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cet interminable feuilleton qui brouille les amis, électrise les débats parlementaires, fait casser les assiettes dans les dîners de famille, et menace plus d'une fois de dégénérer en guerre civile.

Publié le 06/01/2014

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famille
cet interminable feuilleton qui brouille les amis, électrise les débats parlementaires, fait casser les assiettes dans les dîners de famille, et menace plus d'une fois de dégénérer en guerre civile. Deux France face à face. D'un côté, les dreyfusards : une poignée de proches tenaces ; une association, « la Ligue des droits de l'homme », fondée alors pour fédérer ces forces ; quelques intellectuels (le mot est né à l'époque), certains déjà reconnus comme Zola ou Anatole France ou en passe de le devenir comme Charles Péguy ou Léon Blum ; et d'autres grands noms politiques, surtout de gauche, mais pas seulement. De nombreux socialistes, comme le leader Jules Guesde, ont été longtemps hésitants : ces histoires d'officiers sont des affaires de bourgeois qui ne concernent pas les ouvriers. Jaurès, l'autre chef socialiste, a d'abord pensé comme eux, puis il a pris le parti de la justice, en devenant l'un des défenseurs les plus acharnés de l'innocent puni. Dans ce camp, on fait feu de tout bois pour arriver à ses fins, on va sonner à toutes les portes, on utilise tous les recours juridiques possibles, mais on agit toujours au nom d'un principe simple : qu'importe l'appartenance sociale, communautaire, administrative de Dreyfus, qu'importe si la manifestation de la vérité éclabousse les institutions qui ont voulu la cacher, un innocent est un innocent. En face, les antidreyfusards. Chez eux, on compte quelques délirants comme Drumont, l'antisémite forcené dont on reparlera, ou l'ultrapatriote Déroulède, un exalté du drapeau et du « clairon » - c'est le titre de son poème le plus célèbre -, on croise quelques leaders extrémistes comme Charles Maurras, le futur chef de l'Action française, créée alors. Mais aussi bien des gens qui étaient censés n'être ni délirants, ni extrémistes : de grands écrivains, comme Maurice Barrès, ou de plus médiocres, comme Paul Bourget, et des puissants, les gens de bien, les installés, les académiciens, les évêques, les généraux, tous ceux qui se vivent comme raisonnables, et le seront bien peu. Au départ, la position de la plupart d'entre eux peut se concevoir : ils sont tout simplement convaincus de la culpabilité du condamné. Le point étonnant est que plus les faits la démentent, plus ils en font la preuve de leur certitude. Ainsi, par exemple, leur réaction en 1898, après le revirement spectaculaire du colonel Henry, qui confesse publiquement avoir lui-même forgé une pièce à charge, est écroué et se suicide. Qu'est-ce que cela prouve à nos yeux aujourd'hui ? Que Henry est un malfaisant qui a accepté de tromper la justice pour accabler un innocent. Qu'est-ce que cela prouve à leurs yeux ? Que Henry est un héros qui a voulu sauver l'honneur du pays contre ce Dreyfus et ses amis qui continuent à vouloir le salir : dans les journaux hostiles au capitaine, le papier truqué s'appelle le « faux patriotique ». On l'a compris, il ne s'agit plus de penser, il s'agit de croire. Au cours de cette histoire, les antidreyfusards ont montré que l'extrême nationalisme qui les animait n'était pas une opinion fondée, mais une mystique face à laquelle plus rien ne valait, ni la justice, ni la vérité, ni le droit. Antisémitisme L'affaire Dreyfus, ce feuilleton palpitant, est fascinante en soi. Ceux qui s'y intéressent liront avec bonheur le saisissant récit qu'en a donné l'avocat Jean-Denis Bredin, dans un livre devenu un classique : L'Affaire1. Elle est aussi passionnante pour ce qu'elle nous dit d'une problématique plus générale qui n'a toujours pas fini de nous interpeller : « l'identité nationale ». L'idée de nation, on l'a vu, est née avec la Révolution française. Comme nous le rappelle Gérard Noiriel, un des meilleurs spécialistes de cette question2, c'est seulement à la fin du xixe siècle qu'elle devient aussi obsédante. Le suffrage universel, les progrès de l'instruction publique, la diffusion plus grande de la presse ont créé un sentiment plus fort d'unité et d'appartenance à une patrie commune. Mais aussi les grands changements de régime, qui ont chamboulé le pays, l'établissement difficile de la république - toujours très contestée - ont donné lieu à des crispations autour de cette question. Qu'est-ce qu'être français ? Qui l'est, qui ne l'est pas ? Si « l'Affaire » prend un tour aussi passionnel, si elle continue à nous parler aujourd'hui, c'est parce qu'elle catalyse les forces contraires. Certaines sont haineuses. « À mort le traître, à mort les Juifs ! » crie la foule le jour de la dégradation du capitaine, à l'École militaire. L'affaire Dreyfus déclenche les poussées d'une fièvre alors nouvelle sous cette forme : l'antisémitisme. L'hostilité envers les Juifs en Occident ne date pas d'hier, mais elle reposait, au Moyen Âge, sur des bases religieuses : le Juif, pour le chrétien, était celui qui avait « tué le Christ » ou tout bonnement celui qui s'obstinait à refuser de l'accepter comme le Messie. Le plus souvent, ce que l'on demandait aux Juifs - parfois avec une terrible violence, comme au moment des croisades - était d'accepter cette vérité, c'est-à-dire de se convertir. À la fin du xixe siècle, cet « antijudaïsme », comme on l'appelle aujourd'hui, existe toujours dans les milieux catholiques, mais il se double d'une détestation nouvelle qui a emprunté d'autres chemins. Entre autres, au milieu du xixe, celui de l'extrême gauche. Vers les années 1850, dans certains milieux socialistes, chez Proudhon, ou surtout chez un certain Toussenel, un élève de Fourier, se dessine une figure : celle du riche Juif oppresseur du peuple. On y retrouve en filigrane de très vieux préjugés, ceux qui veulent que le Juif soit toujours un usurier. Mais ils sont adaptés à l'époque. Parce que certains Juifs célèbres sont des financiers - les Rothschild sont les plus connus -, on vise à faire de tous les symboles des nouveaux ennemis du peuple, la finance et le capitalisme. Évidemment, l'immense majorité des grands banquiers de l'époque ne sont pas juifs, et l'immense majorité des Juifs sont pauvres, en particulier les petits artisans ou les misérables ouvriers du textile qui vont arriver en France dans les années 1880 pour fuir les persécutions terribles attisées par les tsars et leur police en Russie. Quelle importance ? Pour les assommer, une grande partie de la société a trouvé une autre matraque, forgée dans les délires pseudo-rationalistes d'un siècle qui croyait tout résoudre par la science, et était prêt à lui faire dire n'importe quoi : la race. La notion est tout aussi fantasmatique mais, à ce moment-là, la plupart des gens en sont persuadés : de même qu'il y a des races jaune ou noire - autres présupposés également balayés depuis -, il y a une « race sémite », opposée à celle des « Aryens ». On le comprend, le concept fait évoluer la phobie : on ne reproche plus à l'autre sa croyance, on lui reproche ce qu'on estime être sa nature. Cette pensée est encore diverse et confuse, elle va être rassemblée et exploser véritablement en 1886 grâce à un immense succès de librairie, La France juive d'Édouard Drumont. Gérard Noiriel nous explique comment ce libelle à nos yeux illisible et souvent grotesque, écrit par un petit journaliste alors inconnu, va devenir un incroyable best-seller en étant littéralement adoubé par la presse « respectable » et quelques notables des lettres, comme l'écrivain Alphonse Daudet. Nous ne sommes plus du tout, cette fois, dans les petits milieux de l'extrême gauche mais de l'autre côté du spectre politique, au coeur de la droite catholique antirépublicaine. La thèse que défend Drumont arrive pour eux à point nommé. Le triomphe de la République et de ses valeurs a écrasé le monde qui était le leur. Le pamphlétaire leur apporte sur un plateau le nom du responsable de leur malheur, le Juif. Il est le coupable idéal puisqu'à leurs yeux il représente tout ce qu'ils détestent : le capitalisme moderne destructeur de leur univers ancien ; l'ennemi du Christ qui, avec les francs-maçons, veut détruire l'Église ; l'apatride qui sape par sa présence même les fondements de la France éternelle. En quelques années, l'antisémitisme, hier encore dans les marges, devient une opinion proclamée avec une fierté impensable aujourd'hui : il y a des livres antisémites, des chansons antisémites, des candidats antisémites aux élections. L'Église, soucieuse de reconquérir un plus vaste public, a lancé grâce aux Assomptionnistes un nouveau grand journal, La Croix. Il sera sous titré « le journal le plus anti-juif de France ». Et jamais ni lui ni aucun des titres plus populaires qui vont pêcher dans les mêmes eaux ne