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Article de presse: L'ère Marchais : la démarche brisée

Publié le 22/02/2012

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6-10 février 1985 -   Georges Marchais est entré en scène, mercredi matin 6 février, dans ce palais des sports de l'île des Vannes, à Saint-Ouen, où le Parti communiste a pris l'habitude, depuis neuf ans, de réunir ses congrès.    Le premier de cette série, en février 1976, avait marqué l'apogée de la carrière du secrétaire général, en fonctions alors depuis sept ans, en titre depuis quatre ans. Le vingt-deuxième congrès avait paru ouvrir, avec l'abandon de la notion de dictature du prolétariat, la dénonciation des atteintes aux libertés dans les pays socialistes, l'appel à l'union du peuple de France, une nouvelle période de l'histoire du communisme français.    Ancré dans l'union de la gauche, mais ayant pris conscience des risques qu'elle comportait pour lui et des évolutions nécessaires pour parer au danger d'être transformé en force d'appoint, le PCF semblait changer à vue d'oeil. Il se lançait, sous la direction d'une équipe rajeunie, à la conquête d'une opinion qui, au-delà même de la gauche, était moins hostile au PCF qu'elle ne l'avait jamais été. A preuve, un an plus tard, ces élections municipales qui donnaient des villes de tradition bourgeoise à des maires communistes.    L'union avait payé, certes, mais il ne fallait pas lâcher la proie pour l'ombre, le pouvoir d'Etat pour le pouvoir local. L'exemple italien était là pour montrer qu'un PC peut gérer des villes et des régions entières à la satisfaction générale, et être tenu en lisière du pouvoir véritable. Il fallait lutter pour ne pas être relégué au second rang d'une gauche qui n'avait jamais paru si près de la victoire. Le terrain choisi par le PCF pour engager le fer avec le PS fut l'actualisation du programme commun François Mitterrand tint bon. C'était perdu pour la gauche en 1978, mais, à plus long terme, le PS pouvait gagner s'il maintenait le cap de l'union et laissait le PCF s'enfoncer dans le mauvais rôle du diviseur. L'Afghanistan, le " bulldozer " de Vitry et quelques autres énormités ont fait le reste.    Jusqu'au congrès de février 1979, la direction du PCF est incapable d'imaginer autre chose qu'un repli sur des positions qu'elle avait elle-même rendues caduques. Au prix d'un discrédit qui s'amorce dans l'opinion, le secrétaire général confirme son pouvoir sur le parti. Au congrès, Roland Leroy quitte le secrétariat, auquel accèdent deux fidèles de Georges Marchais : Gisèle Moreau et Maxime Gremetz.    Il semble, alors, pendant une courte période, que le secrétaire général ayant, non sans dégâts, fait franchir à son parti l'épreuve de la rupture avec le PS, cherche à repartir dans la voie qui avait été la sienne auparavant. Conformément à ce que Georges Marchais avait annoncé, il n'y a pas eu d'exclusions. Le secrétaire général se réconcilie publiquement avec Jean Elleinstein, qui, un an plus tôt, était une cible privilégiée. On annonce la parution, sous la direction de Guy Hermier, nouveau responsable des intellectuels, d'un hebdomadaire ouvert au débat. Cette éclaircie, toutefois, ne dure pas au-delà de l'automne.    Mais l'hebdomadaire Révolution ne correspond pas à l'ambition annoncée. L'affaire de la fédération de Paris éclate au grand jour lorsque l'ancien premier secrétaire de la fédération, Henri Fiszbin, réélu au comité central, demande que le débat sur la politique qu'il avait menée dans la capitale soit porté devant les militants. Une rencontre avec le PS sur l'action commune dans les collectivités locales reste sans suite. En janvier 1980, le secrétaire général, en voyage à Moscou où il ne s'était pas rendu depuis plusieurs années, approuve l'intervention soviétique en Afghanistan. C'est toute la politique de confrontation avec la direction soviétique qui est jetée bas.    L'effet est désastreux pour le PCF, comme le prouvent les sondages et les élections partielles. Pour certains, en effet, la démarche de Georges Marchais parachève son retour au ghetto dont le parti était sorti dans les années 60. Pour d'autres, l'affaire afghane révèle un lien entre la rupture de l'union de la gauche et le réalignement du PCF sur Moscou.    Le secrétaire général, de nouveau mis en cause en mars pour les lacunes de sa biographie entre 1943 et 1947, semble s'enfermer dans une logique sectaire. Sa campagne pour l'élection présidentielle s'annonce étroitement confinée dans la défense d'une sorte de camp retranché-seul contre tous les autres,-sans autres perspectives que l'échec de François Mitterrand et l'affaiblissement du PS. Georges Marchais tient, devant des publics strictement militants, un discours qui le situe en marge de l'affrontement entre le candidat socialiste, porteur des espoirs de la gauche, et le président sortant menacé dans son propre camp. A la fin du meeting de Lille, huit jours exactement avant le premier tour, le secrétaire général accuse une fatigue qui est le résultat de trois années d'épreuves autant que de la campagne électorale. " Sauver les meubles "    L'échec est cinglant. Privé d'un quart de son électorat, le PCF ne peut que s'incliner devant un François Mitterrand qui a gagné la bataille de l'union. Georges Marchais vit l'une des semaines les plus dramatiques de sa vie. Il ne reste plus au PCF qu'à tenter de " sauver les meubles " aux élections législatives. Georges Marchais, qui se voit refuser par le président l'entrée du premier gouvernement d'union de la gauche de l'histoire, se lance dans la nouvelle bataille de la participation au pouvoir, mais la confiance dont il disposait au sein de son parti paraît irrémédiablement ébranlée. Au fil des mois, et malgré les compromis passés au vingt-quatrième congrès, en février 1982, la question de la succession est évoquée de plus en plus ouvertement.    De nouveau en première ligne-secrétaire général oblige-pour les élections européennes de juin 1984, Georges Marchais, bien qu'ayant fait figurer sur sa liste tous les principaux responsables du parti, signe personnellement un nouveau recul, qui met le PCF au seuil de la marginalisation. Cette fois, la " contestation " s'exprime de façon inattendue au comité central réuni les 26 et 27 juin. Le secrétaire général, convaincu d'avoir affaire à une offensive le visant personnellement, se détourne de ceux qui voudraient le voir prendre la tête d'une véritable modernisation du parti. C'est avec les adversaires de ces prétendus " liquidateurs " qu'il organise sa défense. PATRICK JARREAU Le Monde du 7 février 1985

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