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Comment est utilisé le motif de l'imagination dans les « Pensées » ?

Publié le 23/11/2010

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Blaise Pascal, mathématicien et philosophe de renom du XVIIème  siècle, entreprit d’écrire en 1658 une apologie de la religion chrétienne, mais sa mort en 1662 laissa l’ouvrage inachevé. Les Messieurs de Port-Royal se lancèrent alors dans la publication posthume des quelques huit cents fragments laissé par l’auteur, et donnèrent à cette œuvre le titre de « Pensées «. Le but principal de cette apologie est, pour Pascal, de convaincre le libertin de la nécessité de la foi en Dieu. Pour mieux convaincre son lecteur de la « misère de l'homme sans Dieu «, Pascal dépeint l’être humain dans sa faiblesse, jouet des « puissances trompeuses «, parmi lesquelles l'imagination, qui fausse le jugement de la raison. Quel rôle tient l’imagination dans la vie spirituelle de l’homme ? Nous commencerons par définir ce qu’est l’imagination pour Pascal, puis nous en déduirons les effets et les conséquences qu’elle a sur l’homme, et enfin, nous étudierons la manière dont Pascal use du concept de l’imagination pour amener le libertin à la foi.

 

      Pascal suppose que l’esprit humain n’a que deux domaines : la raison et l’imagination. Selon lui, l’imagination est un domaine clairement mauvais, il n’a d’ailleurs pas de mots assez durs pour en parler : elle est selon lui un des « principes d’erreur «, « maîtresse d’erreur et de fausseté « (fragment 41) toute puissante (Pascal use en effet de la métaphore et la désigne comme « maîtresse du monde « -fragment 41) dont le pouvoir s’étend à tous les hommes indépendamment de leur condition : la raison s’oppose donc à la raison. Il suffit d'un rien, d' « une mouche [qui] bourdonne à nos oreilles « (fragment 44) pour que l'homme perde toute raison, à laquelle l'imagination oppose « une puissance ennemie « (fragment 41). Son pouvoir est tel qu'elle a une emprise sur l'homme en dehors même de tout support, au point que les rois lui paraissent puissants, car il sait qu'ils le sont : « le monde qui ne sait pas que cet effet vient de cette coutume croit qu'il vient d'une force naturelle « (fragment 23). Ainsi, « tout le monde est dans l'illusion « (fragment 85) et accorde une place exagérée à l'apparence, l'une des causes de l'imagination et des variations de l'homme qui s'ensuivent : « [il] ne branl[e] que par secousses « (fragment 41). L’imagination est donc, pour Pascal, une «superbe puissance ennemie de la raison «, nous permettant de nous échapper de manière illusoire à notre condition misérable et de vivre une vie irréelle, fausse car nos sens sont induits en erreur, mais cependant plus exaltante. C’est l’imagination qui explique, plus banalement, le vertige auquel même les plus grands penseurs n’échappent pas (fragment 82). Elle nous conduit à considérer comme vraies des choses qui ne le sont pas nécessairement, ou du moins, de manière relationnelle et par là même modifie nos comportements, c’est pourquoi l’auteur place l’imagination, pour sa majorité, dans la liasse « Vanité «.

 

