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De Gaulle au micro de la BBC

Publié le 22/02/2012

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18 juin 1940 -   Un texte de moins de trois cents mots a fait de cette journée une date pour manuels d'histoire. Mais l'appel de Londres, ce n'est pas seulement l'entrée en scène d'un personnage historique, c'est aussi le produit d'une certaine situation. Désastre militaire, dislocation de l'alliance britannique, aigrissement des rapports franco-américains, liquéfaction de la société politique française, tout concourt à vouer cette journée au désespoir : l'affirmation de l'espoir en prendra une dimension d'autant plus fabuleuse.    L'armée française et ses alliés ne sont plus que des lambeaux informes. Parvenues aux abords de Rennes, de Belfort et de Moulins, les colonnes blindées ennemies ne se donnent plus la peine de faire des prisonniers, intimant seulement aux marcheurs fourbus qui portent encore leur fusil l'ordre de jeter leurs armes, et foncent vers le sud. Des généraux d'armée sont faits prisonniers. Et lorsqu'un civil tente, dans un village normand, de tirer sur un général allemand, des soldats l'en empêchent...    L'armée est taillée en pièces, l'aviation chassée du ciel. La marine, elle, a la ressource, faute de mieux, de faire prendre la mer à ses unités  c'est le 18 juin que le Richelieu appareille, tandis qu'à Brest et à Cherbourg dix sous-marins sont sabordés. La flotte ne pourrait-elle mieux faire que de se suicider ? Elle ne donne en tout cas pas l'impression d'être prête à la trahison. Le régime à la dérive    Bordeaux, depuis bientôt une semaine, c'est la République vue par Gringoire, par Maurras et par Céline : un conglomérat de consuls vacillants, effrayés de l'impopularité qu'ils ont touchée du doigt en traversant, dans la débâcle, leurs circonscriptions.    Le 16 au soir, en dépit de l'offre d'union franco-britannique téléphonée de Londres. Paul Reynaud a été remplacé par le maréchal Pétain, qui, convoqué par le président Lebrun, a sorti de son portefeuille, à la stupéfaction de son interlocuteur, un ministère tout préparé, et mis en marche un mécanisme de négociation avec Hitler par le truchement espagnol. Voilà un homme que la catastrophe n'a pas pris au dépourvu.    Le 18, à 10 heures, Albert Lebrun préside un conseil des ministres qui se préoccupe moins de faire la guerre que d'obtenir la paix. On ne connaît toujours pas les conditions allemandes.    Quelques instants plus tôt l'ambassadeur américain Biddle a remis au nouveau ministre des affaires étrangères. Paul Baudouin, une note assez désagréable de son gouvernement rappelant que la flotte française ne devrait en aucun cas être livrée à l'Allemagne (ce dont Darlan a donné l'assurance solennelle à Churchill le 12 juin à Briare). Le conseil des ministres réitère la promesse de l'amiral, précisant à l'intention de Londres et de Washington que toute exigence de Hitler au sujet de la flotte provoquerait la rupture des négociations.    Mais le grand thème de discussion ce jour-là à Bordeaux, c'est le départ pour l'Afrique du Nord. Les présidents Lebrun, Herriot et Jeanneney en sont partisans  le maréchal Pétain ne veut pas entendre parler de quitter le territoire métropolitain. Edouard Herriot propose une solution de compromis : le maréchal, exerçant une sorte de " régence ", le général Weygand et les ministres de l'intérieur (Pomaret) et des travaux publics (Frossard) resteraient, les autres partiraient. Camille Chautemps, vice-président du conseil, se voyant déléguer à Alger la présidence du gouvernement.    Mais Pierre Laval intervient dans l'après-midi pour couper court au projet : il fait valoir auprès du maréchal que les éléments de gouvernement basés à Alger, plus libres, se saisiraient de l'essentiel du pouvoir. Ce serait permettre l'évasion du pouvoir, selon Laval, et le laisser sous l'influence anglaise. Philippe Pétain se prononcera donc contre le compromis Herriot, encore que les préparatifs de départ se poursuivent - au moins pour Perpignan, - tandis que l'amiral Darlan met un navire à la disposition des parlementaires : c'est le Massilia, dont l'objectif est Casablanca.    Cette intervention de Laval et l'accueil qui lui est fait montrent où est déjà le vrai pouvoir : dans cette journée du 18 juin l'autorité, qui deux jours plus tôt est passée des " résistants " aux " réalistes ", glisse soudain aux mains de ceux qui voient dans la situation l'occasion d'en finir avec le régime. Deux voix venues de Londres    Si le monde entier se mit ce jour-là à l'écoute de la radio de Londres, ce fut pour entendre la retransmission du grand discours prononcé à 15 heures aux Communes par Winston Churchill. La France y était critiquée pour les " retards " de ses stratèges, mais le premier ministre assurait que la Grande-Bretagne éprouvait " un sentiment de fraternité pour le peuple français ", et proclamait que face au nazisme l'Angleterre lutterait sans merci. Si importants que soient ces propos, si grand leur auteur, c'est un autre texte qui allait marquer pourtant cette journée.    