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La peine de mort

Publié le 23/01/2013

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LA PEINE DE MORT Objet d'étude : convaincre persuader délibérer. CORPUS : 1.Victor Hugo (1802-1885), Le Dernier Jour d'un condamné, XXVI, 1869. 2. Victor Hugo (1802-1885), Les Châtiments, VII, 5, 1853. 3. Robert Badinter, Discours à L'Assemblée nationale, 17 septembre 1981. TEXTE 1 : Victor Hugo (1802-1885), Le Dernier Jour d'un condamné, XXVI, 1869. Un homme incarcéré et condamné à mort pour de raisons inconnues du lecteur, attend son exécution. Il est dix heures. Ô ma pauvre petite fille ! encore six heures, et je serai mort ! Je serai quelque chose d'immonde qui traînera sur la table froide des amphithéâtres ; une tête qu'on moulera d'un côté, un tronc qu'on disséquera de l'autre ; puis de ce qui restera, on en mettra plein une bière*, et le tout ira à Clamart**. Voilà ce qu'ils vont faire de ton père, ces hommes dont aucun ne me hait, qui tous me plaignent et tous pourraient me sauver. Ils vont me tuer. Comprends-tu cela, Marie ? Me tuer de sang-froid, en cérémonie, pour le bien de la chose ! Ah ! grand Dieu ! Pauvre petite ! ton père qui t'aimait tant, ton père qui baisait ton petit cou blanc et parfumé, qui passait la main sans cesse dans les boucles de tes cheveux comme sur de la soie, qui prenait ton joli visage rond dans sa main, qui te faisait sauter sur ses genoux, et le soir joignait tes deux petites mains pour prier Dieu ! Qui est-ce qui te fera tout cela maintenant ? Qui est-ce qui t'aimera ? Tous les enfants de ton âge auront des pères, excepté toi. Comment te déshabitueras-tu, mon enfant, du Jour de l'An, des étrennes, des beaux joujoux, des bonbons et des baisers ? - Comment te déshabitueras-tu, malheureuse orpheline, de boire et de manger ? Oh ! si ces jurés l'avaient vue, au moins, ma jolie petite Marie ! ils auraient compris qu'il ne faut pas tuer le père d'un enfant de trois ans. Et quand elle sera grande, si elle va jusque-là, que deviendra-t-elle ? Son père sera un des souvenirs du peuple de Paris. Elle rougira de moi et de mon nom ; elle sera méprisée, repoussée, vile à cause de moi, de moi qui l'aime de toutes les tendresses de mon c?ur. Ô ma petite Marie bien-aimée ! Est-il bien vrai que tu auras honte et horreur de moi ? Misérable ! quel crime j'ai commis, et quel crime je fais commettre à la société ! NOTES: * Cercueil. ** Allusion au cimetière de Clamart, ville proche de la banlieue parisienne. TEXTE 2 : Les Châtiments, VII, 5, 1853. Après le coup d'État du 2 décembre 1851, Louis-Napoléon Bonaparte devient empereur le 2 décembre 1852 sous le nom de Napoléon III. Victor Hugo, en exil à Bruxelles, a appris l'exécution publique de trois prisonniers politiques, Charlet, Cirasse et Cuisinier, guillotinés sur l'ordre de l'empereur Napoléon III. Il s'en prend violemment à ce dernier. C'était en juin, j'étais à Bruxelle* ; on me dit : Savez-vous ce que fait maintenant ce bandit ? Et l'on me raconta le meurtre juridique, Charlet assassiné sur la place publique, Cirasse, Cuisinier, tous ces infortunés Que cet homme au supplice a lui-même traînés Et qu'il a de ses mains liés sur la bascule**. Ô sauveur, ô héros, vainqueur de crépuscule, César !