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parente à elle qui, étonnamment, était assez âgée pour avoir connu mon grand-père quand il vivait encore dans la ville ; un homme qui avait été le voisin de Shmiel.

Publié le 06/01/2014

Extrait du document

parente à elle qui, étonnamment, était assez âgée pour avoir connu mon grand-père quand il vivait encore dans la ville ; un homme qui avait été le voisin de Shmiel. Et Jack avait donc invité tout le monde chez lui à Bellevue Hills, près de Bondi Beach - à vingt-cinq minutes en voiture environ de notre hôtel du centre de Sydney. Bondi Beach ne signifiait rien pour moi, mais Matt avait répété le nom, visiblement impressionné, quand je lui avais fait suivre le fax que m'avait envoyé Jack, avec les informations sur les hôtels du coin et le trajet en voiture. Bondi Beach ! a dit Matt. C'est un endroit célèbre pour les surfeurs ! Les gens viennent du monde entier pour faire du surf sur cette plage ! Bon, ai-je répliqué, nous avons fait le tour du monde pour venir parler avec les habitants de Bolechow qui vivent là-bas. J'ai soudain redouté qu'il veuille nous emmener surfer ; il avait été dans l'équipe d'athlétisme du lycée, il avait sauté en parachute. Mais non, il était simplement amusé : il aimait tout simplement le fait qu'une bande de vieux Juifs polonais avaient décidé de s'installer dans un paradis pour surfeurs. Le dimanche, donc, nous sommes allés à Bondi Beach. Un taxi nous a déposés devant l'immeuble d'apparence luxueuse de Jack et nous avons pris l'ascenseur jusqu'à son étage. Regarde, a dit Matt avec un sourire un peu sournois, en pointant le doigt vers la plaque de métal vissée sur le sol de l'ascenseur, sur laquelle on pouvait lire le nom du constructeur, schindler, On monte avec Schindler ! J'ai haussé les sourcils et dit, Oy vey. Jack est venu nous ouvrir la porte lorsque nous avons sonné. C'était un petit homme sec et nerveux, avec un visage allongé qui était à la fois doux et, peut-être, un peu triste : le menton proéminent était contrebalancé par les yeux mélancoliques et circonspects. Des touffes de cheveux gris clairsemés étaient soigneusement peignées de chaque côté de la tête. Il nous a fait signe d'entrer de la main droite. L'appartement était plaisant et confortable, baigné d'un soleil qui entrait par des baies vitrées, du sol au plafond, donnant sur un balcon rempli de fleurs. La salle de séjour était bleue et crème ; sur le côté brillaient des tables en verre et en cuivre. Il y avait quelque chose d'une prudente et plaisante neutralité dans la décoration de cet appartement, quelque chose que j'avais remarqué aussi dans l'appartement de Mme Begley, avec cette porcelaine et ce mobilier en bois blond immaculés des années 1950 et 1960 l'élégante menorah en métal très « contemporaine ». Cela m'avait intrigué, au cours de mes visites de plus en plus fréquentes à l'appartement de Mme Begley, et c'était seulement maintenant, debout dans l'entrée du confortable appartement de Jack Greene à l'autre bout du monde, qu'il me venait à l'esprit qu'il n'y avait pas la moindre trace des objets de famille qu'on pouvait voir, par exemple, dans la maison de ma mère, les photos de famille dans les grands encadrements et les encriers en marbre anciens, les menorahs en cuivre anciennes (comme celle avec les Lions de Judée rampants que mon grand-père avait laissée à ma mère), les minuscules jeunes mariés en papier qui avaient surmonté le gâteau de mariage des parents de ma mère en 1928. Bien sûr qu'il n'y avait aucune trace du passé européen, de l'histoire de la famille. Ils avaient tous été détruits. Nous avons serré la main de Jack et nous sommes entrés. Nous attendaient là sa femme, Sarah, une jolie blonde au visage adorable et aux manières douces, et sa fille, Debbie, qui devait, je suppose, avoir mon âge, et qui avait le visage ouvert, plaisant et adorable de Sarah, avec les cheveux bruns, ce qui avait dû être la couleur de ceux de Jack autrefois. J'étais sidéré qu'elle soit venue nous entendre interviewer son père et ses amis, alors qu'elle avait dû, j'imaginais, entendre leurs histoires