Charles de Gaulle avait atterri à Londres la veille, le 17 juin, au début de l'après-midi, deux heures après la diffusion de l'appel à " cesser le combat " lancé de Bordeaux par le maréchal Pétain, à l'heure où le préfet de Chartres, qui s'appelait Jean Moulin, était pour la première fois torturé par les envahisseurs.    Avait-il, dès son précédent séjour à Londres, comme sous-secrétaire d'Etat à la guerre du gouvernement Reynaud, du 15 au 16, décidé cet exil ? A Henry Amouroux qui le lui demandait le général répondit : " C'était même, autant vous dire, convenu (1) ".    Propos bien net pour une situation et des intentions qui furent, semble-t-il, complexes, mais que domina bien sûr une puissante et très simple réaction : le refus d'accepter la défaite. Sentiment auquel s'ajoutait la fureur de voir investis par le désastre les deux hommes que lui, de Gaulle, tenait pour les responsables directs de l'effondrement de l'armée : Pétain et Weygand.    Ayant appris, le 16 au soir à Bordeaux, l'éviction de Reynaud, et le choix pour la politique d'armistice, il n'a pas barguigné longtemps. Et si " épouvantable " qu'ait été pour lui la décision de rompre avec la légalité apparente, ce n'est pas enlevé par Sir Edward Spears, l'émissaire de Churchill, qu'il a quitté Bordeaux le 17 au matin, mais ayant choisi de le faire. Pourquoi ? Parce qu'à été prise une décision qu'il estime contraire à l'honneur et plus encore à l'intérêt du pays. Parce qu'il est un stratège des grands espaces, et que, regardant ce jour-là des officiers étudiant une carte, il leur lance violemment : " Prenez donc une mappemonde ! " A Londres, il n'a pas été accueilli sans réserve le 17. Spears a fait en effet prévoir à Churchill qu'il ramènerait à Londres des personnages d'un tout autre " standing " politique : Reynaud, Mandel, Louis Marin. D'autre part, au moment même où il atterrit en Angleterre, Jean Monnet et Pleven quittent Londres après avoir persuadé leurs amis britanniques qu'ils convaincront Herriot et Jeanneney de former un gouvernement de résistance hors de la métropole. Enfin, le Foreign Office voit sans enthousiasme s'amorcer une opération qui risque fort d'aggraver encore la crise entre les deux gouvernements. " Il faut continuer à se battre "    Mais Churchill, qui a apprécié la pugnacité du jeune général lors des conseils interalliés de la première quinzaine de juin, même lorsqu'elle s'appliquait à des projets aussi absurdes que celui du " réduit breton ", et qui voit en lui un personnage de sa trempe, prend dès la soirée du 17 l'initiative de lui confier un micro, en attendant Reynaud et Mandel. Et de Gaulle se met au travail dans le petit appartement de Seamore Place que lui a prêté son ancien chef de cabinet, Jean Laurent.    Il est 20 h 20, ce 18 juin, quand, à la fin de l'émission d'information du soir, qui n'a été qu'un tissu de sinistres nouvelles, le responsable des bulletins étrangers, Gibson Parker, et un vieux speaker français nommé Thierry, font place, à leurs côtés, à un grand diable de général en tenue de toile qui pose sur un petit lutrin de bois, devant le micro deux feuillets dactylographiés par Elisabeth de Miribel. Et il commence de sa voix des profondeurs : " Les chefs qui depuis de longues années sont à la tête des armées françaises... ".    L'appel est lancé. Il n'est d'abord entendu que par un petit nombre : Pierre Mendès France à Jarnac, Maurice Schumann sous les bombes d'une gare. A Locminé, pourtant, bourgade bretonne que traversent en trombe les motards allemands, un jeune homme accourt sur la place pour clamer la nouvelle : " Un général vient de parler à la radio et dit qu'il faut continuer à se battre ... Il s'appelle de Gaulle. " Alors une vieille dame perdue dans la foule lâche le bras du curé auquel elle s'accrochait et jette dans un cri : " C'est mon fils ! "... Douze jours plus tard la vieille dame était morte. Et les gendarmes de Locminé, résistants d'avant-garde, rendaient devant sa tombe les honneurs militaires à la mère de l'homme du 18 juin. JEAN LACOUTURE Le Monde du 18 juin 1965
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« Charles de Gaulle avait atterri à Londres la veille, le 17 juin, au début de l'après-midi, deux heures après la diffusion de l'appelà " cesser le combat " lancé de Bordeaux par le maréchal Pétain, à l'heure où le préfet de Chartres, qui s'appelait Jean Moulin,était pour la première fois torturé par les envahisseurs. Avait-il, dès son précédent séjour à Londres, comme sous-secrétaire d'Etat à la guerre du gouvernement Reynaud, du 15 au16, décidé cet exil ? A Henry Amouroux qui le lui demandait le général répondit : " C'était même, autant vous dire, convenu (1) ". Propos bien net pour une situation et des intentions qui furent, semble-t-il, complexes, mais que domina bien sûr une puissanteet très simple réaction : le refus d'accepter la défaite.

