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« cousins » - ou lorsqu'elle parlait de certaines « tantes » ou « oncles » - elle faisait référence à des parents dont le lien avec moi, mes frères et ma soeur, était en fait assez lointain - à supposer qu'il y eût même un lien véritable.

Publié le 06/01/2014

Extrait du document

« cousins » - ou lorsqu'elle parlait de certaines « tantes » ou « oncles » - elle faisait référence à des parents dont le lien avec moi, mes frères et ma soeur, était en fait assez lointain - à supposer qu'il y eût même un lien véritable. J'avais donc admis de bonne foi que cette jeune femme, séduisante à certains égards, avec ses cheveux noirs bouffants autour d'un visage languide, était liée à la famille Jaeger d'une manière ou d'une autre, et que je devais être gentil avec elle. Je voulais être gentil avec elle de toute façon, parce que en dépit de ma jeunesse, je sentais que l'attention qu'elle m'accordait avait quelque chose de spécial. Il a des yeux d'un bleu ! disait-elle à ma mère, avec intensité. Et elle était en effet très sérieuse. Seul mon grandpère, pour autant qu'on ait pu le savoir, était en mesure de la faire rire, mon grand-père qui l'appelait, pour se moquer un peu d'elle, Yona geblonah ! et lui racontait des histoires scandaleuses dans des langues que je ne comprenais pas alors. Et puis mon grand-père avait épousé la première des trois femmes qui allaient succéder à ma grand-mère, et à la place de Yona, vinrent chez nous pendant l'été Rose tout d'abord, Alice ensuite, et enfin Ray, Raya, avec le tatouage sur l'avant-bras, Raya qui s'arrangeait toujours pour occuper la chaise de mon père à la tête de la table et feignait la surprise quand il restait debout près d'elle, la regardant de haut avec un air impatient, au début du repas, Raya qui, lorsqu'elle se mettait à manger, se penchait sur son assiette comme si elle avait craint, même alors, que quelqu'un lui prît sa nourriture ; et c'est peut-être à cause de toutes ces épouses que nous avons en quelque sorte perdu la trace de Yona, qui avait cessé de venir nous voir à Long Island vers la fin des années 1960 et que nous n'avons plus jamais revue. Dans les années 1960, nous avons eu aussi la première visite d'Elkana. Il était alors jeune, sombre, assez fringant ; son habileté à obtenir de la police locale d'être transporté jusqu'à notre maison en hélicoptère m'avait fait l'effet d'être un reflet de son importance dans le monde, de son prestige. Elkana n'était pas très grand - aucun Jäger ne l'était, ou du moins l'aije cru jusqu'à ce que j'en sache plus - mais il avait une présence et une autorité comparables à celles de mon grand-père. C'était à la fois perturbant et satisfaisant pour moi de voir cette personnalité familière à présent assumée par quelqu'un d'autre, traduite sur ce visage plus jeune, subtil et rusé, avec ces yeux amusés et cette moustache superbe, en quelque chose de vaguement exotique. Lorsqu'il venait nous voir, parfois seul et parfois avec sa superbe épouse, Ruthie, qui, avions-nous appris, les yeux écarquillés, n'avait jamais coupé ses cheveux et me laissait la regarder, certains jours, quand elle relevait ses longues tresses blondes sur sa tête, chaque matin, dans notre salle de bains au carrelage bleu, Elkana nous promettait que si nous venions le voir en Israël, il nous faciliterait les choses et que tout serait merveilleux, première classe. Avec moi, disait-il, vous (il prononçait fous) n'aurez rien à faire simplement descendre de l'avion - pas de douane, pas d'immigration, pas de contrôle des passeports, rien. Fous me laissez m'occuper de tout ! Sa voix était posée, amusée, autoritaire, pimentée par l'accent israélien quand il parlait l'anglais, les voyelles citronnées et les consonnes bourdonnantes. Dehniel, m'appelait-il. Tous mes foeux ! disait-il en partant ou en terminant une conversation téléphonique En 1973, peu de temps après ma bar-mitsva, mes parents l'ont finalement pris au mot pour son invitation. J'étais heureux de