Devoir de Philosophie

L'homme Qui Rit Le loup, sous la table, soupait, inattentif à ce qui n'était point son os.

Publié le 12/04/2014

Extrait du document

L'homme Qui Rit Le loup, sous la table, soupait, inattentif à ce qui n'était point son os. Vinos et Fibi partageaient le repas, mais gênaient peu. Ces deux vagabondes, à demi sauvages et restées effarées, parlaient bréhaigne entre elles. Ensuite Dea rentrait au gynécée avec Fibi et Vinos. Ursus allait mettre Homo à la chaîne sous la Green-Box, et Gwynplaine s'occupait des chevaux, et d'amant devenait palefrenier, comme s'il eût été un héros d'Homère ou un paladin de Charlemagne. A minuit, tout dormait, le loup excepté, qui de temps en temps, pénétré de sa responsabilité, ouvrait un oeil. Le lendemain, au réveil, on se retrouvait; on déjeunait ensemble, habituellement de jambon et de thé; le thé, en Angleterre, date de 1678. Puis Dea, à la mode espagnole, et par le conseil d'Ursus qui la trouvait délicate, dormait quelques heures, pendant que Gwynplaine et Ursus faisaient tous les petits travaux du dehors et du dedans qu'exigé la vie nomade. Il était rare que Gwynplaine rôdât hors de la Green-Box, except dans les routes désertes et les lieux solitaires. Dans les villes, il ne sortait qu'à la nuit, caché par un large chapeau rabattu, afin de ne point user son visage dans la rue. On ne le voyait à face découverte que sur le théâtre. Du reste la Green-Box avait peu fréquenté les villes; Gwynplaine, à vingt-quatre ans, n'avait guère vu de plus grandes cités que les Cinq-ports. Sa renommée cependant croissait. Elle commençait à déborder la populace, et elle montait plus haut. Parmi les amateurs de bizarreries foraines et les coureurs de curiosités et de prodiges, on savait qu'il existait quelque part, à l'état de vie errante, tantôt ici, tantôt là, un masque extraordinaire. On en parlait, on le cherchait, on se demandait: Où est-ce? L'Homme qui Rit devenait décidément fameux. Un certain lustre, en rejaillissait sur Chaos vaincu. Tellement qu'un jour Ursus, ambitieux, dit Il faut aller à Londres. LIVRE TROISIÈME. COMMENCEMENT DE LA FÊLURE I. L'INN TADCASTER Londres n'avait à cette époque qu'un pont, le Pont de Londres, avec des maisons dessus. Ce pont reliait à Londres Southwark, faubourg pavé et caillouté avec des galets de la Tamise, tout en ruettes et ruelles, ayant des lieux fort serrés et, comme la cité, quantité de bâtisses, logis et cahutes de bois, pêle-mêle combustible où l'incendie a ses aises. 1666 l'avait prouvé. Southwark alors se prononçait Soudric; aujourd'hui on prononce Sousouorc, à peu près. Du reste, une excellente manière de prononcer les noms anglais, c'est de ne pas les prononcer du tout. Ainsi, Southampton, dites Stpntn. C'était le temps où Chatam se prononçait Je t'aime. Le Southwark de ce temps-là ressemble au Southwark d'aujourd'hui comme Vaugirard ressemble à Marseille. C'était un bourg; c'est une ville. Pourtant il s'y faisait un grand mouvement de navigation. Dans un long vieux mur cyclopéen sur la Tamise étaient scellés des anneaux où s'amarraient les coches de rivière. Ce LIVRE TROISIÈME. COMMENCEMENT DE LA FÊLURE 181 L'homme Qui Rit mur s'appelait le mur d'Effroc ou Effroc-Stone. York, quand elle était saxonne, s'appelait Effroc. La légende contait qu'un duc d'Effroc s'était noyé au pied de ce mur. L'eau en effet y était assez profonde pour un duc. A mer basse il y avait encore six bonnes brasses. L'excellence de ce petit mouillage attirait les navires de mer, et la vieille panse de Hollande, dite la Vograat, venait s'amarrer à l'Effroc-Stone. La Vograat faisait directement une fois par semaine la traversée de Londres à Rotterdam et de Rotterdam à Londres. D'autres coches partaient deux fois par jour, soit