bien des fois. Mais je pouvais le comprendre : moi aussi, j'avais été heureux, autrefois, d'entendre certaines histoires inlassablement racontées. Debbie m'a dit que son mari et sa fille nous rejoindraient plus tard. Elle a dit ça avec un fort accent australien auquel je m'habituais à peine - ou plutôt je m'habituais à peine à l'idée que des Juifs pussent avoir l'accent australien. Naturellement, nous savions qu'il n'y avait pas un pays au monde qui n'ait pas ses Juifs, mais cette connaissance abstraite était en quelque sorte très différente du fait d'être confronté à la réalité de ces gens. Là où j'avais grandi, les Juifs avaient soit des accents du Vieux Continent - polonais, allemand, russe, yiddish - soit un accent new-yorkais prononce. Mais nous étions maintenant en Australie où les Juifs de ma génération avaient l'accent australien, tout comme ils ont l'accent anglais en Angleterre, l'accent français en France et l'accent italien en Italie. Le monde est beaucoup plus grand qu'on se l'imagine quand on grandit dans un environnement provincial : une banlieue de New York, un shtetl de Galicie, peu importe. Puis on commence à voyager. Mon grand-père l'avait su. Je le savais à mon tour. Nous attendait aussi dans l'appartement de Jack et de Sarah, déjà assis autour de la table de la salle à manger, couverte d'une nappe en dentelle blanche, et sur laquelle Matt et moi avons commencé, assez gauchement, à déposer le matériel d'enregistrement et de photographie, le frère de Jack, Bob. Bob et moi nous étions déjà rencontrés. L'été précédent, il était passé à New York et m'avait contacté, et en buvant un thé glacé chez moi il m'avait raconté comment lui, Jack, et leur père décédé, Moses, avaient survécu, en se cachant dans un bunker souterrain, couvert de feuillage, dans la forêt à la périphérie de Bolechow. Bob m'avait expliqué comment ils avaient pu s'échapper jusqu'à cet endroit grâce à l'aide d'un paysan ukrainien, juste avant les dernières liquidations de 1943. C'était une histoire qu'ils avaient souvent racontée, je le savais, tout d'abord dans un livre écrit par un journaliste allemand, Anatol Régnier (qui était marié, devaient souligner plusieurs fois les Australiens, non sans une certaine incrédulité, à une chanteuse populaire israélienne!), et ensuite pour un documentaire fait par une chaîne de télévision allemande, à l'occasion du retour de Jack et de Bob à Bolechow en 1996. Comme Jack, Bob était de taille moyenne, mais il avait une présence sportive, tout en nerfs. Il me faisait l'effet de quelqu'un qui avait passé beaucoup de temps à l'extérieur, et je n'ai pas été surpris de l'entendre dire, par la suite, qu'il faisait des marches quotidiennes à bonne allure sur la plage. J'avais parlé plusieurs fois à Jack au téléphone quand j'ai rencontré Bob, et ce qui m'a frappé, c'est le fait que Jack, né en 1925, âgé de dix-neuf ans quand l'occupation nazie a pris fin à Bolechow, parlait avec un accent juif polonais prononcé, alors que Bob, né en 1929 et donc à peine adolescent à la fin de la guerre, parlait presque comme un Australien. Cette différence dans la façon de parler a pris pour moi une plus grande résonance à mesure que la visite se prolongeait. Jack me faisait plus l'effet, peut-être, d'un citoyen de l'ancien monde, plus juif ; il aimait parsemer sa conversation d'expressions en yiddish et parfois même en hébreu. Bob, au contraire, m'a fait l'effet, au cours des journées suivantes, d'être bien décidé à se libérer du passé. Peut-être que l'érosion de l'accent, des formules et des sonorités qui avaient caractérisé ses discours, n'était pas entièrement un processus naturel. De toute évidence, il n'était pas très religieux. En même temps, Bob avait gardé le nom de Grunschlag, alors que Jack l'avait anglicisé. Les choses peuvent être étranges entre frères. Il y avait donc Jack, Sarah, Debbie et Bob qui attendaient les Américains venus les interviewer. Une fois entrés dans l'appartement, nous avons découvert un autre homme âgé assis à la table, lui aussi. Jack m'avait parlé de lui : Boris Goldsmith, qui avait quatre-vingt-neuf ans et avait