      L’imagination nous rend, selon Pascal, confiants, défiants et subjectifs. De plus, elle est la cause de toutes sortes d’émotions qui sont dangereuses du fait de leur fausseté. En revanche, la raison est ce domaine désirable qui nous permet d’être juste, objectif et sage. Quand l’homme ne juge plus de l’essence et de la valeur par rapport à Dieu, quand il n’en juge que par rapport à lui-même se faisant ainsi Dieu, il ne possède plus qu’une image du vrai, et qu’une image du bien. La raisonne peut juger correctement des choses que le cœur ne soit réglé. A partir du moment où le cœur est déréglé par l’imagination, dès lors que l’amour propre remplace l’amour de Dieu, la raison ne peut plus juger correctement de rien, et elle a beau protester contre les distorsions de l’imagination, elle-même ne peut plus rétablir aucune justesse. C’est l’imagination qui décide de tout, de ce qu’il faut fuir ou poursuivre, comme de ce qu’il faut croire, et qui instaure aussi une seconde nature. La fantaisie, individuelle ou collective, règne désormais sur tout. L’omagination a un pouvoir intrinsèque : elle suspend les sens, elle les fait sentir : elle retient les sens et leur action, ou, à l’inverse, elle leur fait sentir ce qu’ils ne sentiraient pas forcément. « Elle amoindrit lune perception ou lui donne une force extrême « (fragment 41). Elle majore, elle minore. Elle met de côté, ou met en avant. « Les magistrats en robe rouge et hermine, les médecins en soutane et avec mules, les docteurs aux bonnets carrés et de robes trop amples de quatre parties « (fragment 41) une forme, un habit, un ensemble imposant m’atteignent. Un ton de voix change un poème et un discours de force. L’imagination a sa part dans toutes ces perceptions. De plus, l’imagination, quoique utile au bonheur de l’homme, le détourne de la voie qui le mène véritablement au bonheur éternel : la foi en Dieu.

 

De ce fait, l’imagination empêche l’homme d’être bon. Ceux qui utilisent leur raison voient la réalité en sa vérité au lieu d’une fausse image créée par leur imagination. Il semble Pascal voulût présenter ces deux domaines en termes très simples : la raison est vertueuse et l’imagination est mauvaise. Cependant, elle est nécessaire : on peut constater que Pascal fait appel à l’imagination du libertin bien qu’elle soit source d’erreur. C’est que l’auteur est bien conscient que par l’imagination, on peut accéder à la vérité. Et là, une grande contradiction puisque par la source d’erreur nous connaissons la vérité. En cherchant à démontrer la misère de l’homme sans Dieu, Pascal reprend, au passage, les analyses de Montaigne qui montrent la puissance de l’imagination. Mais il donne un ton plus incisif à son propos, dénonçant aisin la faiblesse de l’espèce humaine. A la différence des apologistes qui l’ont précédé, Pascal utilise l’imagination pour éveiller l’amour de Dieu dans le cœur du libertin, faisant en sorte qu’elle aide à une prise de conscience de l’existence de Dieu. Le fragment 475 nous éclaire sur la visée de Pascal quant à l’utilisation du motif de l’imagination dans les « Pensées « :  « L’imagination grossit les petits objets jusqu’à remplir notre âme par une estimation fantasque, et par une insolence téméraire elle amoindrit les grandes jusqu’à sa mesure comme en parlant de Dieu «

 

      En musique, un motif est une phrase musicale qui se répète et devient une sorte de leitmotiv. Dans les Pensées, Pascal ce sert de l’idée de l’imagination dans le but bien précis de démontrer que « l’homme n’est qu’un sujet plein d’erreur naturelle, et ineffaçable sans la grâce « (fragment 41), et l’imagination, souvent perçue comme positive de nous jours,  est pour Pascal une des plus grandes misères de l’homme, car elle s’oppose à la raison, trompant même celle des plus sages, ou plus exactement, de ceux qui croient l’être. Comme un sermon, il dit à ses contemporains ‘vous ne pouvez pas vous en sortir par l’imagination, qui est source de tromperie parce elle vous est inhérente ou interne, la raison est un progrès, mais n’est pas suffisante ; vous avez besoin de l’intervention divine, car vous avez besoin d’être guidé (écouter Dieu)

 

      Quelles sont les stratégies argumentatives à l’œuvre dans les « Pensées  « ?                                      

 