Sentiment auquel s'ajoutait la fureur de voir investis par le désastre les deuxhommes que lui, de Gaulle, tenait pour les responsables directs de l'effondrement de l'armée : Pétain et Weygand. Ayant appris, le 16 au soir à Bordeaux, l'éviction de Reynaud, et le choix pour la politique d'armistice, il n'a pas barguignélongtemps.

Et si " épouvantable " qu'ait été pour lui la décision de rompre avec la légalité apparente, ce n'est pas enlevé par SirEdward Spears, l'émissaire de Churchill, qu'il a quitté Bordeaux le 17 au matin, mais ayant choisi de le faire.

Pourquoi ? Parcequ'à été prise une décision qu'il estime contraire à l'honneur et plus encore à l'intérêt du pays.

Parce qu'il est un stratège desgrands espaces, et que, regardant ce jour-là des officiers étudiant une carte, il leur lance violemment : " Prenez donc unemappemonde ! " A Londres, il n'a pas été accueilli sans réserve le 17.

Spears a fait en effet prévoir à Churchill qu'il ramènerait àLondres des personnages d'un tout autre " standing " politique : Reynaud, Mandel, Louis Marin.

D'autre part, au moment mêmeoù il atterrit en Angleterre, Jean Monnet et Pleven quittent Londres après avoir persuadé leurs amis britanniques qu'ilsconvaincront Herriot et Jeanneney de former un gouvernement de résistance hors de la métropole.

Enfin, le Foreign Office voitsans enthousiasme s'amorcer une opération qui risque fort d'aggraver encore la crise entre les deux gouvernements. " Il faut continuer à se battre " Mais Churchill, qui a apprécié la pugnacité du jeune général lors des conseils interalliés de la première quinzaine de juin, mêmelorsqu'elle s'appliquait à des projets aussi absurdes que celui du " réduit breton ", et qui voit en lui un personnage de sa trempe,prend dès la soirée du 17 l'initiative de lui confier un micro, en attendant Reynaud et Mandel.

Et de Gaulle se met au travail dansle petit appartement de Seamore Place que lui a prêté son ancien chef de cabinet, Jean Laurent. Il est 20 h 20, ce 18 juin, quand, à la fin de l'émission d'information du soir, qui n'a été qu'un tissu de sinistres nouvelles, leresponsable des bulletins étrangers, Gibson Parker, et un vieux speaker français nommé Thierry, font place, à leurs côtés, à ungrand diable de général en tenue de toile qui pose sur un petit lutrin de bois, devant le micro deux feuillets dactylographiés parElisabeth de Miribel.

Et il commence de sa voix des profondeurs : " Les chefs qui depuis de longues années sont à la tête desarmées françaises...

". L'appel est lancé.

Il n'est d'abord entendu que par un petit nombre : Pierre Mendès France à Jarnac, Maurice Schumann sousles bombes d'une gare.

A Locminé, pourtant, bourgade bretonne que traversent en trombe les motards allemands, un jeunehomme accourt sur la place pour clamer la nouvelle : " Un général vient de parler à la radio et dit qu'il faut continuer à se battre ...Il s'appelle de Gaulle.

" Alors une vieille dame perdue dans la foule lâche le bras du curé auquel elle s'accrochait et jette dans uncri : " C'est mon fils ! "...

Douze jours plus tard la vieille dame était morte.

Et les gendarmes de Locminé, résistants d'avant-garde,rendaient devant sa tombe les honneurs militaires à la mère de l'homme du 18 juin. JEAN LACOUTURE Le Monde du 18 juin 1965. »

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