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Conception universelle de l'homme et diversité culturelle

Publié le 09/02/2011

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À l'heure où la mondialisation des échanges entre les individus est devenue une réalité incontournable, nous semblons pris dans une situation paradoxale. Alors même que nous avons le sentiment d’appartenir à la grande famille humaine, au « village planétaire », nous sommes encore témoins de refoulements identitaires nous menant à des guerres civiles, à des exterminations ethniques et à des génocides, remettant en question les fondements même de ce que nous avons nommé la « dignité humaine ». En effet, le conflit opposant la conception de l’être humain proposée par la Déclaration Universelle des droits de l’Homme et les différences culturelles devient de plus en plus présent. Ces deux réalités, la première d’ordre juridique, la seconde, d’ordre social, sont-elles conciliables? Cette dissertation se propose de faire le constat des difficultés d’application de la vision universaliste ainsi que d’analyser les différentes critiques adressées à ses défenseurs pour, finalement, soumettre une voie de solution au problème posé par le relativisme culturel.

 

La culture se trouve au cœur des débats contemporains sur l’identité et la cohésion sociale. Cette dernière prend des formes diverses à travers le temps et l’espace. La diversité culturelle s’incarne dans l’originalité et la pluralité des identités caractérisant les groupes et sociétés composant l’humanité. Sources d’échange, d’innovation et de créativité, elle est pour le genre humain aussi nécessaire qu’est la biodiversité dans l’ordre du vivant. En ce sens, cette diversité constitue le patrimoine commun de l’humanité et doit être reconnue et affirmée au bénéfice des générations présentes et futures. Voilà l’ampleur des propos tenus lors de la Grande Conférence de L’UNESCO en août dernier, à l’occasion de l’adoption de la Déclaration Universelle sur la diversité culturelle[1]. Les variations culturelles sont omniprésentes et ne doivent pas être considérées comme une entrave à la communauté internationale mais plutôt comme une richesse nous permettant de comprendre le monde à l’aide d’autres traditions.

 

Le constat de la non-réalisation effective des droits de l’Homme est pourtant éloquent lorsque l’on observe certaines attitudes et mœurs ethniques. Prenons notamment l’opposition des Témoins de Jéhovah aux transfusions sanguines. Cela peut entrer directement en conflit avec le droit à la vie et à la sécurité prôné par la Déclaration. Le port du voile islamique pourrait de même être vu comme une négation pour les jeunes musulmanes du principe de l’égalité entre les sexes. Et que dire de la pratique de l’excision du clitoris, tradition encore présente dans plusieurs pays africains[2], en Amérique du Sud et en Asie du Sud-est? Cela peut nous sembler amoral et contraire au droit inaliénable à l’intégrité physique et psychologique de la personne humaine. Pour certains, la solution à ce problème consiste à imposer aux immigrants le respect des principes de base de notre morale collective universaliste, tels l’égalité des sexes, le respect de l’intégrité de la personne ou encore la séparation de l’Église et de l’État. Toutefois, n’est-il pas paradoxal que nous prétendions également qu’ils auront, chez nous, la liberté de pensée, d’expression, de religion et d’association[3]?

 

Dans la mesure où les matrices culturelles varient énormément d’une culture à l’autre, la Déclaration Universelle des droits de l’homme s’est vue adresser quelques critiques. Tout d’abord du fait que l’on raisonne uniquement à partir du modèle dominant occidental, comme si notre vision universaliste des droits de l’homme constituait la seule façon d’envisager l’humanité. Métayer soutient d’ailleurs à ce sujet que : « chaque société ou groupe humain est convaincu de la supériorité de son système de valeurs par rapport à celui des sociétés ou de groupes concurrents. »[4] C’est ainsi que le système des droits de l’homme s’avère quasi-inexistant pour une grande partie de la population mondiale[5], voire même perceptible par eux comme étant une menace oppressante à leurs moeurs. Ainsi, pour certaines communautés encore attachées à leur culture traditionnelle, cette éthique occidentale des droits fondamentaux n’a rien d’absolu. Elle peut leur apparaître comme une « morale » d’inspiration individualiste que les pays industrialisés cherchent à leur imposer. Il semble dès lors qu’un fossé culturel et, par ricochet, idéologique se dresse entre certains pays entretenant une vision divergeant du concept occidental universaliste. Les Iraniens et les Chinois font notamment partie des communautés critiquant l’individualisme de l’approche universaliste. Par exemple, l’un des représentants officiels de l’Iran à l’O.N.U. déclarait le 7 décembre 1984 : 

La Déclaration Universelle des droits de l’Homme, qui illustre une conception laïque de la tradition judéo-chrétienne, ne peut être appliquée par les musulmans et ne correspond nullement au système de valeurs reconnu par la république islamique : cette dernière ne peut hésiter à en violer les dispositions puisqu’il lui faut choisir entre violer la loi divine ou les conventions laïques[6].

