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Une œuvre où il y a des théories est comme un objet sur lequel on laisse la marque du prix Proust

Publié le 01/10/2018

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► Sur cette indépendance nécessaire de l’art par rapport à la théorie, Proust s’est, à de nombreuses reprises, exprimé. Dans son essai inachevé Contre Sainte-Beuve qu’il rédigea en 1908-1910, tout d’abord et où, en conclusion, on trouve ce passage qu’on peut sans doute considérer comme l’ébauche des thèses présentées dans Le Temps retrouvé:

 

«Car il n’y a que les personnes qui ne savent pas ce que c’est que la profondeur et qui, voyant à tout moment des banalités, des faux raisonnements, des laideurs, ne les perçoivent pas mais s’enivrent de l’éloge de la profondeur, qui disent: “Voilà de l’art profond!”, de même que quand quelqu’un dit tout le temps: “Ah! moi je suis franc, moi je n’envoie pas dire ce que je pense, tous nos beaux messieurs sont des flatteurs, moi je suis un rustre”, et fait illusion aux gens qui ne savent pas, un homme délicat sait que ces déclarations n’ont rien à voir avec la vraie franchise en art. C’est comme en morale: la prétention ne peut être réputée pour le fait. Au fond, toute ma philosophie revient, comme toute philosophie vraie, à justifier, à reconstruire ce qui est. (En morale, en art, on ne juge plus seulement un tableau sur ses prétentions à la grande peinture et la valeur morale d’un homme sur ses discours.) Le bon sens des artistes, le seul critérium de la spiritualité d’une œuvre, c’est le talent. »

 

Juger une œuvre sur le talent littéraire qu’elle manifeste et non sur les ambitions théoriques qu’elle affiche: voilà, en somme, le principe que pose Proust et auquel il restera fidèle. D’où la condamnation qu’il prononce des grandes théories — art populaire ou art patriotique — littéraires dont il est le contemporain dans Le Temps retrouvé :

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« troublé -notamment celles que la critique avait déve­ loppées au moment de l'affaire Dreyfus et avait reprises pendant la guerre, et qui tendaient à "faire sortir l'ar­ tiste de sa tour d'ivoire", et à traiter de sujets non frivoles ni sentimentaux, mais peignant de grands mou­ vements ouvriers, et, à défaut de foules, à tout le moins non plus d'insignifiants oisifs ("J'avoue que la peinture de ces inutiles m'indiffère assez", disait Bloch), mais de nobles intellectuels, ou des héros.

D'ailleurs même avant de discuter leur contenu logique, ces théories me paraissaient dénoter chez ceux qui les soutenaient une preuve d'infériorité, comme un enfant vraiment bien élevé qui entend des gens chez qui on l'a envoyé déjeu­ ner dire: "Nous avouons tout, nous sommes francs", sans que cela dénote une qualité morale inférieure à la bonne action pure et simple, qui ne dit rien.

L'art véritable n'a que faire de tant de proclamations et s'ac­ complit dans le silence.

» Proust continue en rappelant qu'ambition théorique et qualité littéraire vont rarement de pair et que c'est à la qualité du langage, et non à l'expression directe d'une conception de l'esthétique, que se révèle le «travail intellectuel et moral>> dont une œuvre témoigne.

Il faut résister à cette «grande indélicatesse>> qu'est «la gros­ sière tentation pour l'écrivain d'écrire des œuvres intellec­ tuelles>>.

L'idée, on le voit, est la suivante: la force d'une œuvre dépend du travail littéraire propre qui s'y donne à lire et non de sa soumission à un quelconque dogme ou de sa «densité» théorique.

Bien davantage, la présence de la théorie dans l'œuvre, loin d'ajouter quoi que ce soit, est préjudiciable à la qualité même du texte: la théorie renchérit inutilement, lourdement, sur ce que le texte, s'il est bon, déjà manifeste.

Pour revenir à notre citation, l'œuvre littéraire est un cadeau dont la beauté doit être suffisante pour pouvoir. »

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