L'historien des idées Roger Paultre voit ainsi le passage de l'écriture préclassique à celle qui suit 1650 : «L'art de la rhétorique ; sa pratique et sa typologie aux subdivisions sans cesse augmentées, débordent largement la période qui nous occupe, et la culture antérieure à 1650 lui assigne une place qui va bien au-delà d'une simple technique littéraire : c'est parce que le monde est formé d'un réseau de ressemblances qu'il est possible de substituer à un mot un autre mot qui, par analogie, sympathie, convenance ou émulation, en est suffisamment proche. Le jeu combiné des similitudes englobant l'abstrait et le concret, les mots et les choses, conduit une partie du savoir à s'exprimer naturellement en figures : le mot qui se substitue à l'autre élargit le sens primitif pour contribuer à proclamer toujours davantage l'harmonie du monde. Cependant, les figures qui ne relèvent que de structures de langage, sans faire intervenir l'expérience des choses, échappent à la ressemblance. Ce n'est que lorsqu'une certaine coupure se sera produite entre la connaissance et la rhétorique que la littérature, l'art et la critique réduiront les figures fondamentales à une technique de langage, suffisamment libérée des contingences de la réalité du monde et du poids des choses pour n'être reconnue que comme un effet de style.» (Les Images du livre, Hermann, 1991.) Pensez-vous que l'écriture classique ait renoncé à une adéquation profonde avec «la réalité du monde» et le «poids des choses»?
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L'historien des idées Roger Paultre voit ainsi le passage de l'écriture préclassique à celle qui suit 1650 : «L'art de la rhétorique ; sa pratique et sa typologie aux subdivisions sans cesse augmentées, débordent largement la période qui nous occupe, et la culture antérieure à 1650 lui assigne une place qui va bien au-delà d'une simple technique littéraire : c'est parce que le monde est formé d'un réseau de ressemblances qu'il est possible de substituer à un mot un autre mot qui, par analogie, sympathie, convenance ou émulation, en est suffisamment proche. Le jeu combiné des similitudes englobant l'abstrait et le concret, les mots et les choses, conduit une partie du savoir à s'exprimer naturellement en figures : le mot qui se substitue à l'autre élargit le sens primitif pour contribuer à proclamer toujours davantage l'harmonie du monde. Cependant, les figures qui ne relèvent que de structures de langage, sans faire intervenir l'expérience des choses, échappent à la ressemblance. Ce n'est que lorsqu'une certaine coupure se sera produite entre la connaissance et la rhétorique que la littérature, l'art et la critique réduiront les figures fondamentales à une technique de langage, suffisamment libérée des contingences de la réalité du monde et du poids des choses pour n'être reconnue que comme un effet de style.« (Les Images du livre, Hermann, 1991.) Pensez-vous que l'écriture classique ait renoncé à une adéquation profonde avec «la réalité du monde« et le «poids des choses«?
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- Paul Valéry écrit dans le Préambule pour le Catalogue
- Jean-Claude Tournand écrit : «Il a fallu que s'élaborent au moyen d'une longue expérience les règles de chaque genre, que les écrivains apprennent à en dominer les contraintes et à conquérir à travers elles l'art de communiquer leurs plus intimes pensées. L'idéal classique exige à la fois une idée suffisamment claire pour être totalement communicable, et un langage suffisamment précis pour communiquer cette idée et elle seule : l'idée ne doit pas échapper au langage, mais le langage doit rendre toute la singularité de l'idée. Cet accord profond qui supprime toute dualité entre la vérité d'une pensée et la justesse de son expression ne se distingue pas de la beauté. (...) C'est déjà par le moyen d'un discours bien lié que Descartes prétendait devenir «maître et possesseur de la nature», et il est bien, en cela, le premier des classiques. Sa méthode ne consiste-t-elle pas à réduire toute difficulté en un langage clair qui est analyse, mise en ordre, de telle sorte que la vérité apparaisse comme d'elle-même ? Aucune idée n'est admise pour vraie ni aucune œuvre admise pour belle si le langage n'élimine pas toutes les ombres, de manière à garantir que l'on n'a pas triché avec la réalité. Les Pensées de Pascal témoignent d'un vaste effort pour expliciter la mystérieuse action de la foi, et, lorsqu'on veut désavouer la raison, c'est à la raison que l'on demande ce désaveu. L'art de plaire lui-même doit pouvoir s'exprimer logiquement. Toute l'esthétique classique se réduit à chercher, toujours plus loin dans la complexité vivante d'une réalité - visage, idée, sentiment -, l'ordre qui permet de la saisir, à inventer entre les ressources du langage l'équilibre qui correspond seul à cette réalité-là, et à n'admettre dans l'œuvre aucun élément qui ne participe pas à cette correspondance.» (Introduction à la vie littéraire du XVIIe siècle, Bordas, 1970.) Acceptez-vous cette vision du classicisme ?
- Victor Hugo écrit : «La nature procède par contrastes. C'est par les oppositions qu'elle fait saillir les objets. C'est par leurs contraires qu'elle fait sentir les choses, le jour par la nuit, le chaud par le froid, etc.; toute clarté fait ombre. De là le relief, le contour, la proportion, le rapport, la réalité. La création, la vie, le destin, ne sont pour l'homme qu'un immense clair-obscur. Le poète, ce philosophe du concret et ce peintre de l'abstrait, le poète, ce penseur suprême, doit faire comme la nature. Procéder par contrastes. Soit qu'il peigne l'âme humaine, soit qu'il peigne le monde extérieur, il doit opposer partout l'ombre à la lumière, le vrai invisible au réel visible, l'esprit à la matière, la matière à l'esprit; rendre le tout, qui est la création, sensible à la partie, qui est l'homme, aussi bien par le choc brusque des différences que par la rencontre harmonieuse des nuances. Cette confrontation perpétuelle des choses avec leurs contraires, pour la poésie comme pour la création, c'est la vie.» (Extrait de Tas de pierres, in Post-scriptum de ma vie, recueil de notes jetées au hasard par Hugo, de 1825 à 1880, sur des carnets et des bouts de papier et regroupées par son ami Paul Meurice en 1901; le fragment que nous citons date sans doute des années 1840-1844.) En prenant des exemples précis chez les poètes de votre choix, vous direz ce que vous pensez de cette esthétique et de cette technique du contraste.
- Un nouveau livre de poche va voir le jour. Dans la série « classique », annonce l'éditeur, « chaque volume sera enrichi d'une trentaine de pages de commentaires : biographie de l'auteur, naissance de l'œuvre, sa place dans l'histoire de la littérature, les jugements qu'elle a suscités... » Prendrez-vous connaissance de tous ces compléments? Pensez-vous qu'ils puissent vous permettre de mieux comprendre l'œuvre et d'en tirer un plaisir accru ou estimez-vous qu'ils risquent de faire écran entre l'œuvre et vous ?
- Un nouveau livre de poche va voir le jour. Dans la série « classique », annonce l'éditeur, « chaque volume sera enrichi d'une trentaine de pages de commentaires : biographie de l'auteur, naissance de l'œuvre, sa place dans l'histoire de la littérature, les jugements qu'elle a suscités... » Prendrez-vous connaissance de tous ces compléments? Pensez-vous qu'ils puissent vous permettre de mieux comprendre l'œuvre et d'en tirer un plaisir accru ou estimez-vous qu'ils risquent de faire écran entre l'œuvre et vous ?