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L'homme Qui Rit IV.

Publié le 12/04/2014

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L'homme Qui Rit IV. MOENIBUS SURDIS CAMPANA MUTA Ursus palpa le feutre du chapeau, le drap du manteau, la serge du capingot, le cuir de l'esclavine, ne put douter de cette défroque, et d'un geste bref et impératif, sans dire un mot, désigna à maître Nicless la porte de l'inn. Maître Nicless ouvrit. Ursus se précipita hors de la taverne. Maître Nicless le suivit des yeux, et vit Ursus courir, autant que le lui permettaient ses vieilles jambes, dans la direction prise le matin par le wapentake emmenant Gwynplaine. Un quart d'heure après, Ursus essoufflé arrivait dans la petite rue o était l'arrière-guichet de la geôle de Southwark et où il avait passé déjà tant d'heures d'observation. Cette ruelle n'avait pas besoin de minuit pour être déserte. Mais, triste le jour, elle était inquiétante la nuit. Personne ne s'y hasardait passé une certaine heure. Il semblait qu'on craignît que les deux murs ne se rapprochassent, et qu'on eût peur, s'il prenait fantaisie à la prison et au cimetière de s'embrasser, d'être écrasé par l'embrassement. Effets nocturnes. Les saules tronqués de la ruelle Vauvert à Paris étaient de la sorte mal famés. On prétendait que la nuit ces moignons d'arbres se changeaient en grosses mains et empoignaient les passants. D'instinct le peuple de Southwark évitait, nous l'avons dit, cette rue entre prison et cimetière. Jadis elle avait été barrée la nuit d'une chaîne de fer. Très inutile; car la meilleure chaîne pour fermer cette rue, c'était la peur qu'elle faisait. Ursus y entra résolument. Quelle idée avait-il? Aucune. Il venait dans cette rue aux informations. Allait-il frapper la porte de la geôle? Non certes. Cet expédient effroyable et vain ne germait pas dans son cerveau. Tenter de s'introduire l pour demander un renseignement? Quelle folie! Les prisons n'ouvrent pas plus à qui veut entrer qu'à qui veut sortir. Leurs gonds ne tournent que sur la loi. Ursus le savait. Que venait-il donc faire dans cette rue? Voir. Voir quoi? Rien. On ne sait pas. Le possible. Se retrouver en face de la porte où Gwynplaine avait disparu, c'était déjà quelque chose. Quelquefois le mur le plus noir et le plus bourru parle, et d'entre les pierres une lueur sort. Une vague transsudation de clarté se dégage parfois d'un entassement fermé et sombre. Examiner l'enveloppe d'un fait, c'est être utilement aux écoutes. Nous avons tous cet instinct de ne laisser, entre le fait qui nous intéresse et nous, que le moins d'épaisseur possible. C'est pourquoi Ursus était retourné dans la ruelle où était l'entrée basse de la maison de force. Au moment où il s'engagea dans la ruelle, il entendit un coup de cloche, puis un second. Tiens, pensa-t-il, serait-ce déjà minuit? Machinalement, il se mit à compter: Trois, quatre, cinq. Il songea: IV. MOENIBUS SURDIS CAMPANA MUTA 277 L'homme Qui Rit Comme les coups de cette cloche sont espacés! quelle lenteur!Six. Sept. Et il fit cette remarque: Quel son lamentable!Huit, neuf.Ah! rien de plus simple. Être dans une prison, cela attriste une horloge.Dix.Et puis, le cimetière est là. Cette cloche sonne l'heure aux vivants et l'éternité aux morts.Onze.Hélas! sonner une heure à qui n'est pas libre, c'est aussi sonner une éternité!Douze. Il s'arrêta. Oui, c'est minuit. La cloche sonna un treizième coup. Ursus tressaillit. Treize! Il y eut un quatorzième coup. Puis un quinzième. Qu'est-ce que cela veut dire? Les coups continuèrent à longs intervalles. Ursus écoutait. Ce n'est pas une cloche d'horloge. C'est la cloche Muta. Aussi je disais: Comme minuit sonne longtemps! cette cloche ne sonne pas, elle tinte. Que se passe-t-il de sinistre? Toute prison autrefois, comme tout monastère, avait sa cloche dite muta, réservée aux occasions mélancoliques. La muta, «la muette», était une cloche tintant très bas, qui avait l'air de faire son possible pour n'être pas entendue. Ursus avait regagné l'encoignure commode au guet, d'où il avait pu, pendant une grande partie de la journée, épier la prison. Les tintements se suivaient, à une lugubre distance l'un de l'autre. Un glas fait dans l'espace une vilaine ponctuation. Il marque dans les préoccupations de tout le monde des alinéas funèbres. Un glas de cloche ressemble à un râle d'homme. Annonce d'agonie. Si, dans les maisons, ça et là, aux environs de cette cloche en branle, il y a des rêveries éparses et en attente, ce glas les coupe en tronçons rigides. La rêverie indécise est une sorte de refuge; on ne sait quoi de diffus dans l'angoisse permet quelque espérance de percer; le glas, désolant, précise. Cette diffusion, il la supprime, et, dans ce trouble, où l'inquiétude tâche de rester en suspens, il détermine des précipités. Un glas parle à chacun dans le sens de son chagrin ou de son effroi. Une cloche tragique, cela vous regarde. Avertissement. Rien de sombre comme un monologue sur lequel tombe cette cadence. Les retours égaux indiquent une intention. Qu'est-ce que ce marteau, la cloche, forge sur cette enclume, la pensée? Ursus, confusément, comptait, bien que cela n'eût aucun but, les tintements du glas. Se sentant sur un glissement, il faisait effort pour ne point ébaucher de conjectures. Les conjectures sont un plan incliné où l'on va inutilement trop loin. Néanmoins, que signifiait cette cloche? Il regardait l'obscurité à l'endroit où il savait qu'était la porte de la prison. IV. MOENIBUS SURDIS CAMPANA MUTA 278

