Devoir de Philosophie

LEIBNIZ: NÉCESSITÉ LOGIQUE ET NÉCESSITÉ MORALE in Discours de Métaphysique XIII, p. 85

Publié le 06/02/2011

Extrait du document

leibniz

XIII. Nous avons dit que la notion d'une substance individuelle enferme une fois pour toutes tout ce qui lui peut jamais arriver, et qu'en considérant cette notion, on y peut voir tout ce qui se pourra véritablement énoncer d'elle, comme nous pouvons voir dans la nature du cercle toutes les propriétés qu'on en peut déduire. Mais il semble que par là, la différence des vérités contingentes et nécessaires sera détruite, que la liberté humaine n'aura plus aucun lieu, et qu'une fatalité absolue régnera sur toutes nos actions aussi bien que sur tout le reste des événements du monde ; a quoi je réponds, qu'il faut faire distinction entre ce qui est certain, et ce qui est nécessaire : tout le monde demeure d'accord que les futurs contingents sont assurés, puisque Dieu les prévoit, mais on n'avoue pas pour cela qu'ils soient nécessaires. Mais (dira-t-on) si quelque conclusion se peut déduire infailliblement d'une définition ou notion, elle sera nécessaire. Or, est-il que nous soutenons que tout ce qui doit arriver à quelque personne est déjà compris virtuellement dans sa nature ou notion comme les propriétés le sont dans la définition du cercle. Ainsi la difficulté subsiste encore. Pour y satisfaire solidement, je dis que la connexion ou consécution est de deux sortes ; l'une est absolument nécessaire, dont le contraire implique contradiction, et cette déduction a lieu dans les vérités éternelles, comme sont celles de géométrie ; l'autre n'est nécessaire qu'ex hypothesi et, pour ainsi dire, par accident, mais elle est contingente en elle-même, lorsque le contraire n'implique point. Et cette connexion est fondée, non pas sur les idées toutes pures et sur le simple entendement de Dieu, mais encore sur ses décrets libres, et sur la suite de l'univers.    Venons à un exemple : puisque Jules César deviendra dictateur perpétuel et maître de la république, et renversera la liberté des Romains, cette action est comprise dans sa notion, car nous supposons que c'est la nature d'une telle notion parfaite d'un sujet, de tout comprendre, afin que le prédicat y soit enfermé, ut possit inesse subjecto. On pourrait dire que ce n'est plus en vertu de cette notion ou idée qu'il doit commettre cette action, puisqu'elle ne lui convient que parce que Dieu sait tout. Mais on insistera que sa nature ou forme répond de cette notion, et puisque Dieu lui a imposé ce personnage, il lui est désormais nécessaire d'y satisfaire. J'y pourrais répondre par l'instance des futurs contingents, car ils n'ont rien encore de réel que dans l'entendement et volonté de Dieu, et puisque Dieu leur y a donné cette forme par avance, il faudra tout de même qu'ils y répondent.    Mais j'aime mieux de satisfaire aux difficultés que de les excuser par exemple de quelques autres difficultés semblables, et ce que je vais dire servira à éclaircir aussi bien l'une que l'autre. C'est donc maintenant qu'il faut appliquer la distinction des connexions, et je dis que ce qui arrive conformément à ces avances est assuré, mais qu'il n'est pas nécessaire et si quelqu'un faisait le contraire, il ne ferait rien d'impossible en soi-même, quoiqu'il soit impossible que cela arrive. Car si quelque homme était capable d'achever toute la démonstration, en vertu de laquelle il pourrait prouver cette connexion du sujet qui est César et du prédicat qui est son entreprise heureuse, il ferait voir en effet que la dictature future de César a son fondement dans sa notion ou nature, qu'on y voit une raison pourquoi il a plutôt résolu de passer le Rubicon que de s'y arrêter et pourquoi il a plutôt gagné que perdu la journée de Pharsale et qu'il était raisonnable et par conséquent assuré que cela arrivât, mais non pas qu'il est nécessaire en soi-même, ni que le contraire implique contradiction. A peu près comme il est raisonnable et assuré que Dieu fera toujours le meilleur, quoique ce qui est moins parfait n'implique point.   

Liens utiles