vécu en face de chez Shmiel et sa famille. Jack m'avait prévenu que ce Boris était plutôt dur d'oreille - pendant tout l'après-midi, il allait porter sa main à l'oreille pour régler sa prothèse auditive -, mais au moment où j'ai fait sa connaissance, il m'a paru lucide et robuste, et doué d'une présence à la fois forte et facétieuse. Il portait une veste pied-de-poule noire et beige, et lorsqu'il nous a serré la main j'ai remarqué que sa bouche avait eu un scintillement métallique. C'était une vision que j'avais fini par associer, à ce moment-là, à l'Europe de l'Est. Matt et moi avons installé le matériel pour l'interview pendant que nous attendions tous l'arrivée de la dernière invitée, Meg Grossbard, qui comme Jack, comme Bob, comme les autres, avait fait ce voyage improbable de Bolechow aux New South Wales, après la guerre (vous comprenez, m'avait dit Jack au téléphone un an plus tôt, lorsqu'il m'avait appelé pour la première fois, pas mal d'entre nous avaient pensé à fuir pour l'Australie, avant la guerre ; nous avons donc gardé l'idée en tête après ça et nous avons fini par y aller). J'allais apprendre par la suite que de la famille de Meg - vingt-six personnes à Bolechow uniquement - seuls son mari, le frère aîné de celui-ci et elle avaient survécu à la guerre. Meg et son mari s'étaient installés à Melbourne où, comme à Sydney, il y avait une importante communauté de survivants. Son beau-frère, Salamon Grossbard, s'était installé à Sydney. Il ne s'était jamais remarié après que sa femme et son enfant avaient été tués. Âgé de quatre-vingt-seize ans, il était top faible, m'avait dit Jack, poux assister à cette réunion dans son appartement. Mais Meg était venue de Melbourne en avion pour cette occasion et elle allait séjourner chez son beau-frère. Elle ne devrait plus tarder, m'a dit Jack. J'espère qu'elle ne sera pas trop en retard, ai-je répliqué. Avec une expression un peu opaque sur le visage, Jack a ajouté, C'est quelqu'un de très singulier. J'étais particulièrement impatient de rencontrer cette Mme Grossbard. C'était en partie seulement parce que Jack m'avait rapporté que cette Meg (qui avait adopté ce prénom anglophone en arrivant en Australie) avait été la meilleure amie de Frydka ; si je voulais apprendre des choses sur Frydka, avait-il dit, je ferais bien de lui parler, dans la mesure où lui ne pouvait me parler que de Ruchele. Mais aussi intéressant et crucial que cela ait pu être pour moi, j'étais encore plus impatient d'entrer en contact avec M. Grossbard, même si Jack m'avait expliqué qu'il était un de ceux qui avaient été emmenés à l'Est par les troupes soviétiques battant en retraite, pendant cet été 1941, et qu'il serait par conséquent incapable de m'apprendre quoi que ce soit sur ce qui était arrivé à ma famille pendant la guerre : il avait été au fin fond de l'Union soviétique pendant que Bolechow souffrait sous l'occupation allemande. C'était à cette époque-là, en effet, que sa femme et son jeune fils avaient été tués. Mais j'avais mes raisons de tant vouloir rencontrer ce M. Grossbard. Né en 1908, il appartenait à une génération antérieure à celle de Jack, de Bob et de Meg, qui étaient, après tout, les amis et les condisciples des enfants de Shmiel, les cousines disparues de ma mère. Mille neuf cent huit, c'était l'année au cours de laquelle Neche, Jeanette, l'épouse condamnée de leur cousin germain, était née : et pourtant elle était morte depuis si longtemps, elle semblait appartenir au passé si entièrement, au monde des histoires et des légendes de famille, qu'il m'était impossible de penser à elle, quand j'ai entendu parler de M. Grossbard, comme à quelqu'un qui aurait pu être encore en vie. Cet homme vénérable était le dernier habitant de Bolechow vivant de la génération de mon grand-père. Tout comme j'avais fantasmé, la première fois que j'avais entendu parler de Mme Begley, qu'elle pourrait avoir connu autrefois ou même simplement rencontré un de ces Jäger disparus, je fantasmais maintenant sur le fait que cet homme âgé, très âgé, avait peut-être connu, enfant, un des enfants Jäger, peut-être à l'école du baron

