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Butor, la Modification (extrait).

Publié le 07/05/2013

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Butor, la Modification (extrait). Dans le train qui le conduit de Paris à Rome où il doit retrouver Cécile, sa maîtresse, Léon Delmont, fort de sa décision de rompre avec sa femme pour faire venir sa maîtresse à Paris, songe à différents épisodes de sa vie passée. Il évoque ainsi sa rencontre avec Cécile lors d'un précédent voyage en train, deux ans plus tôt. Roman d'une conscience en train de se modifier, empreint de la froide objectivité descriptive propre au Nouveau Roman, la Modification est également un hommage à Rome et à ses multiples visages parfois illusoires, s'enracinant dans une opposition entre Rome et Paris, qui structure le roman comme la vie du narrateur. La Modification de Michel Butor (chapitre 3) Il y a deux ans, un peu plus même, puisque c'était encore en été, à la fin d'août, vous étiez assis dans un compartiment de troisième classe semblable à celui-ci, dans cette place auprès du corridor face à la marche, et en face de vous il y avait Cécile que vous connaissiez à peine, que vous veniez juste de rencontrer dans le wagon-restaurant, revenant de ses vacances. C'était nettement plus tard que cette heure-ci, c'était en plein après-midi, dans un train qui partait le matin comme celui-ci et qui arrivait à Rome à l'aurore, le même train que celui-ci sans doute, avec quelques différences dans l'horaire, et que vous aviez dû prendre cette fois-là à cause de difficultés qui s'étaient élevées au dernier moment, vous ne savez plus exactement lesquelles, mais naturellement avant de déjeuner vous étiez en première, dans un wagon italien avec des photographies en couleurs de tableaux célèbres, romains peut-être, l'allégorie des deux amours à la villa Borghese par exemple, un des plus souvent reproduits. Quand vous l'avez vue pour la première fois, vous étiez déjà assis à la table près de la fenêtre pour le second service. Dijon était passé depuis longtemps, Beaune, Mâcon, Chalon et même Bourg ; ce n'étaient plus les vignobles mais les montagnes. Elle avait une robe rouge orange décolletée sur sa poitrine brunie, ses cheveux noirs tressés, roulés autour de sa tête, fixés par des épingles à boule d'or, ses lèvres peintes presque en violet. Le wagon se remplissait peu à peu, mais par chance vous êtes restés seuls tous les deux à votre table, et, comme il faisait chaud, votre première parole a été pour lui demander si vous pouviez ouvrir la série de petites lamelles de verre en haut de la fenêtre, puis la voyant sortir de son sac noir un indicateur non point bleu ciel comme le vôtre aujourd'hui, mais plutôt vert tendre comme la peinture sous les filets, alors que vous n'en aviez point, vous l'avez interrogée sur l'heure d'arrivée à Aix-les-Bains. « Le repas sera fini bien avant que vous y soyez. -- Ce n'est pas là que je m'arrête. Je vais jusqu'à Rome, pas en touriste hélas, pour mes affaires. « D'abord il n'y avait que quelques mots de politesse, séparés par de longs silences, puis, peu à peu, c'est devenu une conversation continue où il était surtout question du repas, du vin que vous lui faisiez goûter, de ce que l'on mettait dans votre assiette, jusqu'au moment où, lisant sa note, elle s'est aperçue qu'elle n'avait pas gardé suffisamment d'argent français : « Il acceptera bien des lires. -- Oui, mais à un taux tout à fait désavantageux : je vais vous en acheter mille au cours de Paris. « Alors, elle s'est mise à vous parler d'elle, vous apprenant qu'elle aussi allait jusqu'à Rome, qu'elle y travaillait elle aussi, au palais Farnèse, depuis des années, qu'elle aimait beaucoup cette ville, cette vie, cette situation, mais qu'elle s'y trouvait assez seule, et qu'elle quittait Paris où elle venait de passer un mois de vacances, avec évidemment un peu de nostalgie, que sa mère était italienne, qu'elle-même était née à Milan, mais qu'elle était de nationalité française et qu'elle avait terminé ses études pendant la guerre au collège Sévigné. Une fois les frontières rouvertes, elle était revenue chez ses parents maternels, elle avait épousé un jeune ingénieur de chez Fiat qui était mort, à peine étaient-ils installés à Turin, dans un atroce accident sur l'autostrade, juste deux mois après leur mariage. Elle frissonnait encore d'émotion à ces souvenirs et c'est pour cela qu'elle avait voulu quitter tout ce qui les lui rappelait, qu'elle était descendue vers le Sud. Presque tous les clients avaient déjà rejoint leur wagon ; les garçons repliaient les nappes ; vous êtes sortis ; vous êtes passés devant votre compartiment de première, mais vous aviez une si grande envie de lui parler de vous à votre tour que vous l'avez accompagnée jusqu'au sien et vous vous êtes assis en face d'elle. Le train longeait à ce moment le lac Lamartinien. Source : Butor (Michel), la Modification, Paris, UGE, coll. « 10/18 «, 1962. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

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