les voir partir : mon grand-père et Raya allaient nous garder tous les cinq pendant que mon père et ma mère seraient absents. Qu'ils aient Israël. J'avais mon grand-père. Mes parents avaient projeté ce voyage depuis longtemps, parce que mon grand-père voulait que ma mère rencontrât son frère, son frère adoré qu'il aimait plus que tout. A l'automne de 1972, quand l'organisation de ma bar-mitsva pour le mois d'avril suivant a commencé à prendre forme, mes parents ont aussi commencé à projeter le premier voyage à l'étranger, le voyage en Israël, tant attendu et tant repoussé. Mais en décembre de cette année-là, Oncle Itzhak est mort. Né avec le siècle, il avait soixante-douze ans. Ce fut un choc dévastateur pour ma mère d'avoir été si près de la rencontre avec un parent légendaire - quatre mois seulement aurait tout changé - et de se voir dénier à jamais la possibilité d'établir un contact avec lui. Deux mois après sa mort, des amis proches de la famille étaient partis pour Israël, et comme c'étaient des amis intimes ils avaient passé un peu de temps avec Elkana. Ils étaient revenus de ce voyage avec une précieuse cargaison : parmi les nombreuses diapositives qu'ils avaient prises pendant leur séjour, il y en avait quelques-unes de la tombe d'Itzhak. Un soir, peu de temps avant le départ de mes parents pour Israël, nous avions organisé une projection dans notre salle de séjour et là, sur les murs blancs immaculés de notre maison, était apparu ce qui avait été ma première perception du nom de « Jäger », tel qu'il était inscrit en hébreu sur une pierre tombale - perception que je n'aurais pas de nouveau avant trente ans ou presque, lorsque dans le cimetière en friches de Bolechow nous tomberions par hasard sur la tombe de la cousine éloignée de mon grand-père et d'Itzhak, Chaya Sima Jäger, née Kasczka. Sur le mur de la salle de séjour de mes parents, s'affichaient, très agrandies, les lettres suivantes :     Très peu de temps après ma bar-mitsva, à l'occasion de laquelle ma voix s'était brisée de façon si humiliante sur les derniers mots de ma haftarah, mes parents s'étaient envolés pour TelAviv. Sur ce voyage, il y a naturellement de nombreuses histoires. Ma mère aime raconter, par exemple, comment elle et mon père, tout comme l'avait promis Elkana des années auparavant, s'étaient vu épargner la queue à la douane et avaient été emmenés dans une voiture qui les attendait ; l'affection instantanée qu'avaient échangée mon père si cérébral et la vieille Tante Miriam, l'intellectuelle polyglotte dont le sionisme fervent, nous le savions, avait été la cause du salut de sa famille ; les visites secrètes de nuit dans les quartiers arabes où les restaurants étaient sans égal, les nuits sans fin avec les amis dans la cosmopolite Tel-Aviv (c'était choquant pour moi d'entendre ces histoires parce que, n'ayant pas vraiment eu la curiosité de lire quoi que ce fût sur le sujet, je croyais encore que le pays entier n'était qu'un océan d'immeubles d'habitation en béton). Et elle parlait de leur visite à Haïfa, où vivaient Tante Miriam et son autre enfant, Bruria, la soeur d'Elkana - Miriam à l'étage et Bruria et sa famille au rez-dechaussée -, et de la façon dont, alors que différents groupes d'amis et de parents de Miriam et de Bruria venaient rendre visite aux cousins américains, elle (ma mère) montait et descendait les escaliers, comme le personnage d'une farce, montait et descendait toute la journée, pour s'assurer de passer le plus de temps possible avec chaque groupe de parents. Un détail en particulier avait capté mon intérêt. Oh, Daniel, avait dit ma mère, lorsqu'elle et mon père avaient appelé brièvement d'Israël pour voir comment nous allions, tu devrais voir l'album de photos de Tante Miriam ! Elle a la photo de mariage de Tante Jeanette, celle que j'ai perdue, elle porte une robe entièrement en dentelles que les Mittelmark lui avaient achetée. Elle est tellement belle ! Alors qu'elle disait ces mots, il m'avait semblé étrange et excitant à la fois que ces