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LE LANGAGE (psychologie et philosophie)

Publié le 29/08/2014

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langage

LE LANGAGE

Lalande définit le langage au sens le plus large : «tout syst�me de signes pouvant servir de moyen de communication �. Nous entendrons plus précisément par langage l'aptitude à inventer ou à utiliser intentionnellement des signes. En ce sens, il nous faut admettre ce que Descartes a fortement souligné dans la cinqui�me partie du Discours de la Méthode : le langage est le propre de l'homme.

Sans doute les animaux expriment-ils leurs émotions par des cris. Les chimpanzés disposent d'une trentaine de sons qui cor¬respondent à des besoins ou à des émotions : cris de faim, d'alarme, d'inquiétude ou d'appel. Une abeille qui a trouvé une source de nourriture revient à la ruche et signale aux autres la distance et la direction de cette source par de véritables danses, découvertes par von Frisch (par exemple les « rondes � signi¬fient une nourriture proche, les «danses frétillantes� une nour¬riture plus éloignée). Cependant ces pseudo-langages se distinguent radicalement du langage humain. Le langage ani¬mal est une fonction purement biologique ; les cris du singe, les danses de l'abeille correspondent à des situations bien détermi¬nées. Le « signe � est étroitement lié à ce qu'il signifie. Le lan 

 

gage animal est fixé par son hérédité, il est inné ou du moins apparaît tout constitué pour chaque esp�ce à un certain stade de maturation de l'individu. Tout au contraire, le langage humain est appris (enseigner, c'est précisément faire apprendre les signes) et par là en grande partie conventionnel, donc libre et voulu. J'appelle «x �, dit l'algébriste... et il peut appeler x ce qui lui plaît. La multiplicité des langues humaines (qui est sou¬vent interprétée comme un mal ou même comme l'effet d'une punition divine) souligne clairement cette liberté de la pensée signifiante qui s'incarnera dans n'importe quel syst�me de signes.

Bergson disait tr�s justement : «Le signe instinctif est un signe adhérent, le signe intelligent un signe mobile.� Par là, le lan¬gage humain pourra exprimer une infinité de situations, car, dit Descartes, «la raison humaine est un instrument universel qui peut servir en toutes sortes de rencontres �. Au contraire, le « langage � animal se trouve étroitement limité à l'expression des quelques situations pour lesquelles la nature semble l'avoir prévu. Von Frisch hisse une table portant de l'eau sucrée au sommet d'un pylône de radiodiffusion au pied duquel se trouve la ruche. Quelques abeilles pourvoyeuses découvrent ce butin. Elles effectuent ensuite des rondes dans la ruche mais ne peu¬vent indiquer la direction aux ouvri�res qui partent en tous sens et ne trouvent pas le butin qui les surplombe. «Il n'est pas prévu d'expression signifiant : en haut dans le langage des abeilles. C'est qu'aucune fleur ne pousse dans les nuages ! �

Cependant, on pourrait parler d'une sorte de langage appris chez l'animal qui, par conditionnement, peut être sensibilisé à des signaux. Chez l'animal dressé, le son de la cloche ou la vue du fouet sont des signaux suivis d'une réaction appropriée (réflexe conditionnel de Pavlov). Toutefois, c'est l'homme qui choisit le signal et l'impose à l'animal par dressage. Le rapport du signe au signifié est simplement vécu par l'animal et non « survolé � par la pensée. Il est vrai que l'enfant apprend par conditionnement, lui aussi, à associer le mot et l'objet qu'il désigne. Le mot est le signal conditionnel de la chose mais le rôle de la pensée proprement humaine apparaît tr�s vite en ceci

1. Von FRISCH, Vie et mœurs des abeilles (traduction Dalcq chez Albin Michel) p. 159.

 

que le mot désigne toute une classe d'objets analogues et Pav¬lov lui-même écrit : «Pour l'homme, la parole est évidemment un excitant conditionné aussi réel que tous ceux qui lui sont communs avec les animaux, mais par ailleurs le mot poss�de une extension, embrasse une multitude d'objets comme aucun autre excitant. Sous ce rapport le mot ne supporte aucune com¬paraison qualitative et quantitative avec les excitants condition¬nés des animaux'.�

Le langage humain apparaît donc inséparable de la pensée dont il n'est que l'instrument. Ainsi toute théorie qui réduit le lan¬gage à une somme de signes — en oubliant l'esprit qui leur conf�re un sens — est radicalement fausse. C'est ce que nous allons montrer en examinant le point de vue empiriste et méca¬niste.

