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Le seul engagement possible, pour l'écrivain, c'est la littérature. Alain Robbe-Grillet.

Publié le 22/02/2012

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Fortement contesté par la critique à l'occasion de la publication de ses premiers livres, Alain Robbe-Grillet, qui s'affirme comme le chef de file de ce que l'on nommera le « nouveau roman», prit la parole dans la presse pour défendre sa conception de la littérature et répondre aux attaques dont il avait été l'objet. Entre octobre 1955 et février 1956, il est ainsi l'auteur de neuf articles publiés dans L'Express et qui sont pour lui l'occasion de définir, à l'attention d'un large public, l'esthétique romanesque déroutante dont procèdent ses deux premiers ouvrages : Les Gommes (1953) et Le Voyeur (1955). Feront suite à ces textes d'autres articles qui, remaniés ou repris tels quels, figureront dans le seul ouvrage proprement théorique dont Robbe-Grillet ait jamais été l'auteur : Pour un nouveau roman (1963, Minuit).
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« Et à l'appui de sa thèse, Robbe-Grillet souligne ce que fut son attitude au moment de la guerre d'Algérie.

En tantque citoyen, il accepta courageusement de signer, avec Sartre et Breton notamment, le Manifeste des 121 quiinvitait les jeunes Français à la désertion.

Mais en tant qu'écrivain, il se refusa à introduire quelque allusion que cesoit aux événements politiques dans le scénario du film d'Alain Resnais L'Année dernière à Marienbad dont il étaitl'auteur.

Est-ce à dire que le nouveau roman constituerait comme une version avant-gardiste de l'antique et réactionnairethéorie de l'Art pour l'Art ? La réalité est en fait plus complexe.Robbe-Grillet refuse en effet un art militant qui se soumettrait servilement aux mots d'ordre politiques.

Mais il aspireà une littérature qui, en restant fidèle à elle-même, serait éventuellement en mesure de transformer le regard quenous posons sur le réel.

La perspective d'un impact politique du roman figure en effet dans toutes les déclarationsde Robbe-Grillet et notamment dans le passage de «Nouveau roman, homme nouveau» cité plus haut.

De même, onlit dans « Sur quelques notions périmées » :« Redonnons donc à la notion d'engagement le seul sens qu'elle peut avoir pour nous.

Au lieu d'être de naturepolitique, l'engagement c'est, pour l'écrivain, la pleine conscience des problèmes actuels de son propre langage, laconviction de leur extrême importance, la volonté de les résoudre de l'intérieur.

C'est là, pour lui, la seule chance dedemeurer un artiste et, sans doute aussi, par voie de conséquence obscure et lointaine, de servir un jour peut-êtreà quelque chose — peut-être même à la révolution.»De quelle nature sera ce lointain et hypothétique impact du nouveau roman sur la réalité historique ? Se refusant auconfort des certitudes, à la rassurante présence du sens, le nouveau roman vise en fait à déstabiliser les systèmesde signification trop pleins et trop sûrs d'eux-mêmes.

Construisant des récits qui échappent à toute lectureunivoque, il jette le doute sur tout récit clos sur lui-même : discours philosophique, idéologique ou autre.

Dans Le Miroir qui revient (1985), ouvrage mi-romanesque mi-autobiographique, Robbe-Grillet rapporte comment,issu d'une famille pétainiste, il a compris au sortir de la guerre que, derrière l'ordre d'un discours, la cohérence d'unsystème — celui du nazisme ou du stalinisme —, pouvait se dissimuler l'oppression.

La Vérité — au sens monolithiqueet dogmatique du mot — est alors l'ennemi que l'écrivain doit s'assigner :« Le dogmatisme n'est rien d'autre que le discours serein de la vérité (sûre de soi-même, pleine et sans partage).

Lepenseur traditionnel était homme de vérité mais, naguère encore, il pouvait croire de bonne foi que le règne du vraiavançait de pair — même but, mêmes combats, mêmes ennemis — avec tout progrès de la liberté humaine...

Belleutopie, belle tromperie, qui éclaira l'aube euphorique de notre société bourgeoise, comme un siècle plus tard celle dusocialisme scientifique naissant.

Nous savons hélas ! aujourd'hui où mène cette science-là.

La vérité, en fin decompte, n'a jamais servi qu'à l'oppression.

Trop d'espoirs, de déboires misérables et de paradis sanglants nousapprennent en tout cas à nous méfier d'elle.»On comprend mieux dès lors ce que doit être la fonction de l'écrivain.

Non pas construire par ses livres un nouveauet rassurant système de vérité mais, tout à l'inverse, produire, par l'écriture, un dispositif dans lequel toute valeurde vérité se trouve automatiquement déséquilibrée.

Le roman ne plaide donc plus pour aucune cause politique mais,ce faisant, de manière plus souterraine et peut-être plus efficace, il sape le socle même à partir duquel se déploienttous les discours pervers de l'embrigadement et de la servitude.

Écrire sur rien devient révéler ce rien que toutes lesidéologies visent à dissimuler en leur sein pour y substituer la valeur unique qui les fonde.

Faire éclater le récitconduit à manifester l'éclatement d'une réalité que tous les dogmatismes cherchent à faire rentrer dans lacohérence et l'homogénéité pernicieuses de la vision du monde qu'ils cherchent à nous imposer. Tel est l'engagement ultime du nouveau roman.

Par le travail formel auquel il se livre, par l'exploration de tous lespossibles dans laquelle il s'engage, il se fait critique de tous les systèmes de sens, en dévoile les mécanismes, endéborde les limites, en déséquilibre toutes les certitudes, participant ainsi de cette sortie hors de « L'Empire du Récit» que, de manière énigmatique, Jean Ricardou prophétisait à la dernière page de son Nouveau Roman (Seuil, 1978).. »

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