pour Deptfort, soit pour Greenwich, soit pour Gravesend, descendant par une marée et remontant par l'autre. Le trajet jusqu'à Gravesend, quoique de vingt milles, se faisait en six heures. La Vograat était d'un modèle qu'on ne voit plus aujourd'hui que dans les musées de marine. Cette panse était un peu une jonque. En ce temps-là, pendant que la France copiait la Grèce, la Hollande copiait la Chine. La Vograat, lourde coque à deux mâts, était cloisonnée étanche perpendiculairement, avec une chambre très creuse au milieu du bâtiment et deux tillacs, l'un l'avant, l'autre à l'arrière, pontés ras, comme les vaisseaux de fer à tourelle d'aujourd'hui, ce qui avait l'avantage de diminuer la prise du flot sur le navire dans les gros temps, et l'inconvénient d'exposer l'équipage aux coups de mer, à cause de l'absence de parapet. Rien n'arrêtait au bord celui qui allait tomber. De là de fréquentes chutes et des pertes d'hommes qui ont fait abandonner ce gabarit. La pause Vograat allait droit en Hollande et ne faisait même pas escale à Gravesend. Une antique corniche de pierre, roche autant que maçonnerie, longeait le bas de l'Effroc-Stone, et, praticable à toute mer, facilitait l'abord des bateaux amarrés au mur. Le mur était de distance en distance coupé d'escaliers. Il marquait la pointe sud de Southwark. Un remblai permettait aux passants de s'accouder au haut de l'Effroc-Stone comme au parapet d'un quai. De là on voyait la Tamise. De l'autre côté de l'eau, Londres cessait. Il n'y avait plus que des champs. En amont de l'Effroc-Stone, au coude de la Tamise, presque vis-à-vis le palais de Saint-James, derrière Lambeth-House, non loin de la promenade appelée alors Foxhall (vaux-hall probablement), il y avait, entre une poterie où l'on faisait de la porcelaine et une verrerie où l'on faisait des bouteilles peintes, un de ces vastes terrains vagues où l'herbe pousse, appelés autrefois en France cultures et mails, et en Angleterre bowling-greens. De bowling-green, tapis vert à rouler une boule, nous avons fait boulingrin. On a aujourd'hui ce pré-là dans sa maison; seulement on le met sur une table, il est en drap au lieu d'être en gazon, et on l'appelle billard. Du reste, on ne voit pas pourquoi, ayant boulevard (boule-vert), qui est le même mot que bowling-green, nous nous sommes donné boulingrin. Il est surprenant qu'un personnage grave comme le dictionnaire ait de ces luxes inutiles. Le bowling-green de Southwark s'appelait Tarrinzeau-field, pour avoir appartenu jadis aux barons Hastings, qui sont barons Tarrinzeau and Mauchline. Des lords Hastings, le Tarrinzeau-field avait passé aux lords Tadcaster, lesquels l'avaient exploité en lieu public, ainsi que plus tard un duc d'Orléans a exploité le Palais-Royal. Puis le Tarrinzeau-field était devenu vaine pâture et propriété paroissiale. Le Tarrinzeau-field était une sorte de champ de foire permanent, encombré d'escamoteurs, d'équilibristes, de bateleurs, et de musiques sur des tréteaux, et toujours plein d'imbéciles qui «viennent regarder le diable», comme disait l'archevêque Sharp. Regarder le diable, c'est aller au spectacle. Plusieurs inns, qui prenaient et envoyaient du public à ces théâtres forains, s'ouvraient sur cette place fériée toute l'année et y prospéraient. Ces inns étaient de simples échoppes, habitées seulement le jour. Le soir le tavernier mettait dans sa poche la clef de la taverne, et s'en allait. Un seul de ces inns était une maison. Il n'y avait pas d'autre logis dans tout le bowling-green, les baraques du champ de foire pouvant toujours disparaître d'un moment à l'autre, vu l'absence d'attache et le vagabondage de tous ces saltimbanques. Les bateleurs ont une vie déracinée. LIVRE TROISIÈME. COMMENCEMENT DE LA FÊLURE 182

