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Article de presse: La montée des tensions en Afrique du Sud

Publié le 22/02/2012

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16 juin 1976 - Sharpeville, 21 mars 1960, quatre-vingt-six morts : depuis cette date, plus d'un quart de siècle s'est écoulé. L'Afrique du Sud a-t-elle changé? A faire le décompte des morts, le bilan des affrontements quasi quotidiens, on serait tenté de répondre par la négative. 879 morts et 25000 arrestations pour l'année 1985. Pourtant, et cela constitue une part du " changement ", la répression menée par la police et l'armée sud-africaines n'est plus seule en cause, bien qu'étant toujours plus brutale et systématique : la violence politique s'exerce aujourd'hui au sein même de la majorité noire, au détriment de ceux de ses membres qui, las d'attendre une évolution du système de la ségrégation raciale, ont fait le choix de collaborer avec les institutions mises en place par le pouvoir blanc. Des dizaines de policiers et de fonctionnaires municipaux noirs, jugés traîtres à la " cause ", subissent le supplice du " collier ", sont assassinés par leurs frères de race. Si cette évolution ne signifiait pas une radicalisation du mouvement antiapartheid en Afrique du Sud, le régime de Pretoria pourrait presque se targuer d'avoir réussi à diviser ceux qu'il accuse de vouloir provoquer la ruine du pays. Apparemment, si l'on considère avec quelle absence de scrupules ou de complexes le pouvoir minoritaire blanc fait chaque jour la preuve de sa force, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays, rien n'a vraiment changé en Afrique du Sud. Le régime du président Pieter Botha, en imposant la supériorité de ses armes à ses voisins, réussit peu ou prou à maintenir un verrou autour de ses frontières. Pretoria, tout en poursuivant son aide aux mouvements de maquisards qui luttent contre les régimes de Luanda et de Maputo, n'a pas cessé de se livrer à des incursions armées en territoire angolais, prenant prétexte de pourchasser les nationalistes namibiens de la SWAPO. En Namibie, la situation n'a pas évolué, l'Afrique du Sud continue d'occuper illégalement un territoire pourtant reconnu indépendant par toute la communauté internationale. Le pouvoir sud-africain fait toujours aussi peu de cas du droit et des protestations internationales, comme en témoignent les raids périodiquement lancés par son aviation contre la Zambie, le Botswana et le Zimbabwe. Si l'on ajoute à ces pays le Lesotho et le Swaziland, dont l'autonomie vis-à-vis de Pretoria est quasiment nulle, c'est pratiquement toute l'Afrique australe qui est à la merci ou qui doit compter avec la puissance de feu de l'armée sud-africaine. La " ligne de front " des pays qui s'étaient unis pour lutter contre le régime d'apartheid n'est plus qu'un souvenir, tant la plupart d'entre eux, en dépit de leurs dénégations, sont obligés, pour la survie de leur économie, de commercer avec l'Afrique du Sud. Cet aspect des choses fait que Pretoria n'est pas près d'être isolé sur le plan régional. A chaque nouveau raid contre un pays voisin, le régime de Pieter Botha justifie son action par la nécessité de détruire des " bases " de l'ANC (Congrès national africain) qui, subissant une répression féroce à l'intérieur des frontières sud-africaines, cherche-et trouve-des appuis à l'extérieur. Certes, on pourrait affirmer que jamais le régime de Pretoria n'a été à ce point mis au ban de la communauté internationale. Il est vrai que les sanctions politiques et surtout économiques des partenaires de l'Afrique du Sud se sont multipliées depuis quelques années, et que celles-ci ont des effets non négligeables sur la situation économique du pays de l'apartheid. Mais, outre que les sanctions politiques (condamnations des Nations unies, rappels d'ambassadeurs) n'ont qu'une incidence dérisoire, la communauté internationale reste extrêmement divisée quant à l'opportunité des sanctions économiques. Les Etats-Unis, principal partenaire du régime sud-africain, se refusent à aller trop loin dans ce sens, notamment pour des raisons stratégiques. Quelles que soient, en effet, la solidarité et la sympathie que peuvent éprouver les gouvernements occidentaux à l'égard de la lutte de la majorité noire et leur hostilité au principe même de l'apartheid, ils sont au moins autant sensibles au fait que le régime " raciste " de Pretoria a jusque-là permis que la sécurité de la route maritime du Cap, par laquelle transitent 60 % de la consommation européenne de pétrole, soit garantie, et se souviennent que l'Afrique du Sud est l'un des tout premiers producteurs mondiaux de minéraux hautement stratégiques, comme, par exemple, le chrome, dont elle détient 89 % des réserves mondiales. Il est non moins certain que la plupart des pays occidentaux ne sont pas fâchés que le régime de Pieter Botha s'oppose à l'extension de l'influence soviétique sur le continent noir à partir de l'Angola et du Mozambique. Tout cela explique sans doute que les demandes réitérées des chefs de file de la majorité noire sud-africaine pour une aggravation des sanctions, seul moyen, selon eux, de faire plier le régime de l'apartheid, soient si timidement suivies. Pourtant, la communauté blanche sud-africaine prend peu à peu conscience des risques d'une explosion généralisée. Une partie d'elle incite le gouvernement de Pieter Botha sinon à négocier, du moins à tenter un dialogue avec le seul représentant avéré de la communauté noire, l'ANC. Au grand dam des " ultras ", des hommes d'affaires et des hommes politiques sud-africains blancs ont noué des contacts, ébauché une discussion avec les " terroristes ". Le pouvoir blanc lui-même a fait quelques concessions mais la ségrégation raciale, prévue par le Group Areas Act, restera la règle. Les lois organisant la répression sont renforcées. Réformiste, Pieter Botha l'est peut-être dans une certaine mesure. Mais sa liberté de manoeuvre est considérablement entravée par le poids des groupes de pression conservateurs blancs, qui ne veulent rien changer au statu quo. Il est à craindre qu'en Afrique du Sud la spirale de la violence n'aille beaucoup plus vite que les velléités de réformes. LAURENT ZECCHINI Juin 1986

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