Le nabab, tome II trottoirs.
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
double clef,elle eut pourtant un soulagement de voir qu'il n'était pas rentré, qu'elle aurait le temps de calmer
son émotion augmentée d'une longue marche inusitée à ses nonchalances de femme riche.
Personne.
Mais sur
la table ce petit mot qu'il laissait toujours en sortant, pour que sa mère, dont les visites devenaient de plus en
plus rares et courtes à cause de la tyrannie de Jenkins, pût savoir où il était, l'attendre facilement ou le
rejoindre.
Ces deux êtres n'avaient cessé de s'aimer tendrement, profondément, malgré les cruautés de la vie
qui les obligeaient à introduire dans leurs rapports de mère à fils les précautions, le mystère clandestin d'un
autre amour.
«Je suis à ma répétition, disait aujourd'hui le petit mot, je rentrerai vers sept heures.»
Cette attention de son enfant qu'elle n'était pas venue voir depuis trois semaines, et qui persistait quand même
à l'attendre, fit monter aux yeux de la mère le flot de larmes qui l'étouffait.
On eût dit qu'elle venait d'entrer
dans un monde nouveau.
C'était si clair, si calme, si élevé, cette petite pièce qui gardait la dernière lueur du
jour sur son vitrage, flambait des rayons du soleil déjà sombré, semblait comme toutes les mansardes taillée
dans un pan de ciel avec ses murs nus, ornés seulement d'un grand portrait, le sien, rien que le sien souriant à
la place d'honneur, et encore là-bas sur la table dans un cadre doré.
Oui, véritablement, l'humble petit logis,
qui retenait tant de clarté quand tout Paris devenait noir, lui faisait une impression surnaturelle, malgré la
pauvreté de ses meubles restreints, éparpillés dans deux pièces, sa perse commune, et sa cheminée garnie de
deux gros bouquets de jacinthes, de ces fleurs qu'on traîne le matin dans les rues, à pleines charrettes.
La belle
vie vaillante et digne qu'elle aurait pu mener là près de son André! Et en une minute, avec la rapidité du rêve,
elle installait son lit dans un coin, son piano dans l'autre, se voyait donnant des leçons, soignant l'intérieur où
elle apportait sa part d'aisance et de gaieté courageuse.
Comment n'avait-elle pas compris que là eût été son
devoir, la fierté de son veuvage? Par quel aveuglement, quelle faiblesse indigne?...
Grande faute sans doute, mais qui aurait pu trouver bien des atténuations dans sa nature facile et tendre, et
l'adresse, la fourberie de son complice parlant tout le temps de mariage, lui laissant ignorer que lui-même
n'était plus libre, et lorsqu'enfin il fut obligé d'avouer, faisant un tel tableau de sa vie sans lumière, de son
désespoir, de son amour, que la pauvre créature engagée déjà si gravement aux yeux du monde, incapable d'un
de ces efforts héroïques qui vous mettent au-dessus des situations fausses, avait fini par céder, par accepter
cette double existence, si brillante et si misérable, reposant toute sur un mensonge qui avait duré dix ans.
Dix
ans d'enivrants succès et d'inquiétudes indicibles, dix ans où elle avait chanté avec chaque fois la peur d'être
trahie entre deux couplets, où le moindre mot sur les ménages irréguliers la blessait comme une allusion, où
l'expression de sa figure s'était amollie jusqu'à cet air d'humilité douce, de coupable demandant grâce.
Ensuite
la certitude d'être abandonnée lui avait gâté même ces joies d'emprunt, fané son luxe; et que d'angoisses, que
de souffrances silencieusement subies, d'humiliations incessantes jusqu'à la dernière, la plus épouvantable de
toutes!
Tandis qu'elle repasse ainsi douloureusement sa vie dans la fraîcheur du soir et le calme de la maison déserte,
des rires sonores, un entrain de jeunesse heureuse montent de l'étage au-dessous; et se rappelant les
confidences d'André, sa dernière lettre où il lui annonçait la grande nouvelle, elle cherche à distinguer parmi
toutes ces voix limpides et neuves celle de sa fille Élise, cette fiancée de son fils qu'elle ne connaît pas, qu'elle
ne doit jamais connaître.
Cette pensée, qui achève de déshériter la mère, ajoute au désastre de ses derniers
instants, les comble de tant de remords et de regrets que, malgré son vouloir d'être courageuse, elle pleure, elle
pleure.
La nuit vient peu à peu.
De larges taches d'ombre plaquent les vitres inclinées où le ciel immense en
profondeur se décolore, semble fuir dans de l'obscur.
Les toits se massent pour la nuit comme les soldats pour
l'attaque.
Gravement, les clochers se renvoient l'heure, pendant que les hirondelles tournoient aux environs
d'un nid caché et que le vent fait son invasion ordinaire dans les décombres du vieux chantier.
Ce soir, il
souffle avec des plaintes de flot, un frisson de brume, il souffle de la rivière, comme pour rappeler à la
malheureuse femme que c'est là-bas qu'il va falloir aller...
Sous sa mantille de dentelle, oh! elle en grelotte Le nabab, tome II
XXII.
DRAMES PARISIENS 90.
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