lésineront à se servir d'une explication du monde qui nous semble délirante, et qui, précisément, est d'autant plus redoutable qu'elle l'est. Qu'il se produise n'importe quel scandale politico-financier - la IIIe République en connaît d'innombrables -, la presse antisémite déclenche un jeu qu'elle ne perd jamais. S'il se trouve à quelque niveau de l'affaire un protagoniste qu'elle estime juif, elle oublie évidemment qu'il y en a vingt à côté qui ne le sont pas : une fois de plus, « ils » sont coupables ! Si aucun n'apparaît, c'est encore plus évident : « ils » adorent le secret, si « ils » n'apparaissent pas, c'est bien la preuve qu'« ils » y sont encore. Avec Dreyfus, tout concorde au-delà même de leurs espérances : la trahison, l'argent, et avec ça l'espionnage au profit de l'Allemagne, c'est-à-dire l'ennemi absolu depuis la guerre de 1870. Pourquoi des preuves, pourquoi des enquêtes ? Le crime est signé. Le capitaine est français, on pourrait même dire qu'il l'est doublement, puisqu'il appartient à une de ces familles qui ont choisi de quitter l'Alsace après 1871 pour ne pas devenir allemandes ; il est d'un patriotisme sans faille, chauvin, souvent buté comme le sont la plupart des militaires à l'époque. Pour les antisémites, il est juif, il n'y a donc pas à chercher plus loin. Dès l'arrestation, le journal de Drumont s'enflamme et l'accable. Bien plus tard, quand les preuves de l'innocence s'accumulent, Maurice Barrès, le chef des nationalistes, ne se démonte aucunement. Il écrit : « Que Dreyfus est capable de trahir, je le conclus de sa race. » Xénophobie À la haine des Juifs, dans ces dernières décennies du l'Affaire, mais tout aussi présente : celle de l'étranger. xixe siècle, s'en ajoute une autre, moins frontale dans La xénophobie est une maladie ancienne et commune à de nombreux peuples. À cette époque, elle aussi prend une forme plus moderne - celle que nous connaissons toujours -, la haine du travailleur immigré. Eux non plus ne sont pas une nouveauté dans le pays. Sous la monarchie de Juillet, puis sous le Second Empire, d'innombrables Allemands, fuyant la pauvreté, sont venus se placer dans les grandes villes, en particulier comme tailleurs, domestiques ou bonnes. La plupart d'entre eux ont fui avec les débuts de la guerre de 1870, ou se sont sentis obligés de changer leur nom, ou de mentir sur leur origine. Dans le Sud-Ouest, on compte depuis longtemps de nombreux Espagnols. Sur la frontière des Alpes, des Suisses. Les nécessités de l'économie et la faiblesse de la démographie amplifient ce mouvement et conduisent, dans les années 1880, à une grande vague d'immigration comparable à celles que l'on verra dans les années 1920 ou après la Seconde Guerre mondiale. La France compte alors plus d'un million d'étrangers, nous rappelle l'Histoire des étrangers et de l'immigration3. Les deux populations les plus nombreuses sont les Belges dans la France du Nord et les Italiens dans celle du Sud. Les bases du ressentiment à leur égard sont économiques : on en veut à ces concurrents qui prennent les emplois et font chuter les salaires en acceptant de travailler à n'importe quelle condition. Les formes qu'il prend sont brutales. Les Italiens, tout particulièrement, en sont victimes. Dans les journaux, dans une partie de l'opinion publique, ils sont toujours écrasés sous d'éternels stéréotypes. Les macaronis sont des criminels en puissance, des pouilleux sans feu ni lieu, des bagarreurs toujours prêts à sortir le couteau, à qui, en outre, les milieux ouvriers plutôt déchristianisés reprochent leur bigoterie et leur soumission aux prêtres : en argot, on les appelle les christos. On notera au passage que les préjugés contre les immigrés du xxe puis du xxie n'ont guère changé, à un détail près : on continue toujours de leur reprocher leur religion, mais le plus souvent ce n'est pas la même. Parfois les tensions explosent. Les circonstances sont diverses. En 1881, la France et l'Italie s'opposent car elles veulent toutes deux mettre la main sur la Tunisie : le débarquement des troupes françaises à Marseille fournit le prétexte de manifestations anti-italiennes, qui dégénèrent en violences contre les Italiens de la ville - vingt blessés, trois morts. D'autres débordements auront lieu en 1894 quand Sadi Carnot, le président de la République, sera assassiné par un anarchiste italien. Les plus graves se sont produites un an seulement auparavant, au mois d'août 1893, à Aigues-Mortes : un