      Blaise Pascal, philosophe du XVIIème siècle, rédigea dans les quatre années précédant sa mort en 1962 l’ébauche d’une apologie de la religion chrétienne, dont le but premier était d’amener les libertins et les impies à la foi. Il peut être intéressant de s’attarder sur la visée argumentative des Pensées et poser la question des moyens utilisés par l’auteur pour modeler le jugement de son destinataire. Il convient, tout d’abord, de signaler que l’auteur a écrit un art de persuader. De ce fait, on peut étudier les moyens de persuasions mis en œuvre par Pascal. Quels sont les enjeux de la stratégie argumentative des « Pensées « ? Nous évoquerons la difficulté de persuader d’une part, et la méthode de l’auteur mêlant force et contrariété d’autre part. Quelles sont les modalités de persuasion de l’auteur ? Nous verrons comment Pascal oppose le style brisé et le style périodique, et comment il a recours aux discours imagé et argumenté dans les « Pensées «.

 

Dans « L’Art de persuader «, rédigé en 1658, Pascal définit deux entrées par lesquelles les opinions sont reçues dans l’âme : la preuve qui s’adresse à l’entendement, appelée aussi esprit ou raison, et l’agrément qui s’adresse à la volonté. Il existe des vérités d’un troisième ordre, les volontés divines –qui sont infiniment au dessus de la nature : Dieu seul les met dans l’âme, et de la manière qu’il lui plaît. Comment, dans ce cas, puisque le but ultime de l’apologie est d’amener à reconnaître les vérités divines, l’auteur peut-il amener le libertin à parvenir à ces vérités alors qu’elles n’appartiennent qu’à Dieu ? Pour ce qui est des « vérités à notre portée «, Pascal appuie son raisonnement démonstratif sur les vérités naturelles connues à tout le monde. Dans les « Pensées «, il tentera il tentera de déployer une multitude d’outils persuasifs qui s’adresseront tantôt à l’esprit, tantôt au cœur. La forme elliptique, le recours au discours imagé, l’utilisation de l’exemple frappant tiré de la vie quotidienne, l’alternance du personnel et de l’impersonnel, l’intrusion de développements plus longs construits selon les exigences de la logique… Tout se mêle. Cette diversité prend en compte la multitude des destinataires : l’honnête homme sera plus sensible aux élégances de la pensée, au style, à la finesse du raisonnement qu’à un discours d’autorité. La multiplicité se justifie à la fois d’un point de vue rhétorique et d’un point de vue épistémologique. Qu’en est-il du caractère absolument singulier des vérités divines que seul Dieu peut faire entrer dans le cœur de l’homme ? En fait, Pascal ne prétend pas convaincre les hommes, il cherche à les rendre aptes à les recevoir.

La méthode persuasive utilisée par Pascal repose sur la contrariété, c'est-à-dire la concomitance de choses contradictoires et l’alliance des contraires.  « Renversement continuel du pour au contre « (fragment 86). C’est encore ce qu’évoque le fragment 121 : « S’il se vante, je l’abaisse ; s’il s’abaisse, je le vante et le contredis toujours jusqu’à ce qu’il comprenne qu’il est un monstre incompréhensible «. Non seulement l’auteur fait chercher à faire ressentir à son lecteur la contrariété, qui constitue le nœud de la nature de l’homme, mais il construit son écriture autour de cette notion. Pascal ne cesse de mettre en regard des opinions opposées et travaille à partir de celles-ci en y revenant sans cesse, soit pour les surmonter, soit pour les laisser telles quelles de manière à faire prendre conscience à son lecteur de l’impasse dans laquelle il se trouve, lui montrer les limites de son raisonnement, et donc, de sa misère. Ce jeu de renversement constant a pour objectif d’augmenter le vertige et l’égarement, qui doit lasser. On trouve des exemples frappants dans les fragments 62 et 94 respectivement sur la justice et la force. Cette méthode ne repose pas tant sur la froideur d’un raisonnement de type philosophique que sur de véritables jeux d’antinomies, parfois brusques et violents, dont la formulation cherche autant à convaincre qu’à toucher. Bien que les « Pensées « soient conçues comme une apologie, c’est bien cette volonté de faire fléchir, de faire ployer par la force de la vérité qui caractérise la stratégie persuasive de Pascal.