parents lointains aient en leur possession des photos de ma famille. Et il y avait la plus célèbre de toutes les histoires, celle où ma mère tentait d'expliquer à un groupe de cousins éloignés ce qu'était le cholestérol dans la seule langue commune que tous parlaient (plus ou moins), le yiddish. Ma mère aime encore raconter cette histoire et même à présent je ne peux pas m'empêcher de sourire en l'entendant la répéter, comme elle l'a fait l'autre jour :   Et donc j'ai dit, Es iss azoy, di cholesterol iss di schmutz, und dass cholesterol luz di blit nisht arayngeyhen ! Et alors les cousins m'ont regardé tout à coup et ils ont dit, Ahhhh, DUSS iss di cholesterol !   Et cependant, même si j'aime cette histoire, ce qui m'a intéressé la dernière fois qu'elle l'a racontée, c'est un détail qu'elle n'avait jamais mentionné auparavant ou bien que j'avais laissé échapper parce que ça ne m'intéressait pas : le fait que les cousins pour qui elle s'était efforcée de décrire la dernière obsession des Américains en matière de santé étaient des « Jäger d'Allemagne ». Qui étaient-ils exactement ? J'ai demandé à ma mère à l'occasion de cette réminiscence du voyage en Israël. Je pensais savoir : mon grand-père, des années auparavant, m'avait dit qu'un des frères de son père s'était installé en Allemagne, un autre en Angleterre, mais qu'il ne savait rien de plus. Et maintenant, il semblait qu'il y ait eu en Israël, en 1973, des cousins Jäger d'Allemagne. Qui étaient-ils ? ai-je répété. Mais, trente ans après, ma mère était incapable de s'en souvenir. Cette apparition énigmatique mais frustrante de ces Jäger disparus me remet en mémoire la raison pour laquelle, pendant si longtemps, je n'ai jamais voulu aller en Israël. Quand j'étais petit, aux pieds de mon grand-père, à écouter ses histoires, et plus tard quand je les écrivais et que je notais des informations sur des fiches et (plus tard encore) sur des fichiers informatiques, il me semblait que ce que signifiait notre famille, là où résidait sa valeur, était inséparable de sa longue histoire en Europe, une histoire que mon grand-père s'était tellement efforcé, je m'en rends compte aujourd'hui, de me transmettre grâce aux nombreuses histoires qu'il m'avait racontées. Bien sûr, je savais abstraitement, intellectuellement, ce qu'Israël était censé signifier, historiquement, religieusement, politiquement, à la fois pour les Juifs en général et, naturellement, pour ma famille (Il est parti juste à temps!). Et je savais, de surcroît - moi qui, même enfant, m'intéressais à la Grèce et la Rome antiques, passais mon temps libre à construire des maquettes de temples antiques -, qu'Israël, le pays même, s'enorgueillissait d'une histoire qui, comme celle de la Grèce ou de Rome, remontait à des milliers d'années, et s'enorgueillissait aussi de ruines antiques qui provenaient de partout. Mais y aller ne m'intéressait toujours pas, comme si la nouveauté de la présence de mes parents là-bas était une considération qui pesait plus que l'antiquité de l'histoire de l'endroit - une histoire dans laquelle ma famille n'avait pris aucune part jusqu'à ces trente dernières années, alors que son histoire en Europe, en Autriche-Hongrie, en Pologne, à Bolechow, remontait, je le savais, à l'époque lointaine où les Jäger étaient arrivés à Bolechow, ce qui correspondait, je le savais aussi, à l'époque où les premiers Juifs étaient arrivés, il y a des siècles. Je n'avais pas plus d'intérêt à rendre visite à mes parents israéliens que quelqu'un qui s'intéresserait à la guerre de Sécession aurait à rendre visite à ma famille dans la maison sur deux niveaux de Long Island. Et c'était donc parce que mon grand-père m'avait séduit avec ses histoires alléchantes qui portaient toujours sur un passé lointain, à une époque où j'étais encore assez jeune pour croire tout ce qu'il me racontait, que je n'avais aucun intérêt pour Israël, ce pays tout neuf. En effet, c'est à cause de mon grand-père, je le vois maintenant, que j'allais passer une si grande partie