véritable pogrom d'une sauvagerie inouïe est organisé contre les ouvriers italiens, dont huit seront assassinés et cinquante blessés. Les responsables seront jugés quelques mois plus tard et acquittés. Le sol fait un Français L'antisémitisme et la xénophobie ne sont pas identiques, les fantasmes à l'oeuvre ne sont pas les mêmes, mais il y a des ponts entre les deux. La « France juive » de Drumont a un ennemi principal, désigné par le titre du livre. Un autre est toujours présenté comme l'allié du précédent, et conspirant comme lui à la perte du pays. Il s'agit de Gambetta, qui, aux yeux de l'auteur, a deux tares : il est républicain et il est fils d'étranger. Le grand leader de la IIIe République était en effet né à Cahors de parents italiens qui tenaient une épicerie dans cette ville et il choisit la naturalisation à l'âge de vingt et un ans. À l'époque de l'affaire Dreyfus, Gambetta est mort - il a disparu prématurément en 1882. L'obsession xénophobe se retourne contre un autre fils d'Italien : Émile Zola. Sitôt que le grand écrivain se jette dans le combat pour défendre l'officier juif, les antidreyfusards s'en donnent à coeur joie. Maurice Barrès, toujours : « Qu'est-ce que Monsieur Émile Zola ? Je le regarde à ses racines, cet homme-là n'est pas français. » Eh bien si, il l'était. Et la résolution de l'affaire Dreyfus, d'une certaine manière, a apporté une claire réponse aux insinuations de Barrès et à ses conceptions. En matière de nationalité, quelques années avant l'arrestation du capitaine, la loi a déjà tranché. En 1889, un grand texte a été voté qui a élargi un vieux principe pour en faire la base de l'obtention de la qualité de Français : le droit du sol. Un enfant d'étranger né en France et qui y réside au moment de sa majorité devient automatiquement français. Il ne faut pas se méprendre sur l'apparente générosité de cette loi. Elle est surtout très intéressée. On vient de rétablir la conscription, on se prépare à une nouvelle guerre, on a besoin de soldats. Le texte a avant tout pour but de contraindre tous les jeunes nés sur le territoire au service militaire. Pour autant, en mettant ainsi tout le monde à la même enseigne, il a l'immense avantage de contredire formellement toute « ethnicisation » de la nationalité. L'« Affaire », et surtout la façon dont elle se termine, ajoute un étage à cet édifice. Bien sûr antisémitisme et xénophobie continueront à sévir. Ces deux fléaux régneront même en maîtres pendant l'Occupation, lors de la parenthèse de « l'État français » du maréchal Pétain, qui fera du racisme un des fondements de sa politique. Mais le dénouement du grand épisode judiciaire dont on vient de parler les aura déportés à l'extrême droite de la vie politique. Le « dreyfusisme », comme on l'a appelé, est issu d'un minuscule cénacle d'individus courageux et obstinés. Il devient au début des années 1900 une opinion dominante : toutes les élections donnent des majorités aux partis dirigés par ses deux plus grandes voix, les radicaux de Clemenceau et les socialistes de Jaurès. Avec la réhabilitation du capitaine, la République tout entière finit par trancher clairement. Les catholiques, la droite, en se ralliant peu à peu au régime au cours du xxe siècle, vont faire leurs les principes qui ont été posés alors. Dreyfus fera la guerre de 1914, puis mourra un peu oublié en 1935. Le colonel Picquart, qui a refusé de taire la vérité, a été réhabilité en même temps que le capitaine ; il devient ministre de la Guerre de Clemenceau et décède stupidement d'un accident de cheval au début de 1914. Zola n'aura pas vu la fin de l'histoire, il est mort en 1902, mais il entre au panthéon en 1920. De leur côté, Barrès peut aller manger ses racines avec qui il veut et Déroulède sonner son clairon dans l'enfer des causes perdues. La philosophie nationale est posée, elle est toujours la nôtre : en France, il n'y a pas de citoyens que leur origine, leur famille religieuse, leur sang rendraient plus citoyens que d'autres. Il n'y a pas de valeurs prétendument sacrées qui vaillent qu'on cache la vérité et qu'on punisse un
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« Évidemment, l’immensemajoritédesgrands banquiers del’époque nesont pasjuifs, etl’immense majoritédes Juifs sont pauvres, enparticulier lespetits artisans oules misérables ouvriersdutextile quivont arriver enFrance dans lesannées 1880pourfuirlespersécutions terriblesattiséesparlestsars etleur police enRussie.

