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Arendt : penser l'inhumain

Publié le 22/02/2012

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Comme on le voit, la réflexion morale contemporaine est confrontée aux tragédies du XXe siècle. La question de l'inhumanité se place au centre de nombreuses interrogations. Comment comprendre que l'être humain soit le seul qui puisse agir de manière inhumaine ? Comment concevoir que l'humanité puisse se retourner en son contraire ? Comme nous venons de le comprendre avec Sartre, l'humanité ne désigne ni un genre ni une nature universelle : elle se caractérise plutôt par une liberté moralement non orientée au fondement de notre existence. Arendt propose de son côté une réflexion originale et riche. Face au mal radical : l'étude du cas Eichmann En 1961, en Israël, l'officier nazi Eichmann fut jugé par un tribunal exceptionnel. Hannah Arendt fut envoyée comme correspondante d'un journal américain pour rendre compte des débats. Tandis que tous écoutaient les souffrances inhumaines dont les victimes témoignaient, Arendt s'est, quant à elle, tournée vers le bourreau, avec la volonté de comprendre comment de tels actes furent possibles. Comment les camps d'extermination ont-ils été possibles ? Comment ce mal absolu qu'est la Shoah peut-il être conçu ? Elle consignera ses réflexions dans un ouvrage qui fit date : Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal (1963) – auquel fait écho l'ouvrage d'Anders, Nous, fils d'Eichmann (1988), plus axé sur la dimension technique de la catastrophe. Vous avez dit « Shoah » ? Parmi les événements qui bouleversèrent la réflexion morale contemporaine, le génocide perpétré par les nazis principalement contre les Juifs est l'événement le plus tragique et le plus inouï du XXe siècle. C'est le meurtre gratuit de millions d'innocents, c'est la destruction de la personnalité juridique et l'avilissement de la personne humaine, inhumainement traitée jusqu'à l'horreur. Voilà les raisons qui font de l'extermination de masse exercée par les nazis un événement absolument unique, voire irreprésentable, au sens où ce qui a eu lieu est inimaginable et inconcevable. Il requiert un nom propre, « Shoah », qui appartient à la langue hébraïque et qui signifie « la plus grande catastrophe ». Au procès de Nuremberg, le concept de "crime contre l'humanité", d'ailleurs imprescriptible, fut inventé pour qualifier juridiquement ce qui est le plus grand crime de l'histoire. On pourra s'approcher de ce qui eut lieu en lisant la littérature de témoignage qui lui est consacrée. L'impensable banalité du mal Qu'Eichmann à Jérusalem ait pu déclencher de violentes polémiques importe peu, tant il est dorénavant reconnu comme une contribution majeure à la philosophie morale contemporaine. Arendt défendit une thèse sur « l'effrayante, l'indicible, l'impensable banalité du mal » (Eichmann à Jérusalem). Soucieuse de ne pas renoncer au fait que ce furent des individus concrets qui, par leurs actions, avaient organisé et effectivement réalisé un meurtre de masse d'innocents dans des conditions qui furent réellement horribles et inhumaines, Arendt récusa un certain nombre d'explications. Elle soulignait les carences de l'explication par la bureaucratie : « Le tribunal reconnut, dans le jugement, qu'un tel crime ne pouvait être commis que par une bureaucratie gigantesque s'appuyant sur les moyens que le gouvernement mettait à sa disposition. Mais dans la mesure où un crime reste un crime – ce qui est la condition de tout procès – tous les "rouages" de la machine, si insignifiants soient-ils, redeviennent, dans un tribunal, des acteurs, c'est-à-dire des êtres humains. » Arendt, Eichmann à Jérusalem Qu'un tel crime de masse ait exigé une bureaucratie et des moyens industriels et militaires est un fait indiscutable qui ne permet pourtant pas de comprendre complètement comment des individus se sont résolus à y participer activement. Arendt récusa aussi l'explication qui mobilise l'idée de barbarie. Croire qu'un tel bourreau a pu accomplir ses crimes parce qu'il était un fou barbare sanguinaire le rejette en quelque sorte "endehors" de l'humanité et évite la brûlante question, la seule qui intéresse la compréhension morale, de comprendre comment des êtres humains ont pu agir inhumainement. Arendt rejette donc l'idée qu'Eichmann puisse être compris à partir de la notion de méchanceté, qu'il ait, en quelque sorte, agi en voulant diaboliquement réaliser le plus grand mal possible. L'effondrement moral, conséquence de l'absence de pensée C'est au contraire une étrange normalité, une inquiétante banalité qu'Arendt découvre dans les réponses et les justifications d'Eichmann à son procès. Il illustre ainsi la situation de l'individu dans un régime totalitaire qui est privé de repères éthiques et dont le jugement ne s'articule plus à la réalité. Eichmann s'exprimait par des clichés, des banalités, et manifestait apparemment un manque d'imagination et de pensée qui le rendait incapable de savoir ce qu'il faisait. Les clichés et les expressions toutes faites permettent de nous protéger de la réalité et de l'effort de pensée qu'elle requiert pour juger correctement les situations et les actes. Arendt repère ainsi « l'étrange lien entre l'absence de pensée et le mal » (Eichmann à Jérusalem, 461). « Mon avis est que le mal n'est jamais "radical", qu'il est seulement extrême et qu'il ne possède ni profondeur ni dimension démoniaque. Il "défie la pensée" parce que la pensée essaie d'atteindre la profondeur, de toucher aux racines et, du moment qu'elle s'occupe du mal, elle est frustrée parce qu'elle ne trouve rien. C'est là sa "banalité". » Arendt, Lettre à Sholem, 24 juillet 1963 Ainsi donc la modernité se caractérise par la ruine du jugement moral : la crise de la culture, l'extinction de la religion, l'émergence de sociétés de masse pluralistes sans repères précis pour les individus, conduisent à comprendre à nouveaux frais la conduite morale. « L'effondrement moral de l'Allemagne nazie » (Responsabilité et jugement), l'amoralité des individus emportés par le régime totalitaire est la pointe extrême d'un même phénomène.
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« qui font de l'extermination de masse exercée par les nazis un événement absolument unique, voire irreprésentable, au sens où ce qui a eu lieu est inimaginable et inconcevable.

Il requiert un nom propre, « Shoah », qui appartient à la langue hébraïque et qui signifie « la plus grande catastrophe ».

Au procès de Nuremberg, le concept de “crime contre l'humanité”, d'ailleurs imprescriptible, fut inventé pour qualifier juridiquement ce qui est le plus grand crime de l'histoire.

On pourra s'approcher de ce qui eut lieu en lisant la littérature de témoignage qui lui est consacrée. L'impensable banalité du mal Qu' Eichmann à Jérusalem ait pu déclencher de violentes polémiques importe peu, tant il est dorénavant reconnu comme une contribution majeure à la philosophie morale contemporaine.

Arendt défendit une thèse sur « l'effrayante, l'indicible, l'impensable banalité du mal » ( Eichmann à Jérusalem ). Soucieuse de ne pas renoncer au fait que ce furent des individus concrets qui, par leurs actions, avaient organisé et effectivement réalisé un meurtre de masse d'innocents dans des conditions qui furent réellement horribles et inhumaines, Arendt récusa un certain nombre d'explications. Elle soulignait les carences de l'explication par la bureaucratie : « Le tribunal reconnut, dans le jugement, qu'un tel crime ne pouvait être commis que par une bureaucratie gigantesque s'appuyant sur les moyens que le gouvernement mettait à sa disposition. Mais dans la mesure où un crime reste un crime – ce qui est la condition de tout procès – tous les “rouages” de la machine, si insignifiants soient-ils, redeviennent, dans un tribunal, des acteurs, c'est-à-dire des êtres humains.

» Arendt, Eichmann à Jérusalem Qu'un tel crime de masse ait exigé une bureaucratie et des moyens industriels et militaires est un fait indiscutable qui ne permet pourtant pas de comprendre complètement comment des individus se sont résolus à y participer activement.. »

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