adieu.» Et lui, la pressant contre son coeur: «Que pourrais-tu me dire que je ne sache déjà, pauvre mère?...

Tu n'as donc pas compris pourquoi je suis parti, il y a six mois... —Tu sais?... —Tout...

Et ce qui t'arrive aujourd'hui, voilà longtemps que je le pressens, que je le souhaite... —Oh! malheureuse, malheureuse, pourquoi suis-je venue? —Parce que c'est ta place, parce que tu me dois dix ans de ma mère...

Tu vois bien qu'il faut que je te garde.» Il lui dit cela à genoux devant le divan où elle s'est laissée tomber dans un débordement de larmes et les derniers cris douloureux de son orgueil blessé.

Longtemps elle pleure ainsi, son enfant à ses pieds.

Et voici que les Joyeuse, inquiets de ne pas voir André descendre, montent le chercher en troupe.

C'est une invasion de visages ingénus, de gaietés limpides, boucles flottantes, modestes parures, et sur tout le groupe rayonne la grosse lampe, la bonne vieille lampe au vaste abat-jour, que M.

Joyeuse porte solennellement, aussi haut, aussi droit qu'il peut avec un geste de canéphore.

Ils s'arrêtent interdits devant cette dame pâle et triste qui regarde, très émue, toute cette grâce souriante, surtout Élise un peu en arrière des autres et que son attitude gênée dans cette indiscrète visite désigne comme la fiancée. «Élise, embrassez notre mère et remerciez-la.

Elle vient demeurer avec ses enfants.» La voilà serrée dans tous ces bras caressants, contre quatre petits coeurs féminins à qui manque depuis longtemps l'appui de la mère, la voilà introduite et si doucement sous le cercle lumineux de la lampe familiale, un peu élargi pour qu'elle puisse y prendre sa place, sécher ses yeux, réchauffer, éclairer son esprit à cette flamme robuste qui monte dans un vacillement, même dans ce petit atelier d'artiste près des toits, où soufflaient si fort tout à l'heure des tempêtes sinistres qu'il faut oublier. * * * * * Celui qui râle là-bas, effondré dans sa baignoire sanglante, ne l'a jamais connue, cette flamme sacrée.

Égoïste et dur, il a jusqu'à la fin vécu pour la montre, gonflant son plastron tout en surface d'une enflure de vanité. Encore cette vanité était ce qu'il y avait de meilleur en lui.

C'est elle qui l'a tenu crâne et debout si longtemps, elle qui lui serre les dents sur les hoquets de son agonie.

Dans le jardin moisi, le jet d'eau tristement s'égoutte. Le clairon des pompiers sonne le couvre-feu...

«Allez donc voir au 7, dit la maîtresse, il n'en finit plus avec son bain.» Le garçon monte et pousse un cri d'effroi, de stupeur: «Oh! madame, il est mort...

mais ce n'est plus le même...» On accourt, et personne, en effet, ne veut reconnaître le beau gentilhomme qui est entré tout à l'heure, dans cette espèce de poupée macabre, la tête pendant au bord de la baignoire, un teint où le fard étalé se mêle au sang qui le délaie, tous les membres jetés dans une lassitude suprême du rôle joué jusqu'au bout, jusqu'à tuer le comédien.

Deux coups de rasoir en travers du magnifique plastron inflexible, et toute sa majesté factice s'est dégonflée, s'est résolue dans cette horreur sans nom, ce tas de boue, de sang, de chairs maquillées et cadavériques où gît méconnaissable l'homme de la tenue, le marquis Louis-Marie-Agénor de Monpavon.

Le nabab, tome II XXII.

DRAMES PARISIENS 92. »

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