« forme, mesparents ontaussi commencé àprojeter lepremier voyageàl'étranger, levoyage en Israël, tantattendu ettant repoussé.

Maisendécembre decette année-là, OncleItzhak est mort.

Néavec lesiècle, ilavait soixante-douze ans.Cefut unchoc dévastateur pourmamère d'avoir étésiprès delarencontre avecunparent légendaire – quatremoisseulement aurait tout changé – etdesevoir dénier àjamais lapossibilité d'établiruncontact aveclui.Deux mois après samort, desamis proches delafamille étaient partispourIsraël, etcomme c'étaient des amis intimes ilsavaient passéunpeu detemps avecElkana.

Ilsétaient revenus decevoyage avec uneprécieuse cargaison:parmi lesnombreuses diapositivesqu'ilsavaient prisespendant leur séjour, ilyen avait quelques-unes delatombe d'Itzhak.

Unsoir, peudetemps avantle départ demes parents pourIsraël, nousavions organisé uneprojection dansnotre sallede séjour etlà, sur lesmurs blancs immaculés denotre maison, étaitapparu cequi avait étéma première perception dunom de« Jäger », telqu'il était inscrit enhébreu surune pierre tombale – perception quejen'aurais pasdenouveau avanttrente ansoupresque, lorsquedans le cimetière enfriches deBolechow noustomberions parhasard surlatombe delacousine éloignée demon grand-père etd'Itzhak, ChayaSimaJäger, néeKasczka. Sur lemur delasalle deséjour demes parents, s'affichaient, trèsagrandies, leslettres suivantes :     Très peudetemps aprèsmabar-mitsva, àl'occasion delaquelle mavoix s'était brisée defaçon si humiliante surlesderniers motsdema haftarah, mes parents s'étaient envoléspourTel- Aviv.

Surcevoyage, ilya naturellement denombreuses histoires.Mamère aimeraconter, par exemple, comment elleetmon père, toutcomme l'avaitpromis Elkanadesannées auparavant, s'étaient vuépargner laqueue àla douane etavaient étéemmenés dansunevoiture quiles attendait ;l'affection instantanée qu'avaientéchangéemonpère sicérébral etlavieille Tante Miriam, l'intellectuelle polyglottedontlesionisme fervent,nouslesavions, avaitétélacause du salut desafamille ;les visites secrètes denuit dans lesquartiers arabesoùles restaurants étaient sanségal, lesnuits sansfinavec lesamis dans lacosmopolite Tel-Aviv(c'étaitchoquant pour moid'entendre ceshistoires parceque,n'ayant pasvraiment eulacuriosité delire quoi que cefût sur lesujet, jecroyais encorequelepays entier n'était qu'unocéan d'immeubles d'habitation enbéton).

Etelle parlait deleur visite àHaïfa, oùvivaient TanteMiriam etson autre enfant, Bruria,lasœur d'Elkana – Miriam àl'étage etBruria etsa famille aurez-de- chaussée –, etde lafaçon dont,alorsquedifférents groupesd'amisetde parents deMiriam et de Bruria venaient rendrevisiteauxcousins américains, elle(ma mère) montait etdescendait les escaliers, commelepersonnage d'unefarce, montait etdescendait toutelajournée, pour s'assurer depasser leplus detemps possible avecchaque groupedeparents.

Undétail en particulier avaitcapté monintérêt.

Oh, Daniel, avait ditma mère, lorsqu'elle etmon père avaient appelébrièvement d'Israëlpourvoircomment nousallions, tudevrais voirl'album de photos deTante Miriam ! Elleala photo demariage deTante Jeanette, cellequej'aiperdue, elle porte unerobe entièrement endentelles quelesMittelmark luiavaient achetée.

Elleest tellement belle !Alorsqu'elle disaitcesmots, ilm'avait sembléétrange etexcitant àla fois que ces parents lointains aientenleur possession desphotos de ma famille. Et ilyavait laplus célèbre detoutes leshistoires, celleoùma mère tentait d'expliquer àun groupe decousins éloignés cequ'était lecholestérol danslaseule langue commune quetous. »

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