Quelle importance ? Pourlesassommer, unegrande partiedelasociété atrouvé uneautre matraque, forgéedansles délires pseudo-rationalistes d’unsiècle quicroyait toutrésoudre parlascience, etétait prêtàlui faire dire n’importe quoi :larace.

Lanotion esttout aussi fantasmatique mais,àce moment-là, laplupart desgens ensont persuadés : demême qu’ilya des races jaune ounoire –autres présupposés égalementbalayésdepuis–,ilya une « race sémite », opposéeàcelle des« Aryens ».

Onlecomprend, leconcept faitévoluer laphobie : onnereproche plus àl’autre sa croyance , on luireproche cequ’on estime êtresa nature . Cette pensée estencore diverse etconfuse, ellevaêtre rassemblée etexploser véritablement en1886 grâce àun immense succèsdelibrairie, La France juive d’Édouard Drumont.GérardNoirielnousexplique comment ce libelle ànos yeux illisible etsouvent grotesque, écritparunpetit journaliste alorsinconnu, vadevenir un incroyable best-seller enétant littéralement adoubéparlapresse « respectable » etquelques notablesdeslettres, comme l’écrivain Alphonse Daudet.Nousnesommes plusdutout, cette fois,dans lespetits milieux del’extrême gauche maisdel’autre côtéduspectre politique, aucœur deladroite catholique antirépublicaine.

Lathèse que défend Drumont arrivepoureuxàpoint nommé.

Letriomphe delaRépublique etde ses valeurs aécrasé lemonde qui était leleur.

Lepamphlétaire leurapporte surunplateau lenom duresponsable deleur malheur, leJuif.

