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Ton bonheur, tu le trouveras seulement sur une scène. Jean Renoir

Publié le 22/02/2012

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Inspiré d'une pièce de théâtre de Mérimée (1803- 1870) intitulée Le Carrosse du Saint-Sacrement (1829), le film de Jean Renoir (1894-1979) d'où est extraite la phrase ci-dessus, Le Carrosse d'or, a été tourné en 1952, après une très longue préparation. C'est une co-production anglo-américaine en technicolor, qui a été réalisée entièrement à Rome, à Cinecittà. Présenté au public en 1953, le film a suscité une certaine réserve de la part de la critique mais aussi l'enthousiasme de certains connaisseurs. Deux thèmes fondamentaux sont mis en évidence dans ce film : l'authenticité de la relation amoureuse et le lien qui unit le théâtre et la vie.
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« d'être elle-même, les trois prétendants voudraient pouvoir confiner Camilla dans un rôle de femme-objet, possessionexclusive de l'heureux élu.

Sous ce rapport, la jalousie de Félipe n'est pas moins possessive et aliénante que celle deRamôn; quant au vice-roi, il semble être le seul qui soit en mesure de matérialiser le prix qu'il attache à la femmequ'il convoite, en lui offrant le carrosse d'or.Cet objet réel et, plus encore, symbolique, est le signe éclatant de la richesse et du prestige inhérents à lapuissance et à la faveur du prince, aussi est-il l'enjeu d'âpres rivalités.

Or c'est à l'issue d'une profonde remise encause de son existence de femme que Camilla se résout — ô pieux sacrilège — à déposer le précieux objet entre lesmains de l'évêque, représentant du pouvoir — considérable —, de l'Eglise et autorité morale et spirituelleincontestée.Renonçant au carrosse, Camilla reçoit la caution morale et spirituelle de l'Eglise, mais aussi de la société toutentière, dont elle se retranche néanmoins en se libérant des vaines attaches qui rendent sa condition aliénée.Camilla rayonne d'une ferveur quasi sacrée : la femme séduisante s'est convertie en une actrice vouée à la grandeurde son art, avec la bénédiction de l'Eglise, dont la réprobation séculaire envers les comédiens est de notoriétépublique.C'est dire qu'elle a consenti au sacrifice d'une vanité tout extérieure, non pour se vouer à Dieu mais, comme le lui ditle directeur de la troupe, pour se découvrir elle-même dans une communion avec autrui de deux petites heures, qui,loin d'être un appauvrissement, constitue un accomplissement suprême.

S'oublier soi-même, c'est donc renoncer àun rôle factice et vain, au profit d'un rôle de théâtre qui, seul, permet l'accès à la découverte de soi et au bonheurd'être soi-même.Le théâtre (ou l'art, le cinéma, par exemple, aux yeux de Renoir) s'impose comme le moyen de connaître la vérité etle bonheur.

Cette ligne de force, toute l'oeuvre de Renoir en fait saillir la vigueur, dès Le Déjeuner sur l'herbe, oùl'oeil ironique et tendre de la caméra met en scène des personnages encore corsetés par l'éducation reçue, maisdont la gaillarde minauderie s'affirme au contact de la nature.Dans Boudu sauvé des eaux (1932), pour la première fois, l'irréalisme mensonger d'une existence bourgeoise setrouve dénoncé chez M.

Lestingois qui, recueillant chez lui son « double » déchaîné, se voit confronté avec cettepart de lui-même désavouée par son propre conformisme. Dans La Règle du jeu (1939), les apparences volent en éclats et paraissent, après coup, dérisoires.

La relationamoureuse, sous ce rapport, constitue le révélateur de l'ambivalence qui divise l'être humain, partagé entre un rôled'apparat, purement extérieur, et une vérité saisie de l'intérieur.Dans Madame Bovary (1933), par exemple, Renoir dénonce l'illusion romantique de Madame Bovary, son évasion dansla grande passion, le sublime, le pur imaginaire dont les apparences sont le support factice.

