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Le Speronare Luigi etait assis, la tete sur les deux genoux, et plonge dans une si profonde douleur, que je me reveillai, me levai et allai a lui sans qu'il m'entendit.

Publié le 11/04/2014

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Le Speronare Luigi etait assis, la tete sur les deux genoux, et plonge dans une si profonde douleur, que je me reveillai, me levai et allai a lui sans qu'il m'entendit. Un sanglot, qui s'echappa malgre moi de ma poitrine, le tira de son accablement. Il leva la tete, et nous nous jetames dans les bras l'un de l'autre. C'etait la premiere fois depuis notre enlevement que nous pouvions echanger nos pensees. Comme moi, quoiqu'il n'eut pas precisement reconnu Cantarello, il etait convaincu que nous etions ses victimes; comme a moi, on lui avait donne une boisson narcotique qui lui avait fait perdre tout sentiment, et il venait de se reveiller seulement lorsque je me reveillai moi-meme. Le premier jour nous ne voulumes pas manger. Luigi etait sombre et muet; j'etais assise et je pleurais pres de lui. Bientot, cependant, notre douleur s'adoucit de ce que nous etions ensemble. Enfin le besoin se fit sentir si violemment, que nous mangeames, puis le sommeil vint a son tour. La vie continuait pour nous, moins la liberte, moins la lumiere. Luigi avait une montre: pendant notre voyage, elle s'etait arretee a minuit ou a midi; il la remonta; elle ne nous indiquait pas l'heure reelle; mais elle nous faisait du moins une heure fictive a l'aide de laquelle nous pouvions mesurer le temps. Nous avions ete enleves dans la nuit du mardi au mercredi. Nous calculames que nous nous etions reveilles le jeudi matin. Au bout de vingt-quatre heures, nous fimes une ligne sur le mur avec un charbon. Un jour devait etre ecoule; nous etions a vendredi. Vingt-quatre heures apres, nous tirames une seconde ligne pareille; nous etions a samedi. Au bout du meme temps, nous tirames encore une ligne qui depassait en longueur les deux premieres; cette ligne indiquait le dimanche. Nous passames en prieres tout le saint jour de Seigneur. Huit jours s'ecoulerent ainsi. Au bout de huit jours, nous entendimes des pas qui semblaient venir d'un long corridor; ces pas se rapprocherent de plus en plus; notre porte s'ouvrit. Un homme enveloppe d'un grand manteau parut, tenant une lanterne a la main: c'etait Cantarello. Je tenais Luigi dans mes bras; je le sentais fremir de colere. Cantarello s'approcha de nous, et je sentit tous les muscles de Luigi successivement se contracter et se tendre. Je compris que, si Cantarello s'approchait a la portee de sa chaine, il bondirait sur lui comme un tigre, et qu'il y aurait une lutte mortelle entre ces deux hommes. Il me vint alors une pensee que j'aurais crue impossible, c'est que je pouvais devenir encore plus malheureuse que je ne l'etais. Je lui criai donc de ne pas s'approcher. Il comprit la cause de ma crainte; sans me repondre, il releva son manteau et me montra qu'il etait arme. Deux pistolets etaient passes a sa ceinture, et une epee etait pendue a son cote. Il deposa sur la table des provisions nouvelles; ces provisions se composaient, comme les premieres, de pain, de viandes fumees, de vin, d'eau et d'huile. L'huile surtout nous etait precieuse; elle entretenait la lumiere de notre lampe. Je m'apercus alors que la lumiere etait un des premiers besoins de la vie. Cantarello sortit et referma la porte sans que je lui eusse adresse d'autres paroles que celles qui avaient pour but de l'empecher de s'approcher de Luigi, et sans qu'il eut repondu par un autre geste que par celui qui indiquait qu'il avait des armes. Ce fut alors seulement que, certaine par sa presence meme d'etre relevee de mon serment, qui ne m'engageait que s'il tenait lui-meme la promesse qu'il avait faite de s'eloigner de nous, je racontai tout a