DÉRAPER, verbe intransitif.

DÉRAPER, verbe intransitif.  

A.—  [En parlant d'un moyen de transport] 

1. MARINE.  

a) [En parlant de l'équipage d'un navire, d'une embarcation]  En vue d'appareiller ou de changer de mouillage, arracher du sol la dernière ancre ou le dernier grappin (d'après Le dictionnaire de la marine à voile (PIERRE-MARIE-JOSEPH DE BONNEPOUX), Edmond Paris), 1859, Vocabulaire des termes de marine (Georges Soé, J. Dupont, O. Roussin) 1906); par extension appareiller, lever l'ancre. Le capitaine, debout sur la dunette, prêt à donner l'ordre de déraper (ALPHONSE DAUDET, Port-Tarascon, 1890, page 73)  On utilisait la voile pour déraper (JEAN-BALTHASAR MALLARD, COMTE DE LA VARENDE, Jean Bart pour de vrai,  1957, page 77) : 

Ø Dès midi, il vente grand frais de N. avec des rafales et une pluie abondante et continuelle. Au lieu de déraper il fallut songer à assurer notre tenue au mouillage.

JULES-SÉBASTIEN-CÉSAR DUMONT D'URVILLE, Voyage au Pôle Sud et dans l'Océanie, tome 3, 1842, page 78. 

—   [Avec un complément d'objet interne]  Déraper l'ancre. Nous virâmes donc en dérapant l'ancre batarde (JULES-SÉBASTIEN-CÉSAR DUMONT D'URVILLE, Voyage de découvertes autour du monde et à la recherche de La Pérouse, tome 2, 1832-34, page 54 ). On agit avec le cabestan sur le garant du palan (...) pour déraper une ancre lorsqu'elle tient durement (J. GALOPIN, Cours de langage maritime, Matelotage et technologie.  1925, page 51 ). 

Remarque : Déplanter se dit de toutes les ancres alors que déraper ne s'emploie que pour la dernière ancre mouillée (d'après Le dictionnaire de la marine à voile (PIERRE-MARIE-JOSEPH DE BONNEPOUX), Edmond Paris) 1859). 

—  Par métaphore, familier. Il travaille quelquefois un mois sans déraper (POULOT, Sublime, 1872, page 69). [... La vieille est malade,] à cause du gas Marie-Pierre qui a dérapé de chez eux depuis trois jours (JEAN RICHEPIN, La Glu,  1881, page 16 ). 

Remarque : On rencontre dans le même sens un emploi factitif de l'expression déraper l'ancre (confer IDEM, ibidem, page 271). 

·    Régionalisme (Canada).  Partir, s'enfuir. Il a fait un mauvais coup et il a dû déraper (Société du Parler français au Canada.  1930). 

b) [En parlant de l'ancre, du grappin]  Cesser d'être fixé au fond et laisser ainsi dériver le bateau. Le grappin égratigna la roche, puis dérapa (VICTOR HUGO, Les Travailleurs de la mer, 1866, page 262 ). Ou son grelin pouvait casser, ou son ancre déraper, et dans les deux cas il était en détresse (JULES VERNE, Les Enfants du capitaine Grant, tome 3, 1868, page 73 ). Le navire chasse, ce n'est pas la chaîne qui a cassé; c'est certainement l'ancre qui a dérapé (GLOSSAIRE DES TERMES DE MARINE  (JULIEN LE CLÈRE)  1960). 

2. Usuel.  [En parlant d'un véhicule : bicyclette, automobile, etc.]  En changeant, en quittant sa direction initiale, glisser involontairement sur la route par suite d'un défaut d'adhérence au sol. Déraper dangereusement, violemment; une roue, une voiture dérape. L'automobile vira (...) la machine dérape et va buter contre un arbre (ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, Crainquebille et autres contes,  1904, page 171 ). Les voitures, brillantes de pluie, dérapaient sur le sol humide (MARCEL ARLAND, L'Ordre,  1929, page 257 ). La voiture en partant dérapa légèrement dans l'épaisse poussière (LOUIS ARAGON, Les Beaux quartiers, 1936, page 149 ). 