THÉORIE EMPIRISTE

ET MÉCANISTE DU LANGAGE

Cette théorie explique le langage par le jeu de quatre esp�ces d'images mentales. D'abord, des images motrices, articula¬toires (parler), graphiques (écrire), puis des images senso¬rielles auditives (comprendre la voix), visuelles (lire). De ce point de vue, la clef du langage c'est le mot lui-même réduit à une combinaison d'images mentales. A propos de ce point de vue, on peut parler d'atomisme psychologique puisqu'une fonction complexe comme le langage est expliquée à partir d'éléments simples, de ces «atomes linguistiques� que sont les mots et les images mentales.

Cette idée d'analyser ainsi le langage avait été suggérée aux psychologues du XIXe si�cle par l'étude de certaines maladies du langage, les aphasies. Les aphasiques semblent en effet se répartir en deux groupes. Les aphasiques moteurs comprennent ce qu'on leur dit ou ce qu'ils lisent mais ne peuvent pas articu 

1. Cité par CHAUCHARD, Le langage et la pensée (P.U.F. Que sais-je?) p. 62.

 

1er tous les mots (anarthrie) ou ne peuvent pas les écrire (agra¬phie). Le cél�bre malade de Broca qui ne sait dire que « Tan � était un anarthrique. Dans d'autres cas, on a une aphasie senso¬rielle : le malade ne saisit pas le sens de ce qu'on lui dit (surdité verbale) ou ne comprend pas ce qu'il lit (cécité verbale).

Ces troubles caractéristiques correspondent à des lésions de zones cérébrales bien déterminées. Par exemple, l'anarthrique de Broca présentait une lésion de la troisi�me circonvolution frontale gauche ; les agraphiques ont une lésion dans une autre zone motrice. L'aphasique atteint de surdité verbale présente une lésion de la région temporale (aphasie de Wernicke), celui qui souffre de cécité verbale une lésion d'une zone occipitale. A partir de ces faits, l'imagination matérialiste suppose aisé¬ment que les images verbales sont déposées dans la substance cérébrale ; le langage se réduit à une circulation d'images ver¬bales sensorielles ou motrices ; la lésion d'une zone cérébrale se traduit par la disparition pure et simple des images verbales correspondantes.

Mais ces conceptions simplistes ont été compl�tement boule¬versées par l'étude approfondie des aphasies. La lésion d'une zone cérébrale ne détruit pas les mots eux-mêmes. En fait, sous le coup d'une émotion ou tout simplement dans une situation concr�te où l'emploi du mot devient machinal, l'aphasique retrouve les mots oubliés. Tel qui ne peut retrouver à froid le mot « merci � dira spontanément à la fin de l'examen «Merci docteur �. Cette femme aphasique qui ne peut se rappeler volontairement le nom de sa fille déclare à celle-ci : «Ma pauvre Jacqueline, je ne suis même plus capable de dire ton nom ! � Comme l'a bien montré Jackson, c'est le langage volontaire et abstrait qui a disparu. Le langage émotionnel, facile, automatique, s'est maintenu. C'est pourquoi les apha¬siques conservent l'usage des jurons, ces expressions toutes faites que «l'émotion a dérobées à l'intellect�. Ici, le probl�me du langage n'est plus celui du mot, mais celui de la proposition signifiante. Commentant Jackson, le Dr Ombredane dit tr�s bien : «En définitive, le probl�me n'est pas de savoir quels élé¬ments du langage mais quels usages du langage sont atteints 1. �

