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Mithridate. Racine. ACTE III. SCENE PREMIERE

Publié le 12/07/2011

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racine

MITHRIDATE. Approchez, mes enfants. Enfin l'heure est venue Qu'il faut que mon secret éclate à votre vue A mes nobles projets, je vois tout conspirer; Il ne me reste plus qu'à vous les déclarer. Le Bosphore m'a vu, par de nouveaux apprêts, Ramener la terreur du fond de ses marais, Et chassant les Romains de l'Asie étonnée, Renverser en un jour l'ouvrage d'une année. D'autres temps, d'autres soins. L'Orient accablé Ne peut plus soutenir leur effort redoublé. Il voit plus que jamais ses campagnes couvertes De Romains que la guerre enrichit de nos pertes. Des biens des nations ravisseurs altérés, Le bruit de nos trésors les a tous attirés: Ils y courent en foule; et jaloux l'un de l'autre, Désertent leur pays pour inonder le nôtre. Moi seul je leur résiste. Ou lassés, ou soumis, Ma funeste amitié pèse à tous mes amis : Chacun à ce fardeau veut dérober sa tête. Le grand nom de Pompée assure sa conquête: C'est l'effroi de l'Asie; et loin de l'y chercher, C'est à Rome, mes fils, que je prétends marcher. Ce dessein vous surprend; et vous croyez peut-être Que le seul désespoir aujourd'hui le fait naître. J'excuse votre erreur: et pour être approuvés, De semblables projets veulent être achevés. Ne vous figurez point que de cette contrée Par d'éternels remparts Rome soit séparée. Je sais tous les chemins par où je dois passer; Et si la mort bientôt ne me vient traverser, Sans reculer plus loin l'effet de ma parole, Je vous rends dans trois mois au pied du Capitole. Doutez-vous que l'Euxin ne me porte en deux jours Aux lieux où le Danube y vient finir son cours? Que du Scythe avec moi l'alliance jurée De l'Europe en ces lieux ne me livre l'entrée? Recueilli dans leurs ports, accru de leurs soldats,  Nous verrons notre camp grossir à chaque pas. Daces, Pannoniens, la fière Germanie, Tous n'attendent qu'un chef contre la tyrannie. Et vous les verrez tous, prévenant son ravage, Guider dans l'Italie et suivre mon passage. C'est là qu'en arrivant, plus qu'en tout le chemin, Vous trouverez partout l'horreur du nom romain, Et la triste Italie encor toute fumante Des feux qu'a rallumés sa liberté mourante. Non, Princes, ce n'est point au bout de l'univers Que Rome fait sentir tout le poids de ses fers; Et de près inspirant les haines les plus fortes, Tes plus grands ennemis, Rome, sont à tes portes. Ah! s'ils ont pu choisir pour leur libérateur Spartacus, un esclave, un vil gladiateur, S'ils suivent au combat des brigands qui les vengent, De quelle noble ardeur pensez-vous qu'ils se rangent, Sous les drapeaux d'un roi longtemps victorieux, Qui voit jusqu'à Cyrus remonter ses aïeux? Que dis-je? En quel état croyez-vous la surprendre? Vide de légions qui la puissent défendre, Tandis que tout s'occupe à me persécuter, Leurs femmes, leurs enfants pourront-ils m'arrêter? Marchons; et dans son sein rejetons cette guerre Que sa fureur envoie aux deux bouts de la terre. Attaquons dans leurs murs ces conquérants si fiers; Qu'ils tremblent, à leur tour, pour leurs propres foyers. Annibal l'a prédit, croyons-en ce grand homme. Jamais on ne vaincra les Romains que dans Rome. Noyons-la dans son sang justement répandu. Brûlons ce Capitole où j'étais attendu. Détruisons ses honneurs et faisons disparaître La honte de cent rois, et la mienne peut-être ; Et la flamme à la main effaçons tous ces noms Que Rome y consacrait à d'éternels affronts.

L'ensemble. — La pièce de Mithridate met en valeur les fortes qualités de Racine, écrivain politique et peintre d'histoire. Ce grand poète, qui a su exprimer les sentiments féminins dans toute leur tendresse ou toute leur ardeur, fait preuve ici d'une admirable éloquence patriotique. Il analyse très bien, d'une part, l'état d'âme de l'un de ces souverains en butte à la haine des Romains, et, d'autre part, il fait un exposé remarquable de clarté, de vie et de vérité sur la politique romaine et l'opposition qu'elle rencontrait chez les dernières nations indépendantes. C'est à la fois la peinture d'un grand caractère et un tableau d'histoire de premier ordre. On y sent vibrer toute l'ardeur du patriotisme opprimé. Ce passage est à comparer avec le « Paysan du Danube « de La Fontaine; Racine s'élève, comme La Fontaine, au nom de la liberté des peuples, contre tous les conquérants. 

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