 

Dans le même ordre d’idée, la notion de liberté individuelle semble être tout à fait étrangère à la mentalité traditionnelle chinoise, considérant que l’individu n’existe qu’en fonction de la collectivité à laquelle il appartient. C’est ainsi qu’au président Clinton, criant haut et fort que « La liberté d’expression n’est pas le droit inné des Américains ou des Occidentaux mais le droit inné de chaque être humain », le président Jiang rétorqua que « La Chine et les États-Unis ayant des traditions culturelles fort différentes, les notions de démocratie, de droits fondamentaux et de liberté sont relatives .»[7] 

 

Il est donc manifeste que le pluralisme culturel s’avère parfois difficilement compatible avec la vision occidentale des droits de l’Homme. Il faut cependant garder à l’esprit que certains droits garantis par la Déclaration Universelle des droits de l’Homme dépassent largement cette notion d’application culturelle. Ainsi, le droit à la vie, à la liberté, à l’éducation, au procès équitable etc. sont fondamentaux et doivent être reconnus à l’être humain du seul fait qu’il est un être humain[8]. Sans remettre en cause les convictions universalistes, il y a toutefois lieu de considérer lucidement, en faisant abstraction de tout intérêt politique, économique ou personnel, le problème de la conciliation de ces principes en lien avec la survivance des traditions culturelles qui véhiculent des valeurs qui ne sont pas toujours, elles, « universalisables ».

 

Somme toute, il semble inévitable, dans le but de concilier universalisme et pluralisme culturel, de s’ouvrir au dialogue, condition sine qua non pour une approche interculturelle du concept des droits de l’homme. Thomas De Koninck affirme, à juste titre : « Plus l’autre apparaît différent, moins l’on risque d’être disposé par sympathie naturelle à prendre fait et cause pour lui»[9]. Nous sommes donc d’abord et avant tout invités à accepter qu’il existe différentes façons, toutes aussi « valables » les unes que les autres, de saisir le monde. L’ouverture envers les autres cultures permettra l'émergence de lieux de rencontre, d'échange, de conversations avec les autres traditions humaines. Cette conversation interculturelle ouvrira de nouvelles perspectives et, dès lors, nous cesserons d’envisager les droits de l’homme comme une réalité statique pour en faire une réalité dynamique et sociale. La démarche à adopter en vue d'une actualisation des droits de l'homme passe par une construction de l'universel par le particulier. C'est ainsi que nous devrons réfléchir à l'homme lui-même ainsi qu'à ses façons de penser et d'organiser la société dans laquelle il évolue. Pour ce faire, il s’avère fondamental de réfléchir, de comprendre, mais surtout, d’accepter l’existence des différences culturelles. Plusieurs villes cosmopolites telles que Montréal ou New-York semblent avoir accepté ce pluralisme culturel. De ce fait, les métropoles ont engagé un dialogue avec les ethnies et ont réussi à faire coexister de nombreuses cultures, juste consensus qui nous permet de vivre ensemble.

Bibliographie

 

 

Déclaration Universelle des droits de l’Homme, Rés. AG 217 (III), Doc. off. AG NU 3e sess., supp. n 13, Doc. NU A/810 (1948).

 

Déclaration Universelle de L’UNESCO sur la diversité culturelle, Rés. GC C64 Doc. off. GC UNESCO, 31e sess, (1991).

 

De Koninck, Thomas, La dignité humaine, Paris, Presses Universitaires de France, 1995, 226 p.

 

Kant, Emmanuel, Projet de paix perpétuelle, Coll. « Profil philosophique », Paris, Hatier, 1988, 79 p.

 

Kant, Emmanuel, Théorie et pratique, Coll. « Profil historique », Paris, Hatier, 1990, 78 p.

 

Kant, Emmanuel, Vers la paix perpétuelle, St-Maurice, Suisse, Éditions Saint-Augustin, 1958, 188 p.

 

Ouellet, Fernand, Essais sur le relativisme et la tolérance, Saint-Nicolas, Les Presses de l’Université Laval, 2000, 237 p.

 

Métayer, Michel, La philosophie éthique, enjeux et débats actuels, Saint-Laurent, Éditions du renouveau pédagogique, 1997, 426 p.

 

Touraine, Alain, Pourrons-nous vivre ensemble? Égaux et différents, France, Fayard, 1997, 395 p.

 

« Fleur du désert », Sélection du Reader’s Digest, Vol. 105, n. 626, (août 1999), Périodiques Reader’s Digest Limitée, 1999, 156 p.

 

« Les droits de l’homme d’un point de vue philosophique », dans R. Kilbansky et D. Pears (dir.), La philosophie en Europe, Paris, Gallimard, 1993, pp. 512515, 533535, 540.

 

Attinger, Daniel. Amin Maalouf et les conflits interculturels, http://n.ethz.ch/student/danou/daniel/readings/maalouf.html, 1999.

 

Damiot, Nathalie, Les droits fondamentaux et la démocratie ont-ils une valeur universelle, malgré les différences sociales et culturelles?, http://pages.globetrotter.net/pcbcr/universel.html, 2000.

 

Eberhard, Christophe, De l’universalisme à l’universalité des droits de l’homme par le dialogue interculturel, un défi de sortie de modernité, http://sos-net.eu.org/red&s/dhdi/txtuniv/memoir1.htm, 1996.


[1] Déclaration Universelle de L’UNESCO sur la diversité culturelle, Déc. GC,  31 C/64, 2001, art. 1.

[2] Voir à ce sujet le témoignage d’une femme ayant subi l’excision: Waris Dirie, Fleur du désert, Albin Michel, Paris, 1998, 329 p.

[3] Michel Métayer, La philosophie éthique, enjeux et débats, p. 182, [ci-après Métayer].

[4] Ibid., p. 33.

[5] Ibid., p. 32.

[6] Métayer, supra note 3, p. 183.

[7] Nathalie Damiot, « Les droits fondamentaux et la démocratie ont-ils une valeur universelle, malgré les différences sociales et culturelles ? », http://pages.globetrotter.net/pcbcr/universel.html, 1er janv. 2000.

[8] Jeanne Hersch, Les droits de l’homme d’un point de vue philosophique, p. 534.

[9]Thomas De Koninck, De la dignité humaine, p. 5.

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