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J'aurai tout manqué, même ma mort. Edmond Rostand

Publié le 22/02/2012

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Cette phrase est prononcée par Cyrano de Bergerac au cours de la dernière scène (scène 6) de l'acte V, dans la «comédie héroïque» d'Edmond Rostand (1868-1918) intitulée Cyrano de Bergerac. Dans cette pièce, représentée pour la première fois à Paris, au Théâtre de la Porte Saint-Martin, avec un succès triomphal, le 28 décembre 1897, Edmond Rostand renoue avec un genre très proche de ce que le XVII' siècle dénommait la tragi-comédie. En fait, c'est Pierre Corneille qui invente le terme de « comédie héroïque», afin de faire valoir l'originalité de sa pièce, Don Sanche d'Aragon, représentée en 1649. A en croire Corneille, Don Sanche d'Aragon est une comédie, non parce qu'elle fait rire, mais parce qu'elle évite de provoquer terreur et pitié, deux émotions qui, selon Aristote (philosophe grec du IVe siècle avant notre ère) distinguent la tragédie de la comédie.
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« «Le coq jaloux monte sur ses ergots, pour un combat suprême; sa queue a l'air d'un pan de manteau que relève uneépée.

Il défie, le sang à la crête, tous les coqs du ciel.

» Ragueneau, dans la pièce de Rostand, souligne la parenté métaphorique avec le coq : «Feutre à panache triple et pourpoint à six basquesCape que par derrière, avec pompe, l'estocLève, comme une queue insolente de coq » (acte I, scène 2, v.

109 à 111) On s'en persuade aisément, dès l'acte I, l'attitude caractéristique de Cyrano est le défi : c'est en brandissant lamenace d'un duel à l'épée, que Cyrano chasse le comédien Montfleury des tréteaux; il défie même le parterre duthéâtre («Et j'adresse un défi collectif au parterre, acte I, scène 4, v.

222).

On le verra provoquer en duel levicomte de Valvert, qu'il touche, comme prévu, à la fin de l'envoi de sa ballade, soit au dernier vers; le mousquetaireest aussi un poète et un beau parleur, qui conquiert par le verbe autant que par l'épée.

Au théâtre, il détourne sursa personne le spectacle; et sa rhétorique souple, variée, incisive, fait immédiatement rire le parterre et les damesdes loges.

Plus tard, le comte de Guiche, pourtant affairé et pressé, sera berné mais saura honorer le conteur d'uncompliment : «Mes compliments, Monsieur l'inventeur des machines.Votre récit eût fait s'arrêter au portailDu paradis, un saint! Notez-en le détailCar vraiment cela peut resservir dans un livre!»(acte III, scène 14, v.

513-516) Cyrano parle comme un livre ! La pièce est émaillée de plaisanteries et de morceaux de bravoure, dont le pluscélèbre est la tirade du nez (acte I, scène 4).

C'est justement en cette circonstance que Cyrano fait étalage de sesdons de comédien et se donne en spectacle au public venu assister à la pièce de Baro, La Clorise.

Et il réussit, parses paroles, à captiver le public en retournant contre l'agresseur l'injure faite à son nez.

L'insulteur, devenu insulté,reçoit la «pointe» verbale (attaque blessante mais spirituelle) et, peu après, la «pointe» de l'épée qui le «touche» àla fin de l'envoi de la ballade.Le défi n'était pas gagné d'avance.

Or Cyrano triomphe.

Il est permis de se demander si l'originalité du personnageconçu par Rostand ne tient pas, justement, pour l'essentiel, à ce jeu théâtral.

Prétextant son long nez, infirmitéirréparable, Cyrano joue un rôle en permanence; il ne peut être lui-même que sous le masque d'un autre, ce qui luipermet de s'imposer par le geste, l'attitude, le comportement agressif et spirituel.

A défaut de sympathie oud'amour, il obtient respect et considération en se faisant haïr : « Déplaire est mon plaisir.

J'aime qu'on me haïsse.» (acte II, scène 8, v.

411) En d'autres termes, toute son existence est tributaire de l'approbation d'un public qu'à toute force il doit réunir en lesubjuguant et auquel il prête la fonction d'un miroir : en mal de dédoublement, Cyrano adhère à l'image « héroïque »qu'il lui est loisible de contempler dans le miroir.

Non seulement il empêche la représentation de la pièce de Baro enattirant sur lui tous les regards des spectateurs présents, le spectacle ayant lieu au parterre, mais, de plus, à la finde ce premier spectacle, il en prépare un autre en invitant les comédiens, privés de leur rôle, à venir assister à unduel d'un nouveau genre : Lignière ayant besoin de son aide, il affrontera cent spadassins postés en embuscade.

Cequ'il concerte, en l'occurrence, c'est un spectacle à l'italienne, une commedia dell'arte entremêlée à une «comédiehéroïque» à l'espagnole héritée de Lope de Vega (1562-1635).

Les grelots du tambour de basque (le tambourin)accompagnent de leur tintement le ronflement sérieux et grave du tambour : «Venez tous, le Docteur, Isabelle, Léandre,Tous! Car vous allez joindre, essaim charmant et fol,La farce italienne à ce drame espagnol,Et, sur son ronflement tintant un bruit fantasque,L'entourer de grelots comme un tambour de basque!»(acte I, scène 7, v.

592-596) Si le nez disgracieux de Cyrano constitue, en définitive, un prétexte, ou, mieux, un alibi, l'échec apparent dupersonnage se double d'un triomphe manifeste, sur une autre scène que celle du monde, le jeu théâtral rétablissantl'identité compromise sur le plan héroïque.Peut-on affirmer que Cyrano se trouve mis en situation d'échec dans ses rapports avec Roxane, seule femme àlaquelle il témoigne de l'amour ? Bien que Christian soit aimé sur sa belle mine, par le truchement d'un échange deregards («Nos yeux seuls ont communiqué», précise Roxane, acte II, scène 6, v.

192), il est de plus en plus flagrantqu'il ne saurait longtemps donner le change sur son indigence spirituelle devant cette femme éprise de beau langage. »

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