Céline et le Goncourt

En 1932, l'éviction du génial Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline soulève les passions et les protesta-tions. Les jurés se sont bien trompés en ignorant Céline. Mais ils n'étaient pas d'accord entre eux. Lucien Descaves voulait absolument couronner Le Voyage et, devant la trahison de ses pairs qui lui avaient promis de le suivre, il entre dans une colère noire, menace de dénoncer les « vendus ». Léon Dau-det, qui avait déjà voté pour Proust en 1919, le soutenait. « Ils n'ont pas voulu donner le prix à Céline, remarque Descaves, par peur du scandale ! A présent, ils ont le scandale de ne pas le lui avoir donné. » Cette affaire se solda par un long procès intenté par les Dix à deux journalistes. Ils accusaient le Prési-dent d'avoir choisi un collaborateur de L'Intransigeant, jour-nal où paraissait son propre roman.Donc, en 1933, il n'est plus question de manquer l'écrivain de premier plan qui se présente. Et Dorgelès, que l'oeuvre de Céline répugnait, peut affirmer :« Cette année encore, comme chaque fois que la valeur véri-table s'allie à la hardiesse, nous avons couronné un auteur dont les opinions et les tendances sont aussi loin que possible de celles de la plupart d'entre nous. » «Un grand procès», Nou-velles littéraires, 16 décembre 1933.Malraux n'avait plus qu'à remercier Céline ! Car le choix des Goncourt témoignait, sans nul doute, de l'influence de la campagne de presse menée contre eux l'année précédente.