Toutes ces œuvres nouspersuadent que le monde est un théâtre, où chacun joue un rôle aliénant qu'il appartient à l'artiste et à son art demettre à nu en levant les masques, en suggérant, du même coup, que l'homme est un être dissocié entre une imageconvenue qu'il présente aux autres et une réalité authentique à révéler.Dans Le Carrosse d'or, tout est mouvement et changement.

Seul importe l'instant du vécu et de la sensation, ceque souligne la mobilité de la caméra, mais tout est, en même temps, transitoire et incertain.

Ainsi, Camilla nerepousse pas ses soupirants, elle se montre même honorée par leurs hommages.

Elle doit pourtant se décider à faireun choix et elle le fait sans déchirement tragique.En fait, elle choisit la vérité de son art, seule valeur fixe, seul absolu dans un monde voué à l'instabilité et au relatif.En particulier, la passion amoureuse fait l'objet d'une réflexion critique et même ironique : les partenaires de Camilla,loin d'être transfigurés par l'idéalisation propre à la passion, se comportent comme des marionnettes.

Ou, plutôt, ilstrouvent place sur la scène du théâtre où se joue la commedia dell'arte.

Camilla, sous l'habit de Colombine, côtoieArlequin, Polichinelle, le Docteur, Isabelle.Ces personnages typés figurent la représentation stylisée de la comédie sociale qui se joue en dehors des tréteaux.Dans Ma vie et mes films, Renoir confesse qu'il a voulu «traiter ce film comme une pantalonnade» (Pantalon est unpersonnage grotesque de la comédie italienne).Quelle que soit la souplesse de l'improvisation, le jeu des comédiens dell'arte demeure tributaire d'un canevas, demodèles fixes (gestes, technique du dialogue, costumes etc.); c'est cette combinaison d'un style très libre et destéréotypes, qui permet d'unir la vie extérieure au spectacle d'une part et le spectacle théâtral d'autre part, desorte que la comédie se joue aux deux scènes, le théâtre et le monde.Camilla joue sa vie autant qu'elle la vit, sur l'une et l'autre scène, dans un va-et-vient significatif.

Le choixsymbolique de Camilla est instructif : l'acteur recrée dans la vérité de son art, le monde où il vit, ce qui lui confèreoutre la maîtrise et la possession de lui-même, un certain détachement, puisqu'il s'efface derrière le rôle socialcontraint d'en reconnaître la facticité.L'acteur, selon Renoir, doit s'oublier pour se trouver.

Renoir mettait lui-même en application une méthode qu'il avaitempruntée au théâtre italien; elle consiste à demander aux acteurs, dès les premières répétitions, de « dire les motssans les jouer», de telle sorte que les acteurs connaissent parfaitement leur texte et s'en pénètrent.Alors seulement, il était permis d'entreprendre l'interprétation du texte avec son corps, dans l'espace scénique : lavérité du personnage exige de l'acteur l'effacement, le retrait, l'oubli de soi, dans un premier temps, pour que, dansun second temps, l'acteur, « habité» par son rôle, soit capable de se métamorphoser en un personnage, tout autreet pourtant le, même.Il est très révélateur qu'Anna Magnani ait illustré ce processus, à son corps défendant.

Comme elle arrivait, audébut, exténuée, des poches sous les yeux, incapable de se rappeler son rôle, Renoir finit par déclarer, avecdiplomatie, qu'il allait devoir renoncer à répéter et à tourner dans ces conditions, d'autant plus que la grandecomédienne arrivait très tard sur le plateau n° 5 de Cinecittà, où le film a été entièrement tourné.Dans Entretiens et propos, Renoir déclare qu'à la quatrième ou cinquième répétition seulement, Anna Magnani qui,sans doute, n'avait pas dormi de la nuit, commençait à se transformer.

Dans Ma vie et mes films, Renoir précise :. »

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