 

      L’une des contradictions formelles les plus constantes consiste en l’emploi simultané d’un style qui privilégie les ruptures et les cassures que l’on appelle communément « style brisé «, et de la période, c'est-à-dire de la phrase complexe, savamment construite. En multipliant les effets de ruptures à l’intérieur  du fragment ou de la phrase, Pascal cherche à provoquer la participation de son lecteur, tandis qu’il met le style périodique au service de la véhémence. Ainsi, les deux outils formels, d’apparence très éloignés, remplissent des fonctions qui les rapprochent. Le goût des oppositions tranchées et des blancs syntaxiques (anacoluthes, asyndètes, parataxes, ellipses, phrases nominales) se justifie par le besoin de maintenir le lecteur en éveil en lui assénant, pour ainsi dire, des coups fulgurants. Mais cette violence rhétorique est aussi créée par la phrase longue et l’emploi de redondances, de pléonasmes, de répétitions et d’anaphores ou le recours fréquent à l’hyperbole. Le long du fragment « Imagination « (41) pourrait aisément illustrer cette dualité stylistique qui joue également de l’adresse directe, de l’apostrophe, de la forme interrogative ou impérative, pour prendre parfois le ton de l’invective. Le fragment est ainsi construit selon un certain ordre : un présentation générale de l’imagination, dont la toute-puissante et d’abord illustrée par la variété des exemples qui mettent en évidence ses effets positifs comme ses effets négatifs, ouverture ensuite vers d’autres puissances qui trompent également notre raison. Dans ce cadre, Pascal multiplie les exemples successifs, juxtaposés, les formules frappantes tout en introduisant des phrases nominales, des exclamations, des interrogations, du style direct, de brefs raisonnements plus construits.

   Autre contrariété apparente de l’art persuasif du discours pascalien, le mélange de l’image qui frappe par sa force et de la rigueur argumentative. Les « Pensées « développent ainsi tout un réseau ‘images extrêmement fortes qui décrivent les hommes et le monde sous un jour sombre : la nuit et l’aveuglement, l’abandon, le vertige et la chute, la boue et l’ordure. L’image est soit juxtaposée au raisonnement, auquel parfois elle se substitue, soit inscrite à l’intérieur de formulations elliptiques, comme dans certains fragments très brefs, soit intégrée à un moment argumentatif fondé sur le raisonnement dont elle vient briser le cours ou au contraire aider le développement. Les fragments 41, 122 et 126 en offrent de beaux exemples. Mais l’image ne frappe pas toujours par sa violence, elle est aussi souvent motivée par sa capacité à inscrire le discours dans le réel : l’apparition d’un détail concret, emprunté soit à la vie contemporaine, soit à une anecdote historique ou littéraire, donne un poids nouveau à la réflexion qu’elle vient soutenir ou même remplacer. La rhétorique et la méthode employées dans la partie anthropologique des « Pensées « s’articulent autour d’une possible alliance de l’esprit de finesse et de l’esprit de géométrie : faire voir ce choses si multiples et si diverses d’un seul regard, en montrer toutes les ambiguïtés, tout en déterminant certaines constantes et en proposant des raisonnements construits, l’image dans sa double fonction participe à cette complexe stratégie persuasive.

 

      La nature du projet initial de Pascal lors de la rédaction des « Pensées « inscrit l’œuvre dans le genre apologétique qui détermine un registre, celui de l’éloquence démonstrative. Mais la prise en compte de la nature de son destinataire conduit Pascal à faire le choix de la contrariété, de l’alliance des contraires, comme mode privilégié de la persuasion. Façonné par différents modèles rhétoriques (celui des Essais de Montaigne, celui de l’écriture mondaine, ou celui de l’écriture biblique), le style des « Pensées « est multiple et cherche à s’imprimer dans l’esprit et dans le cœur de son lecteur pour le conduire à la nécessité de la révélation.

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