I. OMBREDANE, L'aphasie et l'élaboration de la pensée explicite (P.U.F.) p. 185.

 

L'aphasique a perdu l'usage volontaire, intelligent, de la parole, le « langage sur mesure �. Il ne conserve qu'un «lan¬gage de confection �, un «savoir verbal �, automatique, des for¬mules toutes faites qui sont des «propositions mortes ' �. La clef du langage humain, ce n'est pas le mot, en effet, c'est la proposition. Et la proposition n'est pas une somme de mots préalablement pourvus d'un sens bien défini. La proposition est un jugement exprimé où le sens de chaque mot peut varier sui¬vant le contexte — (le mot « fille � a un sens différent dans la proposition : «Monsieur Prudhomme a marié sa fille� et dans la proposition : «Ne fréquentez pas cette personne. C'est une fille ! �).

Si l'aphasie se caractérise par la perte de l'emploi proposition¬nel des mots, par la perte du langage intellectuel, devons-nous voir en elle une maladie de l'intelligence et du jugement? Pierre Marie a été jusque-là mais sa th�se apparaît excessive. L'aphasie n'est pas une démence et l'aphasique pourra répondre convenablement à certains tests non verbaux d'intelli¬gence. Cependant, s'il est vrai que le langage n'est qu'un ins¬trument de l'intelligence, il est indéniable que le langage réagit d'autre part sur l'intelligence, que l'intelligence humaine est difficilement séparable du langage par lequel elle s'explicite. Aussi ne faut-il pas s'étonner que l'aphasique présente à côté de ses troubles de formulation verbale certains troubles de comportement bien caractéristiques. Van Woerkom a signalé chez ses malades des troubles du sens de l'espace (difficulté à s'orienter), du sens du temps et du rythme. En fait, à travers le langage, c'est la «fonction symbolique� tout enti�re qui est atteinte. Par exemple, la plupart des aphasiques sont incapables de lire l'heure, d'interpréter la signification symbolique de la direction des aiguilles sur le cadran de l'horloge. Head a tr�s bien montré que le malade aphasique échoue précisément à remplir les tâches qui exigent une formulation symbolique entre la conception et l'exécution. Par exemple, l'expérimenta¬teur touche son oreille gauche avec sa main droite et dit à

1. Ombredane cite comme exemple de ces propositions mortes que nous employons automatiquement sans penser à leur sens l'expression « Dieu merci ! �. Un conférencier de la Libre-Pensée dira par exemple tout naturellement : « Dieu merci, je suis athée ! �

 

l'aphasique «Faites comme moi �. Pour que le sujet réussisse dans cette tâche, il lui faudrait penser «main droite oreille gauche� et réaliser concr�tement cette relation. En fait, les aphasiques feront le contraire de ce qui est demandé, touche¬ront l'oreille droite avec la main gauche, reproduisant symétri¬quement (symétrie en miroir) les gestes de l'expérimentateur !

D'apr�s les analyses de Gelb et de Goldstein, c'est, d'une façon tr�s générale, l'aptitude à l'abstraction (qui constitue un aspect essentiel de la pensée humaine) qui est altérée dans l'aphasie. Tel malade ne sait plus classer les couleurs. Il ne sait pas, par exemple, mettre les rouges ensemble. Il vit dans un «univers bariolé �, pour lui il n'y a pas de couleurs analogues, le « genre � lui échappe, il ne voit pas ce qu'il peut y avoir de commun entre les diverses nuances de rouge. De même, l'agraphique s'intéresse curieusement au des¬sin des lettres qu'il rapproche d'objets concrets (le M est un cha¬peau, le U un vase) mais il ne sait plus lire, justement parce que les formes des lettres ont perdu pour lui leur fonction symbolique et abstraite. Les mots, pour tel aphasique, n'ont de sens que pris dans une situation concr�te. Un malade, invité à donner une liste de pré¬noms féminins, ne peut proposer que les prénoms de ses quatre filles. L'aphasique a perdu la fonction «catégorielle �, l'aptitude à abstraire, à penser en dehors et à distance du vécu et du concret.

Ainsi l'analyse des maladies du langage nous permet déjà de mettre en lumi�re les relations tr�s étroites de la pensée et du langage.

RAPPORTS DU LANGAGE

ET DE LA PENSÉE

10 PRIMAT DE LA PENSÉE

SUR LE LANGAGE

En droit, la pensée existe avant le langage. On donne commu¬nément comme exemple d'intelligence non accompagnée du langage les solutions que le chimpanzé découvre à de petits probl�mes pratiques (par exemple découper un bâton dans un

 

arbre et se servir de cet outil pour attraper quelque friandise, ou faire un détour compliqué pour se saisir d'un appât). Certains auteurs pensent même que si le singe ne parle pas c'est parce qu'il n'a, contrairement au préjugé courant, aucune tendance à imiter des sons. Si le chimpanzé avait la même aptitude que le perroquet à reproduire des sons, pourrait-on lui enseigner l'usage du langage humain (que le perroquet, animal peu intel¬ligent, imite sans le comprendre)? Il demeure probable que le chimpanzé, dont l'intelligence est étroitement limitée dans le temps, resterait incapable d'assimiler la symbolique complexe du langage humain. Mais ceci ne contredit pas la th�se de la préséance de la pensée. En fait, c'est parce que l'homme est l'être vivant le plus intelligent qu'il a seul inventé un véritable langage.

langage

« gage animal est fixé par son hérédité, il est inné ou du moins apparaît tout constitué pour chaque espèce à un certain stade de maturation de l'individu.

Tout au contraire, le langage humain est appris (enseigner, c'est précisément faire apprendre les signes) et par là en grande partie conventionnel, donc libre et voulu.

J'appelle «X», dit l'algébriste ...

et il peut appeler x ce qui lui plaît.

La multiplicité des langues humaines (qui est sou­ vent interprétée comme un mal ou même comme l'effet d'une punition divine) souligne clairement cette liberté de la pensée signifiante qui s'incarnera dans n'importe quel système de signes.

Bergson disait très justement : «Le signe instinctif est un signe adhérent, le signe intelligent un signe mobile.

» Par là, le lan­ gage humain pourra exprimer une infinité de situations, car, dit Descartes, « la raison humaine est un instrument universel qui peut servir en toutes sortes de rencontres».

Au contraire, le «langage» animal se trouve étroitement limité à 1 'expression des quelques situations pour lesquelles la nature semble 1' avoir prévu.

Von Frisch hisse une table portant de l'eau sucrée au sommet d'un pylône de radiodiffusion au pied duquel se trouve la ruche.

Quelques abeilles pourvoyeuses découvrent ce butin.

Elles effectuent ensuite des rondes dans la ruche mais ne peu­ vent indiquer la direction aux ouvrières qui partent en tous sens et ne trouvent pas le butin qui les surplombe.

«Il n'est pas prévu d'expression signifiant: en haut dans le langage des abeilles.

C'est qu'aucune fleur ne pousse dans les nuages! 1 » Cependant, on pourrait parler d'une sorte de langage appris chez l'animal qui, par conditionnement, peut être sensibilisé à des signaux.

Chez l'animal dressé, le son de la cloche ou la vue du fouet sont des signaux suivis d'une réaction appropriée (réflexe conditionnel de Pavlov).

Toutefois, c'est l'homme qui choisit le signal et l'impose à l'animal par dressage.

Le rapport du signe au signifié est simplement vécu par l'animal et non «survolé» par la pensée.

Il est vrai que 1 'enfant apprend par conditionnement, lui aussi, à associer le mot et l'objet qu'il désigne.

Le mot est le signal conditionnel de la chose mais le rôle de la pensée proprement humaine apparaît très vite en ceci 1.

Von FRISCH, Vie et mœurs des abeilles (traduction Dalcq chez Albin Michel) p.

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