« \24Comme les coups de cette cloche sont espacés! quelle lenteur!\24Six.

Sept. Et il fit cette remarque: \24Quel son lamentable!\24Huit, neuf.\24Ah! rien de plus simple.

Être dans une prison, cela attriste une horloge.\24Dix.\24Et puis, le cimetière est là.

Cette cloche sonne l'heure aux vivants et l'éternité aux morts.\24Onze.\24Hélas! sonner une heure à qui n'est pas libre, c'est aussi sonner une éternité!\24Douze. Il s'arrêta. \24Oui, c'est minuit. La cloche sonna un treizième coup. Ursus tressaillit. \24Treize! Il y eut un quatorzième coup.

Puis un quinzième. \24Qu'est-ce que cela veut dire? Les coups continuèrent à longs intervalles.

Ursus écoutait. \24Ce n'est pas une cloche d'horloge.

C'est la cloche Muta.

Aussi je disais: Comme minuit sonne longtemps! cette cloche ne sonne pas, elle tinte.

Que se passe-t-il de sinistre? Toute prison autrefois, comme tout monastère, avait sa cloche dite muta, réservée aux occasions mélancoliques.

La muta, «la muette», était une cloche tintant très bas, qui avait l'air de faire son possible pour n'être pas entendue. Ursus avait regagné l'encoignure commode au guet, d'où il avait pu, pendant une grande partie de la journée, épier la prison. Les tintements se suivaient, à une lugubre distance l'un de l'autre. Un glas fait dans l'espace une vilaine ponctuation.

Il marque dans les préoccupations de tout le monde des alinéas funèbres.

Un glas de cloche ressemble à un râle d'homme.

Annonce d'agonie.

Si, dans les maisons, ça et là, aux environs de cette cloche en branle, il y a des rêveries éparses et en attente, ce glas les coupe en tronçons rigides.

La rêverie indécise est une sorte de refuge; on ne sait quoi de diffus dans l'angoisse permet quelque espérance de percer; le glas, désolant, précise.

Cette diffusion, il la supprime, et, dans ce trouble, où l'inquiétude tâche de rester en suspens, il détermine des précipités.

Un glas parle à chacun dans le sens de son chagrin ou de son effroi.

Une cloche tragique, cela vous regarde.

Avertissement.

Rien de sombre comme un monologue sur lequel tombe cette cadence.

Les retours égaux indiquent une intention.

Qu'est-ce que ce marteau, la cloche, forge sur cette enclume, la pensée? Ursus, confusément, comptait, bien que cela n'eût aucun but, les tintements du glas.

Se sentant sur un glissement, il faisait effort pour ne point ébaucher de conjectures.

Les conjectures sont un plan incliné où l'on va inutilement trop loin.

Néanmoins, que signifiait cette cloche? Il regardait l'obscurité à l'endroit où il savait qu'était la porte de la prison.

L'homme Qui Rit IV.

MOENIBUS SURDIS CAMPANA MUTA 278. »

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