Le nabab, tome II d'avance.
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
«Il t'a quittée, n'est-ce pas?»
La malheureuse tressaille, se débat.
«Ne me demande rien...
je ne veux rien dire...
adieu.»
Et lui, la pressant contre son coeur:
«Que pourrais-tu me dire que je ne sache déjà, pauvre mère?...
Tu n'as donc pas compris pourquoi je suis
parti, il y a six mois...
Tu sais?...
Tout...
Et ce qui t'arrive aujourd'hui, voilà longtemps que je le pressens, que je le souhaite...
Oh! malheureuse, malheureuse, pourquoi suis-je venue?
Parce que c'est ta place, parce que tu me dois dix ans de ma mère...
Tu vois bien qu'il faut que je te garde.»
Il lui dit cela à genoux devant le divan où elle s'est laissée tomber dans un débordement de larmes et les
derniers cris douloureux de son orgueil blessé.
Longtemps elle pleure ainsi, son enfant à ses pieds.
Et voici
que les Joyeuse, inquiets de ne pas voir André descendre, montent le chercher en troupe.
C'est une invasion de
visages ingénus, de gaietés limpides, boucles flottantes, modestes parures, et sur tout le groupe rayonne la
grosse lampe, la bonne vieille lampe au vaste abat-jour, que M.
Joyeuse porte solennellement, aussi haut,
aussi droit qu'il peut avec un geste de canéphore.
Ils s'arrêtent interdits devant cette dame pâle et triste qui
regarde, très émue, toute cette grâce souriante, surtout Élise un peu en arrière des autres et que son attitude
gênée dans cette indiscrète visite désigne comme la fiancée.
«Élise, embrassez notre mère et remerciez-la.
Elle vient demeurer avec ses enfants.»
La voilà serrée dans tous ces bras caressants, contre quatre petits coeurs féminins à qui manque depuis
longtemps l'appui de la mère, la voilà introduite et si doucement sous le cercle lumineux de la lampe familiale,
un peu élargi pour qu'elle puisse y prendre sa place, sécher ses yeux, réchauffer, éclairer son esprit à cette
flamme robuste qui monte dans un vacillement, même dans ce petit atelier d'artiste près des toits, où
soufflaient si fort tout à l'heure des tempêtes sinistres qu'il faut oublier.
* * * * *
Celui qui râle là-bas, effondré dans sa baignoire sanglante, ne l'a jamais connue, cette flamme sacrée.
Égoïste
et dur, il a jusqu'à la fin vécu pour la montre, gonflant son plastron tout en surface d'une enflure de vanité.
Encore cette vanité était ce qu'il y avait de meilleur en lui.
C'est elle qui l'a tenu crâne et debout si longtemps,
elle qui lui serre les dents sur les hoquets de son agonie.
Dans le jardin moisi, le jet d'eau tristement s'égoutte.
Le clairon des pompiers sonne le couvre-feu...
«Allez donc voir au 7, dit la maîtresse, il n'en finit plus avec
son bain.» Le garçon monte et pousse un cri d'effroi, de stupeur: «Oh! madame, il est mort...
mais ce n'est plus
le même...» On accourt, et personne, en effet, ne veut reconnaître le beau gentilhomme qui est entré tout à
l'heure, dans cette espèce de poupée macabre, la tête pendant au bord de la baignoire, un teint où le fard étalé
se mêle au sang qui le délaie, tous les membres jetés dans une lassitude suprême du rôle joué jusqu'au bout,
jusqu'à tuer le comédien.
Deux coups de rasoir en travers du magnifique plastron inflexible, et toute sa
majesté factice s'est dégonflée, s'est résolue dans cette horreur sans nom, ce tas de boue, de sang, de chairs
maquillées et cadavériques où gît méconnaissable l'homme de la tenue, le marquis Louis-Marie-Agénor de
Monpavon.
Le nabab, tome II
XXII.
DRAMES PARISIENS 92.
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