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Gustave Flaubert, Madame Bovary, Ire partie, Chapitre VII

Publié le 31/03/2011

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À travers la lecture de romans sentimentaux, Emma avait rêvé dfun grand amour. Elle vient d'épouser Charles Bovary. Elle songeait quelquefois que c'étaient là pourtant les plus beaux jours de sa vie, la lune de miel, comme on disait. Pour en goûter la douceur, il eût fallu, sans doute, s'en aller vers ces pays à noms sonores où les lendemains de mariage ont de plus suaves paresses ! Dans des chaises de poste, sous des stores de soie bleue, on monte au pas de routes escarpées, écoutant la chanson du postillon, qui se répète dans la montagne avec les clochettes des chèvres et le bruit sourd de la cascade. Quand le soleil se couche, on respire au bord des golfes le parfum des citronniers ; puis, le soir, sur la terrasse des villas, seuls et les doigts confondus, on regarde les étoiles en faisant des projets. Il lui semblait que certains lieux sur la terre devaient produire du bonheur, comme une plante particulière au sol et qui pousse mal tout autre part. Que ne pouvait-elle s'accouder sur le balcon des chalets suisses ou enfermer sa tristesse dans un cottage écossais, avec un mari vêtu d'un habit de velours noir à longues basques, et qui porte des bottes molles, un chapeau pointu et des manchettes ! Peut-être aurait-elle souhaité faire à quelqu'un la confidence de toutes ces choses. Mais comment dire un insaisissable malaise, qui change d'aspect comme les nuées, qui tourbillonne comme le vent ? Les mots lui manquaient donc, l'occasion, la hardiesse. Si Charles l'avait voulu, cependant, s'il s'en fût douté, si son regard, une seule fois fût venu à la rencontre de sa pensée, il lui semblait qu'une abondance subite se serait détachée de son cœur, comme tombe la récolte d'un espalier, quand on y porte la main. Mais, à mesure que se serrait davantage l'intimité de leur vie, un détachement intérieur se faisait qui la déliait de lui. Gustave Flaubert, Madame Bovary, Ire partie, Chapitre VII, 1857.

QUESTIONS question 1 Quel est le sentiment dominant d'Emma exprimé dans le premier paragraphe ? Justifiez votre réponse en étudiant l'emploi des temps et l'utilisation de l'exclamation question 2 Plusieurs expressions dans le texte montrent la banalité des rêves d'Emma. Relevez-en quatre.

  

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« fourmille de ces idées toutes faites, de ces clichés qui gâchent tout.

Le texte comporte quelques expressionscommunes parfaitement creuses comme « les plus beaux jours de sa vie », « pays à noms sonores », « suavesparesses », « stores de soie bleue », « routes escarpées », « chanson du postillon », « clochettes des chèvres », «les doigts confondus », « faisant des projets ». Toutes ces expressions, qui sont le plus souvent utilisées par les auteurs de romans populaires, sont en outrechoisies par l'auteur pour certaines assonances ridicules qu'elles comportent. question 3 Dans un développement organisé d'une trentaine de lignes, vous montrerez comment le narrateur présente les rêveset les regrets d'Emma et porte un jugement sur eux. Vous pourrez vous appuyer sur l'emploi du conditionnel, du pronom « on », sur le caractère des lieux et dessituations rêvés par l'héroïne.

(6 points) Madame Bovary présente plus particulièrement les rêves et les regrets d'Emma Bovary, une jeune femme du milieudu xixe siècle, qu'un romantisme exacerbé et de façade conduit à la mort.

Dans le texte présenté, Flaubert use denombreux traits de style pour faire partager à son lecteur ses propres sentiments concernant cette femme, devenuemalgré elle une héroïne célèbre. Nous avons déjà eu l'occasion de signaler la part et l'importance des expressions toutes faites employées par Emma.A côté de celles-ci l'auteur insiste sur la banalité des pensées de la jeune femme à l'aide d'autres moyensstylistiques, comme l'emploi répété du pronom indéfini « on », répété à quatre reprises dans le premier paragraphe.Ce pronom est repris ici intentionnellement par Flaubert, pour attirer l'attention du lecteur sur l'absence de penséespersonnelles chez cette femme.

Ce qu'elle pense pourrait être le fait de n'importe qui. Son manque d'originalité est encore renforcé dans ce texte par' l'emploi de certaines formes temporellessurcomposées, comme le conditionnel passé deuxième forme (employé à trois reprises dans le texte), dont l'emploidifficile est là pour marquer l'écart croissant entre la réalité du quotidien d'Emma, et l'irréalité des songes qu'ellealimente aux illusions qu'elle a longuement nourries sur elle-même. Ses illusions ont pour source des confusions de valeur bien indiquées par l'emploi de la conjonction de comparaison «comme » dans la phrase « il lui semblait...

tout autre part ».

Cette absence de pensée personnelle est bien une desorigines du malheur de cette femme.

Dans le premier paragraphe, l'emploi répété de l'article indéfini pluriel « des »permet à l'auteur d'insister sur une des caractéristiques psychologiques d'Emma qui ne pense que par emprunt et quiest incapable de saisir la qualité unique des situations qu'elle vit.

Pour montrer tout ce qui ne va pas dans la tête, mais aussi dans le cœur de cette femme, pour accentuerl'imperceptible tremblement permanent de sa raison, Flaubert choisit des verbes comme songer et souhaiter, ou bienencore comme sembler (repris deux fois).

La vie d'Emma est bien cette suite confuse de regrets et de manques,comme nous le montre l'usage de l'interrogation dans la deuxième phrase du deuxième paragraphe.

Cette phraseinterrogative sert en outre à introduire la troisième et dernière phrase de ce court paragraphe, dans laquelleFlaubert porte clairement son jugement sur cette femme. Flaubert s'attache dans ce texte à faire la description de l'« insaisissable malaise » qui envahit toute femme déçue.S'il insiste aussi longuement sur les regrets de son héroïne, c'est pour mieux se permettre de porter un regardcritique sur ses idées stéréotypées, sur ses jugements tout faits.

Par touches successives, à l'aide des pronoms, dujeu des temps des verbes, d'un choix parfois cruel de situation improbables, il en arrive peu à peu à nous fairepartager son jugement sur Emma.. »

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