Luigi. Lorsque j'eus fini, Luigi poussa un profond soupir. --Il a voulu s'assurer notre silence, dit-il. Nous sommes ici pour le reste de notre vie. LE SOUTERRAIN 157 Le Speronare Un eclat de rire affirmatif retentit derriere la porte. Cantarello s'etait arrete la, avait ecoute et avait tout entendu. Nous comprimes que nous n'avions plus d'espoir qu'en Dieu et en nous-memes. Nous commencames alors a faire une inspection plus detaillee de notre cachot. C'est une espece de cave de dix pas de large sur douze de long, sans autre issue que la porte. Nous sondames les murs: partout il nous parurent pleins. J'allai a la porte, je l'examinai; elle etait de chene et retenue par une double serrure. Il y avait peu de chances de fuite; d'ailleurs, Luigi etait enchaine par le milieu du corps et par un pied. Neanmoins, pendant un an a peu pres, l'espoir ne nous abandonna point tout a fait; pendant un an nous revames tous les moyens possibles de fuir. Chaque semaine, exactement, Cantarello reparaissait et nous apportait nos provisions hebdomadaires; chose etrange, peu a peu nous nous etions habitues a sa visite, et, soit resignation, soit besoin d'etre distraits un instant de notre solitude, nous avions fini par attendre le moment ou il devait venir avec une certaine impatience. D'ailleurs, l'espoir, qui ne s'eteint jamais, nous faisait toujours croire qu'a la visite prochaine Cantarello aurait pitie de nous. Mais le temps s'ecoulait, Cantarello reparaissait avec la meme figure sombre et impassible, et s'eloignait le plus souvent sans echanger avec nous une seule parole. Nous continuions a tracer les jours sur la muraille. Une seconde annee s'ecoula ainsi. Notre existence etait devenue toute machinale; nous restions des heures entieres comme aneantis, et, pareils aux animaux, nous ne sortions de cet aneantissement que lorsque le besoin de boire ou de manger nous tirait de notre torpeur. La seule chose qui nous preoccupat serieusement, c'est que notre lampe ne s'eteignit, et ne nous laissat dans l'obscurite; tout le reste nous etait indifferent. Un jour, au lieu de monter sa montre, Luigi la brisa contre la muraille; a partir de ce jour nous cessames de mesurer les heures, et le temps cessa d'exister pour nous: il etait tombe dans l'eternite. Cependant, comme j'avais remarque que Cantarello venait regulierement tous les huits jours, chaque fois qu'il venait, je faisais une marque sur la muraille et cela remplacait a peu pres notre montre; mais je me lassai a mon tour de ce calcul inutile, et je cessai de marquer les visites de notre geolier. Un temps indefini s'ecoula: ce durent etre plusieurs annees. Je devins enceinte. Ce fut une sensation bien joyeuse et bien penible a la fois. Devenir mere dans un cachot, donner la vie a un etre humain sans lui donner le jour ni la lumiere, voir l'enfant de ses entrailles, une pauvre creature innocente qui n'est point nee encore, condamnee au supplice qui vous tue! Pour notre enfant nous revinmes a Dieu, que nous avions presque oublie. Nous l'avions tant prie pour nous, sans qu'il nous repondit, que nous avions fini par croire qu'il ne nous entendait pas; mais nous allions le prier pour notre enfant, et il nous semblait que notre voix devait percer les entrailles de la terre. Je ne dis rien a Cantarello. J'avais peur, je ne sais pourquoi, que cette nouvelle ne lui inspirat quelque sombre projet contre nous ou contre notre enfant. Un jour il me trouva assise sur mon lit et allaitant la pauvre petite creature. A cette vue il tressaillit, et il me sembla que sa sombre figure s'adoucissait. Je me jetai a ses pieds. --Promettez-moi que mon enfant n'est point enseveli pour toujours dans ce cachot, lui dis-je, et je vous pardonne. Il hesita un instant, puis, passant la main sur son front: --Je vous le promets! dit-il. LE SOUTERRAIN 158

« Un eclat de rire affirmatif retentit derriere la porte.