« mur s'appelait le mur d'Effroc ou Effroc-Stone.

York, quand elle était saxonne, s'appelait Effroc.

La légende contait qu'un duc d'Effroc s'était noyé au pied de ce mur.

L'eau en effet y était assez profonde pour un duc.

A mer basse il y avait encore six bonnes brasses.

L'excellence de ce petit mouillage attirait les navires de mer, et la vieille panse de Hollande, dite la Vograat, venait s'amarrer à l'Effroc-Stone.

La Vograat faisait directement une fois par semaine la traversée de Londres à Rotterdam et de Rotterdam à Londres.

D'autres coches partaient deux fois par jour, soit pour Deptfort, soit pour Greenwich, soit pour Gravesend, descendant par une marée et remontant par l'autre.

Le trajet jusqu'à Gravesend, quoique de vingt milles, se faisait en six heures. La Vograat était d'un modèle qu'on ne voit plus aujourd'hui que dans les musées de marine.

Cette panse était un peu une jonque.

En ce temps-là, pendant que la France copiait la Grèce, la Hollande copiait la Chine.

La Vograat, lourde coque à deux mâts, était cloisonnée étanche perpendiculairement, avec une chambre très creuse au milieu du bâtiment et deux tillacs, l'un l'avant, l'autre à l'arrière, pontés ras, comme les vaisseaux de fer à tourelle d'aujourd'hui, ce qui avait l'avantage de diminuer la prise du flot sur le navire dans les gros temps, et l'inconvénient d'exposer l'équipage aux coups de mer, à cause de l'absence de parapet.

Rien n'arrêtait au bord celui qui allait tomber.

De là de fréquentes chutes et des pertes d'hommes qui ont fait abandonner ce gabarit.

La pause Vograat allait droit en Hollande et ne faisait même pas escale à Gravesend. Une antique corniche de pierre, roche autant que maçonnerie, longeait le bas de l'Effroc-Stone, et, praticable à toute mer, facilitait l'abord des bateaux amarrés au mur.

Le mur était de distance en distance coupé d'escaliers.

Il marquait la pointe sud de Southwark.

Un remblai permettait aux passants de s'accouder au haut de l'Effroc-Stone comme au parapet d'un quai.

De là on voyait la Tamise.

De l'autre côté de l'eau, Londres cessait.

Il n'y avait plus que des champs. En amont de l'Effroc-Stone, au coude de la Tamise, presque vis-à-vis le palais de Saint-James, derrière Lambeth-House, non loin de la promenade appelée alors Foxhall (vaux-hall probablement), il y avait, entre une poterie où l'on faisait de la porcelaine et une verrerie où l'on faisait des bouteilles peintes, un de ces vastes terrains vagues où l'herbe pousse, appelés autrefois en France cultures et mails, et en Angleterre bowling-greens.

De bowling-green, tapis vert à rouler une boule, nous avons fait boulingrin.

On a aujourd'hui ce pré-là dans sa maison; seulement on le met sur une table, il est en drap au lieu d'être en gazon, et on l'appelle billard. Du reste, on ne voit pas pourquoi, ayant boulevard (boule-vert), qui est le même mot que bowling-green, nous nous sommes donné boulingrin.

Il est surprenant qu'un personnage grave comme le dictionnaire ait de ces luxes inutiles. Le bowling-green de Southwark s'appelait Tarrinzeau-field, pour avoir appartenu jadis aux barons Hastings, qui sont barons Tarrinzeau and Mauchline.

Des lords Hastings, le Tarrinzeau-field avait passé aux lords Tadcaster, lesquels l'avaient exploité en lieu public, ainsi que plus tard un duc d'Orléans a exploité le Palais-Royal.

Puis le Tarrinzeau-field était devenu vaine pâture et propriété paroissiale. Le Tarrinzeau-field était une sorte de champ de foire permanent, encombré d'escamoteurs, d'équilibristes, de bateleurs, et de musiques sur des tréteaux, et toujours plein d'imbéciles qui «viennent regarder le diable», comme disait l'archevêque Sharp.

Regarder le diable, c'est aller au spectacle. Plusieurs inns, qui prenaient et envoyaient du public à ces théâtres forains, s'ouvraient sur cette place fériée toute l'année et y prospéraient.

Ces inns étaient de simples échoppes, habitées seulement le jour.

Le soir le tavernier mettait dans sa poche la clef de la taverne, et s'en allait.

Un seul de ces inns était une maison.

Il n'y avait pas d'autre logis dans tout le bowling-green, les baraques du champ de foire pouvant toujours disparaître d'un moment à l'autre, vu l'absence d'attache et le vagabondage de tous ces saltimbanques.

Les bateleurs ont une vie déracinée.

L'homme Qui Rit LIVRE TROISIÈME.

COMMENCEMENT DE LA FÊLURE 182. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles