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Article de presse: L'Afrique, puzzle fragile

Publié le 22/02/2012

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18 mai 1991 -   L'Afrique assiste, impuissante, à l'agonie de son dernier dogme : le statu quo frontalier. Le récent changement de régime en Somalie et en Ethiopie relance un vieux débat : les Africains peuvent-ils, sans risque fatal, redessiner la carte de leur continent ?    Le dogme du statu quo frontalier pourrait donc bien-par une cruelle ironie-recevoir le coup de grâce dans le pays même où il triompha, il y a tout juste vingt-huit ans. C'est en effet à Addis-Abeba, en mais 1963, que l'Organisation de l'unité africaine ( OUA) naissante se dota d'une charte proclamant, parmi ses cinq principes fondamentaux, l' " intangibilité des frontières héritées de la colonisation ". Ce fut une sage décision.    Le grand dépeçage de l'Afrique accompli quatre-vingts ans plus tôt par les puissances coloniales à la conférence de Berlin ( 1885) relevait du pur arbitraire. " Nous nous sommes distribué des montagnes, des rivières et des lacs sans savoir où ils se trouvaient ", avouera lord Salisbury, premier ministre britannique et l'un des " partageurs " du continent. Ce découpage aveugle enfanta des aberrations géographiques et culturelles, des ensembles politiques sans véritables racines ni cohésion.    Regroupant des populations d'histoire et de tradition différentes, écartelant ethnies et cultures, ces nouveaux Etats, nés des hasards de la découverte, ne correspondaient souvent à aucune réalité collective antérieure. Et pourtant, loin de répudier cette part de l'héritage colonial-ou du moins de ne l'accepter que sous bénéfice d'inventaire,-l'OUA s'empressa de l'assumer en bloc.    Le débat mettait en jeu deux exigences légitimes mais contradictoires : d'une part, éviter la multiplication des litiges frontaliers, facteurs de balkanisation du continent de l'autre, faire droit aux aspirations des nations envers lesquelles l'histoire coloniale avait été ingrate. Ici, la sauvegarde d'un ordre et d'une paix relatifs, la crainte viscérale de sécessions en chaîne là, le droit à l'autodétermination des peuples.    Consciente que la remise en cause du statut quo introduirait le germe du chaos, l'Afrique nouvellement indépendante refusa d'emblée la périlleuse aventure d'une seconde décolonisation. Ce choix fit des mécontents, et d'abord la Somalie. Soucieux de réunir la nation somalie tout entière, symbolisée par l'étoile à cinq branches qui figure sur son drapeau, Mogadiscio continua de revendiquer les terres perdues à l'époque coloniale, le nord-est du Kenya, Djibouti et surtout la province éthiopienne de l'Ogaden, conquise par l'empire à la fin du siècle dernier et que le régime de Syaad Barré tenta en vain de récupérer par les armes en 1977.    Loin d'avoir accompli son rêve réunificateur, la Somalie se retrouve aujourd'hui scindée en deux régions qui épousent en gros les tracés coloniaux. Et ce n'est pas un hasard si les rebelles du MNS ont redonné à leur territoire le nom de " Somaliland " qu'il portait sous l'ancien protectorat britannique avant de donner naissance à la Somalie moderne en s'unissant le 1e juillet 1960 à la colonie italienne de Somalia, au sud. C'est un retour symbolique au passé, comme pour nier trente ans d'histoire-celle de l'indépendance-au cours de laquelle le Nord accumula sa rancoeur contre les clans sudistes qui gouvernaient à Mogadiscio.    L'Ethiopie est, elle aussi, menacée de démembrement. Mais, hormis les rebelles érythréens, personne ne souhaite qu'elle soit amputée, notamment d'une partie de son littoral. Né en 1970, le FPLE s'en tient depuis onze ans à la même exigence : l'organisation en Erythrée d'un référendum sous supervision internationale offrant aux trois millions et demi d'habitants le choix entre le maintien de l'unité éthiopienne, l'autonomie et l'indépendance.    L'avenir de l'Ethiopie dépendra beaucoup de la nature des relations entre rebelles érythréens et tigréens. Fondé en 1975, le FPLT est le véritable noyau armé du FDRPE, le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien, qu'il créa en 1989 pour se donner une image moins régionaliste. S'il n'a jamais nourri de desseins séparatistes au profit du Tigré, le FPLT a toujours reconnu le droit à l'autodétermination de l'Erythrée. Maintiendra-t-il cette position une fois qu'il aura hérité du pouvoir central ? JEAN-PIERRE LANGELLIER Le Monde du 28 mai 1991

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