Ilest le coupable idéalpuisqu’à leursyeuxilreprésente toutcequ’ils détestent : lecapitalisme modernedestructeur de leur univers ancien ; l’ennemi duChrist qui,avec lesfrancs-maçons, veutdétruire l’Église ;l’apatride quisape par sa présence mêmelesfondements delaFrance éternelle. En quelques années,l’antisémitisme, hierencore danslesmarges, devientuneopinion proclamée avecunefierté impensable aujourd’hui : ilya des livres antisémites, deschansons antisémites, descandidats antisémites aux élections.

L’Église,soucieuse dereconquérir unplus vaste public, alancé grâce auxAssomptionnistes unnouveau grand journal, La Croix . Il sera sous titré« lejournal leplus anti-juif deFrance ».

Etjamais nilui niaucun des titres pluspopulaires quivont pêcher danslesmêmes eauxnelésineront àse servir d’une explication dumonde qui nous semble délirante, etqui, précisément, estd’autant plusredoutable qu’ellel’est.Qu’ilseproduise n’importe quelscandale politico-financier –la IIIe République enconnaît d’innombrables –,lapresse antisémite déclenche unjeu qu’elle neperd jamais.

S’ilsetrouve àquelque niveaudel’affaire unprotagoniste qu’elleestime juif, elleoublie évidemment qu’ilyen avingt àcôté quinelesont pas : unefoisdeplus, « ils » sontcoupables ! Si aucun n’apparaît, c’estencore plusévident : « ils »adorent lesecret, si« ils » n’apparaissent pas,c’est bienla preuve qu’« ils » ysont encore. Avec Dreyfus, toutconcorde au-delàmêmedeleurs espérances : latrahison, l’argent,etavec çal’espionnage au profit del’Allemagne, c’est-à-direl’ennemiabsoludepuis laguerre de1870.

Pourquoi despreuves, pourquoi des enquêtes ? Lecrime estsigné. Le capitaine estfrançais, onpourrait mêmedirequ’il l’estdoublement, puisqu’ilappartient àune deces familles qui ont choisi dequitter l’Alsace après1871pournepas devenir allemandes ; ilest d’un patriotisme sansfaille, chauvin, souventbutécomme lesont laplupart desmilitaires àl’époque.

Pourlesantisémites, ilest juif, iln’y a donc pasàchercher plusloin.

Dèsl’arrestation, lejournal deDrumont s’enflamme etl’accable.

Bienplustard, quand lespreuves del’innocence s’accumulent, MauriceBarrès,lechef desnationalistes, nesedémonte aucunement.

Ilécrit : « Que Dreyfus estcapable detrahir, jeleconclus desarace. » Xénophobie À la haine desJuifs, danscesdernières décennies duxixe  siècle, s’enajoute uneautre, moins frontale dans l’Affaire, maistoutaussi présente : celledel’étranger. La xénophobie estune maladie ancienne etcommune àde nombreux peuples.Àcette époque, elleaussi prend une forme plusmoderne –celle quenous connaissons toujours–,lahaine dutravailleur immigré. Eux non plus nesont pasune nouveauté danslepays.

Souslamonarchie deJuillet, puissous leSecond Empire, d’innombrables Allemands,fuyantlapauvreté, sontvenus seplacer danslesgrandes villes,enparticulier comme tailleurs, domestiques oubonnes.

Laplupart d’entre euxontfuiavec lesdébuts delaguerre de1870, ousesont sentis obligés dechanger leurnom, oudementir surleur origine.

DansleSud-Ouest, oncompte depuislongtemps de nombreux Espagnols.

Surlafrontière desAlpes, desSuisses.

Lesnécessités del’économie etlafaiblesse dela démographie amplifientcemouvement etconduisent, danslesannées 1880,àune grande vagued’immigration comparable àcelles quel’onverra danslesannées 1920ouaprès laSeconde Guerremondiale.

LaFrance compte alors plusd’un million d’étrangers, nousrappelle l’ Histoire desétrangers etde l’immigration 3 .

Les deux populations lesplus nombreuses sontlesBelges danslaFrance duNord etles Italiens danscelleduSud. Les bases duressentiment àleur égard sontéconomiques : onenveut àces concurrents quiprennent lesemplois. »

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