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Le surréalisme et l'action

Publié le 08/02/2011

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Dans le texte collectif paru en 1947 sous le titre Rupture inaugurale, les surréalistes proclamaient : «Le surréalisme, dont c'est le destin spécifique d'avoir à revendiquer d'innombrables réformes dans le domaine de l'esprit, et en particulier des réformes éthiques, refusera sa participation à toute action politique qui devrait être immorale pour avoir l'air d'être efficace. Il la refusera de même - pour ne pas avoir à renoncer à la libération de l'homme comme fin dernière - à l'action politique qui se tolérerait inefficace pour ne pas avoir à transgresser des principes surannés.« En 1968, dans le numéro spécial d'Europe consacré au surréalisme, Georges Dupeyron va jusqu'à penser que l'action surréaliste ne se souciait pas vraiment de transformer le monde : «Cette libération, les surréalistes la considéraient d'abord comme intérieure, plus soucieux, semble-t-il, d'accéder immédiatement à un ailleurs intellectuel et moral où rien ne serait plus contradictoire, où l'on aboutirait à une cohérence nommée surréel - cohérence invérifiable d'après nos moyens actuels ou habituels de connaissance -, que de se vouer activement à la transformation réelle du monde, par l'élimination préalable de ses contradictions historiques. Transformation qui exige des procédés rudes et concrets, à échéances imprévisibles, peu accordée en tout cas à des problèmes qui sont plutôt d'ordre post-révolutionnaire. Autrement dit, et en simplifiant à l'extrême, pour les surréalistes, l'accession à l'ordre nouveau relevait au moins autant de l'action, du rêve et de la toute-puissance du désir, que du militantisme musclé. C'est à partir de cette affirmation que se consomma la rupture entre le surréalisme orthodoxe et le matérialisme dialectique. Ainsi s'ouvrait la contradiction entre «la liberté de l'individu« - telle que l'entendait André Breton - et «la fatalité de la révolution«, telle que l'entendent les marxistes.« A la lumière de ces textes vous vous interrogerez sur la possibilité d'une action surréaliste efficace.    En 1947, André Breton, s'adressant aux surréalistes tchèques à l'occasion de l'Exposition internationale du surréalisme à Prague, déclarait : «Comme je l'étais  alors (= en 1935), je demeure convaincu que «l'élucidation des moyens propres à l'art d'aujourd'hui digne de ce nom ne peut finalement tourner qu'à la défense inconditionnelle d'une seule cause, qui est celle de la libération de l'homme«. Mais, plus que jamais, j'entends à tout prix garder vivant (en mesure de se recréer et de se parfaire sans cesse) le sens de cette libération, non m'en remettre aveuglément du soin de la réaliser à un appareil dont les moyens tortueux et l'absolu dédain de la personne humaine m'inspirent tous les doutes. Ceci me porte aujourd'hui à m'écrier : en art pas de consigne jamais, quoi qu'il advienne /... Aucun impératif politico-militaire ne saurait être conçu ni promulgué dans l'art sans trahison. Le seul devoir du poète, de l'artiste, est d'opposer un non irréductible à toutes les formules disciplinaires. L'ignoble mot d'«engagement«, qui a pris cours depuis la guerre, sue une servilité dont la poésie et l'art ont horreur.« Le souci de libération du surréalisme vous semble-t-il s'opposer à toute forme d'engagement ?    Lors des Entretiens de Cerisy-la-Salle sur le surréalisme en juillet 1966 (Mouton), Mouton, Philippe Audoin affirma : «Le surréalisme est le contraire d'un amoralisme. C'est presque un hypermoralisme... Ce parti pris moral consiste à s'élever violemment contre tout ce qui asservit, pour affirmer, avec passion, tout ce qui peut délivrer, tout ce qui esquisse un mouvement dans le sens de plus de liberté ; plus de liberté pour tous évidemment, mais pour chacun aussi. Lorsque le surréalisme se réfère, dans le langage que vous connaissez, à l'amour, à la poésie, ou au merveilleux, c'est contre tout ce qui tend à réduire l'amour dans le temps et dans l'espace mental qu'il occupe, contre tout ce qui tend à subordonner la poésie à des fins qui lui sont étrangères, contre tout ce qui tend à truquer le merveilleux pour produire un fantastique.« Le but de l'action surréaliste peut-il se résumer en un développement inconditionnel de la liberté ?    R. Navarri analyse ainsi les rapports des surréalistes avec l'engagement communiste : «(C'est) la pression des circonstances (notamment la guerre de Rif en 1925) qui (fit) prendre conscience (aux surréalistes) qu'ils ne pourraient renverser la bourgeoisie avec leurs seules forces ou uniquement avec des déclarations incendiaires sur la nécessité d'une destruction totale de la civilisation occidentale, ou avec des pamphlets, aussi virulents soient-ils, contre tout ce qui opprime l'individu matériellement et spirituellement : armée, Église, famille, travail, colonialisme... On sait que ce rapprochement fut éphémère, et cela pour des raisons à la fois théoriques et pratiques, la plus importante étant sans doute que les surréalistes, loin de renoncer à leurs analyses et à leurs objectifs propres, auraient voulu que les communistes en reconnaissent la portée révolutionnaire et pour cela admettent que la lutte pour la libération économique et sociale de l'homme est indissociable de la lutte pour son émancipation totale, intellectuelle, morale, artistiques.« Autre élément de mésentente : «Le discours surréaliste sur la révolution prend souvent pour référent un homme «éternel«, abstrait, dont les virtualités seraient paralysées par la société en soi (la société bourgeoise n'en représentant que l'aspect le plus contraignant) et toutes les conséquences de la vie sociale : travail, famille, etc., indépendamment de leurs modalités historiques. Dans ces conditions, la révolution doit avoir pour but de rendre à l'homme la pleine possession de ses richesses originelles, de ces pouvoirs et de cette «pureté« qu'il a perdus depuis une époque aussi lointaine que mythique. Dès lors, elle est moins conçue comme le résultat d'un lent processus dialectique amenant la transformation des structures économiques et sociales et le changement du régime politique, que comme le produit d'une accumulation de libérations individuelles permettant le retour à «l'âge d'or«, c'est-à-dire à un monde où chacun pourra vivre poétiquement.« Pourtant R. Navarri reconnaît que les surréalistes «ont les premiers compris que les problèmes du langage et de l'écriture ne pouvaient être posés que par rapport à une science de l'homme et de l'histoire et sans que cela engage toute une conception de la vie et de l'action. Dès lors, quels que soient les retards de leur pratique sur leur théorie et même les naïvetés utopiques, les résurgences idéalistes de cette dernière, ils ont fortement contribué à désacraliser la notion de littérature et d'art, en montrant qu'elle ne désignait pas une activité mystérieuse et réservée à des «inspirés« proposant leurs œuvres à l'admiration des profanes et en créant les possibilités d'un nouveau rapport au langage et par cçnséquent avec soi-même et le discours social.« (Histoire littéraire de la France, Éditions sociales, t. VI, 1982.) Que pensez-vous de ce débat ?

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