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LES SENS DU MOT POSITIF (Discours sur l'Esprit positif) - COMTE

Publié le 07/02/2011

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discours

Comme tous les termes vulgaires ainsi élevés graduellement à la dignité philosophique, le mot positif offre, dans nos langues occidentales, plusieurs acceptions distinctes, même en écartant le sens grossier qui d'abord s'y attache chez les esprits mal cultivés. Mais il importe de noter ici que toutes ces diverses significations conviennent également à la nouvelle philosophie générale, dont elles indiquent alternativement différentes propriétés caractéristiques : ainsi, cette apparente ambiguïté n'offrira désormais aucun inconvénient réel. Il y faudra voir, au contraire, l'un des principaux exemples de cette admirable condensation de formules qui, chez les populations avancées, réunit, sous une seule expression usuelle, plusieurs attributs distincts, quand la raison publique est parvenue à reconnaître leur liaison permanente.    Considéré d'abord dans son acception la plus ancienne et la plus commune, le mot positif désigne le réel, par opposition au chimérique : sous ce rapport, il convient pleinement au nouvel esprit philosophique, ainsi caractérisé d'après sa constante consécration aux recherches vraiment accessibles à notre intelligence, à l'exclusion permanente des impénétrables mystères dont s'occupait surtout son enfance. En un second sens, très voisin du précédent, mais pourtant distinct, ce terme fondamental indique le contraste de l'utile à l'oiseux : alors il rappelle, en philosophie, la destination nécessaire de toutes nos saines spéculations pour l'amélioration continue de notre vraie condition, individuelle et collective, au lieu de la vaine satisfaction d'une stérile curiosité. Suivant une troisième signification usuelle, cette heureuse expression est fréquemment employée à qualifier l'opposition entre la certitude et l'indécision : elle indique ainsi l'aptitude caractéristique d'une telle philosophie à constituer spontanément l'harmonie logique dans l'individu et la communion spirituelle dans l'espèce entière, au lieu de ces doutes indéfinis et de ces débats interminables que devait susciter l'antique régime mental. Une quatrième acception ordinaire, trop souvent confondue avec la précédente, consiste à opposer le précis au vague : ce sens rappelle la tendance constante du véritable esprit philosophique à obtenir partout le degré de précision compatible avec la nature des phénomènes et conforme à l'exigence de nos vrais besoins ; tandis que l'ancienne manière de philosopher conduisait nécessairement à des opinions vagues, ne comportant une indispensable discipline que d'après une compression permanente, appuyée sur une autorité surnaturelle.    Il faut enfin remarquer spécialement une cinquième application, moins usitée que les autres, quoique d'ailleurs pareillement universelle, quand on emploie le mot positif comme le contraire de négatif. Sous cet aspect, il indique l'une des plus éminentes propriétés de la vraie philosophie moderne, en la montrant destinée surtout, par sa nature, non à détruire, mais à organiser. Les quatre caractères généraux que nous venons de rappeler la distinguent à la fois de tous les modes possibles, soit théologiques, soit métaphysiques, propres à la philosophie initiale. Cette dernière signification, en indiquant d'ailleurs une tendance continue du nouvel esprit philosophique, offre aujourd'hui une importance spéciale pour caractériser directement l'une de ses principales différences, non plus avec l'esprit théologique, qui fut longtemps organique, mais avec l'esprit métaphysique proprement dit, qui n'a jamais pu être que critique. Quelle qu'ait été, en effet, l'action dissolvante de la science réelle, cette influence fut toujours en elle purement indirecte et secondaire : son défaut même de systématisation empêchait jusqu'ici qu'il en pût être autrement ; et le grand office organique qui lui est maintenant échu s'opposerait désormais à une telle attribution accessoire, qu'il tend d'ailleurs à rendre superflue. La saine philosophie écarte radicalement, il est vrai, toutes les questions nécessairement insolubles : mais, en motivant leur rejet, elle évite de rien nier à leur égard, ce qui serait contradictoire à cette désuétude systématique, par laquelle seule doivent s'éteindre toutes les opinions vraiment indiscutables. Plus impartiale et plus tolérante envers chacune d'elles, vu sa commune indifférence, que ne peuvent l'être leurs partisans opposés, elle s'attache à apprécier historiquement leur influence respective, les conditions de leur durée et les motifs de leur décadence, sans prononcer jamais aucune négation absolue, même quahd il s'agit des doctrines les plus antipathiques à l'état présent de la raison humaine chez les populations d'élite. C'est ainsi qu'elle rend une scrupuleuse justice, non seulement aux divers systèmes de monothéisme autres que celui qui expire aujourd'hui parmi nous, mais aussi aux croyances polythéiques, ou même fétichiques, en les rapportant toujours aux phases correspondantes de l'évolution fondamentale.

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