·    Par métonymie du sujet.  [en parlant du conducteur]  Le sol était glissant : j'ai dérapé (Dictionnaire de l'Académie française.  1932). 

·    Rare.  [En parlant d'un traîneau]  Dès le premier tournant, le traîneau dérapa (ELSA TRIOLET, Le Premier accroc coûte deux cents francs,  1945, page 297 ). 

—  Par métaphore. Le dialogue dérapait (PAUL-JEAN TOULET, Les Demoiselles La Montagne,  1920, page 173 ). On a beau se donner du mal, on glisse, on dérape, on retombe dans l'alcool qui conserve les vivants et les morts (LOUIS-FERDINAND DESTOUCHES, DIT CÉLINE, Voyage au bout de la nuit,  1932, page 411 ). 

Remarque : Déraper indique en général un mouvement du véhicule non contrôlé par le conducteur; dans les courses d'autos, ce mouvement est pratiqué en vue d'augmenter la vitesse moyenne. Dans une course d'autos, il n'est point nécessaire de vouloir déraper au tournant; les forces mécaniques s'en chargent (ALAIN, Propos, 1927, page 743). 

—  Par extension ou analogie. 

·    [En parlant d'un véhicule sur rails]  Le Batignolles-Clichy-Odéon, en tournant, dérapa, oscilla un peu, et versa sur la gauche (PAUL-JEAN TOULET, Mon amie Nane,  1905, page 32 ). 

·    Familier.  [En parlant d'une personne]  Glisser de façon involontaire lors d'un déplacement. Dans sa fougue pour la caresser, il a dérapé du tapis, il est allé se cogner la tronche (LOUIS-FERDINAND DESTOUCHES, DIT CÉLINE, Mort à crédit,  1936, page 215 ). Les pieds dérapant dans la neige (LOUIS FARIGOULE, DIT JULES ROMAINS, Les Hommes de bonne volonté,  1938, page 136 ). 

B.—  Par analogie, emplois techniques divers. 

1. ÉCONOMIE.  \" Échapper au contrôle des autorités, des dirigeants. Amorcer une évolution, un mouvement soudains aux conséquences fâcheuses \" (Dictionnaire des mots nouveaux (PIERRE GILBERT), 1971). Les prix ne dérapent pas encore brutalement en hausse (L'Express. dans le Dictionnaire des mots nouveaux (PIERRE GILBERT),1971 ). 

2. AÉRONAUTIQUE.  Glisser latéralement, notamment en exécutant un virage avec une inclinaison insuffisante. J'ai lancé l'avion en travers. Il dérape brutalement vers la gauche, avec des vibrations craquantes (ANTOINE DE SAINT-EXUPÉRY, Pilote de guerre,  1942, page 348 ). 

—   Par métonymie du sujet. Glissade sur l'aile [de l'avion] , suivie d'un virage. Comme s'il tombait, Attignies semble déraper avec un bruit de ferraille et de chargeurs qui roulent dans la carlingue (ANDRÉ MALRAUX, L'Espoir,  1937, page 664 ). 

3. SKI.  Avancer en faisant glisser les skis transversalement par rapport à leur direction normale de déplacement. Vous « stemmez, vous stemmez », je vous dis de « couler... » et d'abord, apprenez à déraper (Comment parlent les sportifs, dans Vie et Langage 1952-1954 dans Vie et langage,  1953, page 140 ). 

Remarque : La documentation atteste l'emploi adjectival du participe présent Sous la neige, la route était dérapante (BLAISE CENDRARS, Bourlinguer, 1948, page 292). Mêler des particules de caoutchouc au bitume [des routes] (...) de tels revêtements vieillissaient moins vite et étaient moins dérapants (L'Industrie française du caoutchouc, 1965, page 46). 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 3