*** Dieu fait sortir de terre les moissons, La vigne, l'eau courante abreuvant les buissons, Les fruits vermeils, la rose où l'abeille butine, Les chênes, les lauriers, et toi, la guillotine. Prince qu'aucun de ceux qui lui donnent leurs voix**** Ne voudrait rencontrer le soir au coin d'un bois ! J'avais le front brûlant : je sortis par la ville. Tout m'y parut plein d'ombre et de guerre civile, Les passants me semblaient des spectres effarés ; Je m'enfuis dans les champs paisibles et dorés ; Ô contre-coups du crime au fond de l'âme humaine ! La nature ne put me calmer. L'air, la plaine, Les fleurs, tout m'irritait ; je frémissais devant Ce monde où je sentais ce scélérat vivant. Sans pouvoir m'apaiser, je fis plus d'une lieue. Le soir triste monta sous la coupole bleue ; Linceul frissonnant, l'ombre autour de moi s'accrut ; Tout à coup la nuit vint, et la lune apparut Sanglante, et dans les cieux, de deuil enveloppée, Je regardai rouler cette tête coupée. NOTES : * Licence poétique permettant l'absence du « s « final. ** Désigne ici la guillotine. *** Désigne ironiquement l'empereur Napoléon III **** Allusion au plébiscite organisé par Napoléon III pour légitimer son coup d'État. TEXTE 3 : Robert Badinter, Discours à L'Assemblée nationale, 17 septembre 1981. Dans ce discours, Robert Badinter présente et défend devant l'Assemblée nationale le projet de loi gouvernemental, et ce malgré une opinion publique majoritairement favorable à la peine capitale. Le projet sera approuvé par 363 voix conte 117. A cet âge de ma vie, l'une et l'autre affirmations me paraissent également erronées. Aussi terribles, aussi odieux que soient leurs actes, il n'est point d'hommes en cette terre dont la culpabilité soit totale et dont il faille pour toujours désespérer totalement. Aussi prudente que soit la justice, aussi mesurés et angoissés que soient les femmes et les hommes qui jugent, la justice demeure humaine, donc faillible. Et je ne parle pas seulement de l'erreur judiciaire absolue, quand, après une exécution, il se révèle, comme cela peut encore arriver, que le condamné à mort était innocent et qu'une société entière - c'est-à-dire nous tous - au nom de laquelle le verdict a été rendu, devient ainsi collectivement coupable puisque sa justice rend possible l'injustice suprême. Je parle aussi de l'incertitude et de la contradiction des décisions rendues qui font que les mêmes accusés, condamnés à mort une première fois, dont la condamnation est cassée pour vice de forme*, sont de nouveau jugés et, bien qu'il s'agisse des mêmes faits, échappent, cette fois-ci, à la mort, comme si, en justice, la vie d'un homme se jouait au hasard d'une erreur de plume d'un greffier**. Ou bien tels condamnés, pour des crimes moindres, seront exécutés, alors que d'autres, plus coupables, sauveront leur tête à la faveur de la passion de l'audience, du climat ou de l'emportement de tel ou tel. Cette sorte de loterie judiciaire, quelle que soit la peine qu'on éprouve à prononcer ce mot quand il y va de la vie d'une femme ou d'un homme, est intolérable. NOTES : * Annulée à cause d'un défaut dans la procédure judiciaire elle-même. ** Officier qui rédige les actes de procédures judiciaires. QUESTION [6 points] Vous comparerez ces trois textes afin de montrer en quoi la stratégie argumentative qu'ils développent est différente. Votre réponse n'excèdera pas trente lignes. TRAVAIL D'ECRITURE [14 points] I - COMMENTAIRE Vous commenterez le texte extrait des Châtiments de Victor Hugo (texte 2) en vous appuyant sur le parcours de lecture suivant : 1) Ce poème est un récit à visée argumentative. 2) Ce poème est une violente critique de l'Empire. II - DISSERTATION En vous appuyant sur le corpus proposé, sur les ?uvres que vous avez étudiées au cours de l'année, ainsi que vos lectures et votre culture personnelles, vous vous demanderez quel rôle la littérature peut avoir dans le débat d'idée. III - ECRIT D'INVENTION A l'âge adulte, Marie, la fille du condamné (texte 1), écrit une lettre au président du tribunal qui a prononcé la sentence contre son père. En variant les arguments et les registres, elle dénonce la peine capitale. Vous rédigerez cette lettre ; vous la signerez du seul nom de Marie. Cette lettre comportera au minimum deux pages.

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