« heureux, autrefois, d'entendre certaineshistoiresinlassablement racontées. Debbie m'aditque sonmari etsa fille nous rejoindraient plustard.

Elleadit çaavec unfort accent australien auqueljem'habituais àpeine – ouplutôt jem'habituais àpeine àl'idée que des Juifs pussent avoirl'accent australien.

Naturellement, noussavions qu'iln'yavait pasun pays aumonde quin'ait passesJuifs, maiscette connaissance abstraiteétaitenquelque sorte très différente dufait d'être confronté àla réalité deces gens.

Làoù j'avais grandi, lesJuifs avaient soitdesaccents duVieux Continent – polonais, allemand,russe,yiddish – soitunaccent new-yorkais prononce.Maisnous étions maintenant enAustralie oùles Juifs dema génération avaient l'accent australien, toutcomme ilsont l'accent anglaisenAngleterre, l'accentfrançais en France etl'accent italienenItalie.

Lemonde estbeaucoup plusgrand qu'onsel'imagine quand ongrandit dansunenvironnement provincial:une banlieue deNew York, un shtetl de Galicie, peuimporte.

Puisoncommence àvoyager.

Mongrand-père l'avaitsu.Jelesavais à mon tour. Nous attendait aussidansl'appartement deJack etde Sarah, déjàassis autour delatable dela salle àmanger, couverte d'unenappe endentelle blanche, etsur laquelle Mattetmoi avons commencé, assezgauchement, àdéposer lematériel d'enregistrement etde photographie, le frère deJack, Bob.Bobetmoi nous étions déjàrencontrés.

L'étéprécédent, ilétait passé àNew York etm'avait contacté, eten buvant unthé glacé chezmoiilm'avait raconté comment lui, Jack, etleur père décédé, Moses,avaient survécu, ensecachant dansunbunker souterrain, couvert defeuillage, danslaforêt àla périphérie deBolechow.

Bobm'avait expliqué comment ils avaient pus'échapper jusqu'àcetendroit grâceàl'aide d'unpaysan ukrainien, justeavant les dernières liquidations de1943.

C'était unehistoire qu'ilsavaient souvent racontée, jelesavais, tout d'abord dansunlivre écrit parunjournaliste allemand,AnatolRégnier (quiétait marié, devaient souligner plusieursfoislesAustraliens, nonsans unecertaine incrédulité, à une chanteuse populaireisraélienne!), et ensuite pourundocumentaire faitpar une chaîne de télévision allemande, àl'occasion duretour deJack etde Bob àBolechow en1996. Comme Jack,Bobétait detaille moyenne, maisilavait uneprésence sportive,toutennerfs.

Il me faisait l'effetdequelqu'un quiavait passé beaucoup detemps àl'extérieur, etjen'ai pasété surpris del'entendre dire,parlasuite, qu'ilfaisait desmarches quotidiennes àbonne alluresur la plage.

J'avais parléplusieurs foisàJack autéléphone quandj'airencontré Bob,etce qui m'a frappé, c'estlefait que Jack, néen1925, âgédedix-neuf ansquand l'occupation nazieapris fin à Bolechow, parlaitavecunaccent juifpolonais prononcé, alorsqueBob, néen1929 etdonc à peine adolescent àla fin delaguerre, parlaitpresque commeunAustralien.

Cettedifférence dans lafaçon deparler apris pour moiuneplus grande résonance àmesure quelavisite se prolongeait.

Jackmefaisait plusl'effet, peut-être, d'uncitoyen del'ancien monde,plusjuif;il aimait parsemer saconversation d'expressions enyiddish etparfois mêmeenhébreu.

Bob,au contraire, m'afaitl'effet, aucours desjournées suivantes, d'êtrebiendécidé àse libérer du passé.

Peut-être quel'érosion del'accent, desformules etdes sonorités quiavaient caractérisé ses discours, n'étaitpasentièrement unprocessus naturel.Detoute évidence, iln'était pastrès religieux. En même temps, Bobavait gardé lenom deGrunschlag, alorsqueJack l'avait anglicisé.

Les choses peuvent êtreétranges entrefrères. Il yavait donc Jack,Sarah, Debbie etBob quiattendaient lesAméricains venuslesinterviewer. Une foisentrés dansl'appartement, nousavons découvert unautre homme âgéassis àla table, lui aussi.

Jackm'avait parlédelui:Boris Goldsmith, quiavait quatre-vingt-neuf ansetavait vécu en face dechez Shmiel etsa famille.

Jackm'avait prévenu queceBoris étaitplutôt durd ' oreille. »

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