Cantarello s'etait arrete la, avait ecoute et avait tout entendu.

Nous comprimes que nous n'avions plus d'espoir qu'en Dieu et en nous-memes. Nous commencames alors a faire une inspection plus detaillee de notre cachot.

C'est une espece de cave de dix pas de large sur douze de long, sans autre issue que la porte.

Nous sondames les murs: partout il nous parurent pleins.

J'allai a la porte, je l'examinai; elle etait de chene et retenue par une double serrure.

Il y avait peu de chances de fuite; d'ailleurs, Luigi etait enchaine par le milieu du corps et par un pied. Neanmoins, pendant un an a peu pres, l'espoir ne nous abandonna point tout a fait; pendant un an nous revames tous les moyens possibles de fuir.

Chaque semaine, exactement, Cantarello reparaissait et nous apportait nos provisions hebdomadaires; chose etrange, peu a peu nous nous etions habitues a sa visite, et, soit resignation, soit besoin d'etre distraits un instant de notre solitude, nous avions fini par attendre le moment ou il devait venir avec une certaine impatience.

D'ailleurs, l'espoir, qui ne s'eteint jamais, nous faisait toujours croire qu'a la visite prochaine Cantarello aurait pitie de nous.

Mais le temps s'ecoulait, Cantarello reparaissait avec la meme figure sombre et impassible, et s'eloignait le plus souvent sans echanger avec nous une seule parole.

Nous continuions a tracer les jours sur la muraille. Une seconde annee s'ecoula ainsi.

Notre existence etait devenue toute machinale; nous restions des heures entieres comme aneantis, et, pareils aux animaux, nous ne sortions de cet aneantissement que lorsque le besoin de boire ou de manger nous tirait de notre torpeur.

La seule chose qui nous preoccupat serieusement, c'est que notre lampe ne s'eteignit, et ne nous laissat dans l'obscurite; tout le reste nous etait indifferent. Un jour, au lieu de monter sa montre, Luigi la brisa contre la muraille; a partir de ce jour nous cessames de mesurer les heures, et le temps cessa d'exister pour nous: il etait tombe dans l'eternite. Cependant, comme j'avais remarque que Cantarello venait regulierement tous les huits jours, chaque fois qu'il venait, je faisais une marque sur la muraille et cela remplacait a peu pres notre montre; mais je me lassai a mon tour de ce calcul inutile, et je cessai de marquer les visites de notre geolier. Un temps indefini s'ecoula: ce durent etre plusieurs annees.

Je devins enceinte. Ce fut une sensation bien joyeuse et bien penible a la fois.

Devenir mere dans un cachot, donner la vie a un etre humain sans lui donner le jour ni la lumiere, voir l'enfant de ses entrailles, une pauvre creature innocente qui n'est point nee encore, condamnee au supplice qui vous tue! Pour notre enfant nous revinmes a Dieu, que nous avions presque oublie.

Nous l'avions tant prie pour nous, sans qu'il nous repondit, que nous avions fini par croire qu'il ne nous entendait pas; mais nous allions le prier pour notre enfant, et il nous semblait que notre voix devait percer les entrailles de la terre. Je ne dis rien a Cantarello.

J'avais peur, je ne sais pourquoi, que cette nouvelle ne lui inspirat quelque sombre projet contre nous ou contre notre enfant.

Un jour il me trouva assise sur mon lit et allaitant la pauvre petite creature. A cette vue il tressaillit, et il me sembla que sa sombre figure s'adoucissait.

Je me jetai a ses pieds. —Promettez-moi que mon enfant n'est point enseveli pour toujours dans ce cachot, lui dis-je, et je vous pardonne. Il hesita un instant, puis, passant la main sur son front: —Je vous le promets! dit-il.

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