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Article de presse: La nouvelle direction chinoise solde l'ère des grands timoniers

Publié le 17/01/2022

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16-17 mars 1998 - La direction chinoise vient de clore la période de l'après-Tiananmen. Neuf ans après le massacre de Pékin de juin 1989, la hiérarchie communiste de l'empire du Milieu vient de s'engager dans une redistribution des rôles au plus haut niveau qui, à défaut de solder ses comptes avec la population, marque la fin d'une époque hantée par la statue du Commandeur de Deng Xiaoping. Formellement investie lundi 16 et mardi 17 mars par l'Assemblée nationale populaire (ANP), le nouveau noyau dirigeant qui franchira le seuil du troisième millénaire (son mandat est de cinq ans) se trouve désormais condamné à la pratique collégiale du pouvoir. Aucune figure incontestée ne le domine. Pour la première fois depuis la fondation du régime communiste en 1949, la Chine ne sera pas gouvernée au gré des visions, des humeurs, ou des toussotements fatigués d'un patriarche ou d'un timonier. Une cohabitation houleuse Ce grand vide ouvert par l'extinction de la génération de pères fondateurs peut être un atout pour une population qui aspire assez largement à substituer la règle de l'état de droit aux aléas de l'arbitraire. Mais il peut tout aussi bien annoncer une dangereuse fragmentation du pouvoir en chapelles concurrentes. Or la Chine peut difficilement se payer un tel luxe à un moment où l'exacerbation des tensions sociales provoquées par les réformes économiques requiert un gouvernail assuré. Que faut-il attendre de cette nouvelle direction "élue" selon un scénario déjà bouclé lors du 15e congrès du Parti communiste, tenu à la mi-septembre ? L'actuel numéro un Jiang Zemin a été reconduit à la présidence de la République, poste qu'il cumulait déjà avec ceux de secrétaire général du parti et de président de la commission militaire centrale. Une telle brochette de galons est du plus bel effet, mais elle n'en fait pas nécessairement l'homme fort du régime. S'il est incontestable qu'il a conforté son assise personnelle depuis le décès, il y a quatorze mois, de Deng Xiaoping, M. Jiang n'est pas le centre de gravité du système. Il suffit de constater la nervosité avec laquelle il tolère l'arrivée aux commandes gouvernementales de l'étoile montante de la politique chinoise, Zhu Rongji, intronisé premier ministre. Il est de notoriété publique que les rapports entre les deux hommes sont malaisés. Technocrate cassant, M. Zhu ne prise guère les jeux d'appareils et les allégeances claniques qui font l'ordinaire des coulisses du pouvoir chinois. On dit que M. Jiang a pris ombrage du fait que M. Zhu ne rende que mollement hommage à ses mérites présidentiels dans ses interventions publiques. Surtout, M. Jiang s'irrite de la cote de son premier ministre à l'étranger. A un moment où Pékin redore son blason sur la scène internationale (Washington vient de refuser, dans la foulée des Européens, de cautionner une résolution anti-chinoise à la Commission des droits de l'homme de Genève), M. Jiang veut sa part de lumière. La Chine, devrait connaître une cohabitation assez houleuse sur les affaires étrangères. Sans doute cette concurrence explique-t-elle que Jiang Zemin ait d'ores et déjà mis sur orbite un dauphin potentiel en la personne de Hu Jintao. Cadet du bureau politique (il a cinquante-cinq ans) et ancien chef de l'école du parti à Pékin, M. Hu vient d'accéder au poste de vice-président de la République. La nomination de ce jeune turc à un poste symbolique, jusque-là réservé à des vétérans ou à des figures non communistes alibis, est exceptionnelle. Elle semble indiquer la volonté de M. Jiang de renforcer le pôle de la présidence face au gouvernement de Zhu Rongji. Car c'est bien cette dualité qui risque de dominer la politique chinoise ces prochaines années. On a beaucoup glosé sur les velléités autonomistes de l'Assemblée nationale populaire (ANP) à l'époque où celle-ci était présidée par Qiao Shi, ancien patron des polices converti à la rhétorique sur " l'Etat de droit". Or M. Qiao a justement été débarqué sans ménagement pour avoir poussé le bouchon un peu loin dans sa tentative d'émancipation. Et on a toutes les raisons de penser que son remplacement par l'ancien premier ministre Li Peng, dont le nom reste associé à la répression de Tiananmen, aboutira à ramener dans le rang les quelques naïfs qui s'étaient mis à rêver de parlementarisme à la chinoise. Les 326 députés (sur 2 616 votants) qui ont refusé d'avaliser l'élection de M. Li ont vraisemblablement voulu exprimer leur crainte d'un recul des prérogatives parlementaires. La très mauvaise élection (seulement 65 %) au poste de procureur général de Han Zhubin, un bureaucrate peu familier des questions de justice, exprime aussi à sa manière les inquiétudes des députés. Avec une faille ouverte entre la présidence et le gouvernement et la perspective d'une reprise en main de l'Assemblée, l'équation au sommet de la hiérarchie chinoise est bel et bien bouleversée. FREDERIC BOBIN Le Monde du 18 mars 1998

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