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La responsabilité sans faute de l'Administration

Publié le 05/12/2010

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L’idée que l’action de l’Administration peut être de nature à faire courir des risques particuliers à certains et que la collectivité doit assumer ces risques dans l’hypothèse où ils se concrétisent en un préjudice subi par tel ou tel a conduit le juge à admettre une obligation de réparer à la charge de l’Etat dans certaines circonstances, même si l’Administration n’a commis aucune faute. En effet, certaines activités sont dangereuses et causent des dommages indépendamment de toute faute. Dans ces hypothèses avant l’apparition de la responsabilité sans faute, la victime ne pouvait être indemnisée bien qu’elle ait subi un préjudice indéniable du fait d’une activité de la puissance publique.  On parle alors de responsabilité sans faute. Elle constitue l’un des deux grands régimes de responsabilité de la puissance publique, à côté de la responsabilité pour faute. A la différence de cette dernière, la responsabilité sans faute repose sur l’anormalité du dommage. Elle apparaît à la fin du XIXe siècle : le Commissaire du Gouvernement Romieu, dans une affaire relative à un accident subi par un ouvrier de l’Etat affirmait que « L’Etat doit garantir ses ouvriers contre le risque résultant des travaux qu’il fait exécuter «. Elle n’a pas cessé par la suite de s’étendre à de nouvelles catégories de dommages  notamment dans le domaine médical en  permettant une meilleure prise en compte des victimes qui sans l’existence de cette responsabilité n’auraient pas pu être indemnisées. Aux côtés de la responsabilité sans faute liée au risque, l’idée d’une responsabilité sans faute de l’Administration fondée sur une rupture d’égalité devant les charges publiques a émergé. Dans ce cas, l’action de l’Administration bien que régulière a délibérément causé dans l’intérêt général un préjudice anormal fondé sur une rupture de l’égalité devant les charges publiques, elle ne résulte ni d’une faute, ni d’un risque. Le juge s’il a étendu le domaine de la responsabilité sans faute s’est toujours attaché à veiller à ce que son recours soit limité au cas où la victime subit un préjudice anormal c'est-à-dire :

    - spécial (à un administré ou à un groupe limité d’administrés) sinon il n’y a pas de rupture d’égalité.

    - et grave, ce qui s’apprécie au cas par cas et repose en définitive sur des considérations d’équité. La gène doit être supérieure à une gène normalement partagée par tous les citoyens quant à la réalisation de l’intérêt général.

   Cette responsabilité sans faute est d’ordre public : la victime peut s’en prévaloir en tout état de la procédure et le juge doit alors statuer d’office sur ce point. Ce système est construit sans la moindre référence à une faute reprochable à la personne qui a occasionné le dommage. Le demandeur n’a pas à prouver de faute et le défendeur ne peut s’exonérer en démontrant qu’il n’a pas commis de faute. C’est une responsabilité de droit qui place la victime dans une position encore plus favorable que la présomption de faute. Pour obtenir réparation, il faut et il suffit qu’elle fasse état du préjudice anormal qu’elle subit et qu’elle établisse le lien de causalité unissant ce préjudice à la personne incriminée. La responsabilité sans faute ne signifie pas qu’il n’y a pas eu de faute, mais elle implique simplement que la victime du préjudice n’aura pas besoin de démontrer l’existence d’une faute de l’Administration pour obtenir indemnisation de son dommage. Elle répond à un impératif d’équité et de solidarité.

    En dehors de certains textes de lois qui ont organisé la responsabilité sans faute, la jurisprudence est à l’origine de la détermination de ce type de responsabilité. Elle reste une responsabilité d’exception : la responsabilité pour faute reste la responsabilité de droit commun. Le juge cherche d’abord la faute mais ensuite s’il ne peut ou ne veut pas imputer à une faute le fait préjudiciable, il se tourne vers la responsabilité sans faute pour réparer un préjudice anormal et spécial.

Dès lors, on peut se demander sur quelles bases le juge administratif établit l’existence d’une responsabilité sans faute et pourquoi l’Administration semble s’accommoder d’un régime qui semble a priori lui être défavorable ?

La responsabilité sans faute permet de compenser les carences de l’Administration en matière de dommages qu’elle cause, mais le juge veille à ce que son usage qui semble convenir aux deux parties reste exceptionnel.

 

      Dans un premier temps nous verrons que le développement de la responsabilité sans faute répond à une exigence de meilleure prise en compte des conséquences des actions de l’Administration sur les administrés, puis dans un second temps, nous verrons  que cette prise de conscience ne doit cependant pas aboutir à un recours systématique à ce type de responsabilité.

 

I]  La responsabilité sans faute : une meilleure prise en compte de la spécificité de l’action administrative qui en poursuivant l’intérêt général peut entraîner des dommages anormaux

 

   La recherche de la satisfaction de l’intérêt général peut amener l’Administration à exposer ses administrés à un dommage probable voire quasi certain. Ainsi, il existe deux grands cas de responsabilité sans faute :

    - la responsabilité pour risque : elle résulte du caractère accidentel d’un fait de l’Administration. Un risque n’aboutit pas inéluctablement à un dommage.

    - La responsabilité pour rupture d'égalité devant les charges publiques : contrairement à la première catégorie, elle est marquée par le fait que l’acte qui a causé un dommage était quasiment prévisible. Le dommage est vu comme une conséquence normale d’un fait de l’Administration qui l’a pris en vue de poursuivre ses exigences d’intérêt général.

 

           A/ La responsabilité sans faute pour risque 

 

      Le principe de la responsabilité pour risque a été consacré au 19ème siècle tant à l’égard des collaborateurs du service public qu’à l’égard des victimes de dommages de travaux publics puis a progressivement été étendu.

 

     1) Les risques encourus par les tiers ou risques anormaux de voisinage

 

      Il y a responsabilité sans faute :

    - en cas d’ouvrages dangereux : Conseil d'Etat, 28 mars 1919, Rénault-Desrozier

    - en cas de choses dangereuses : Conseil d'Etat, 24 juin 1949, Lecomte et Daramy

    - en raison de méthodes d’éducation libérales visant à la réinsertion sociale utilisées avec de jeunes délinquants pensionnaires dans des centres d’éducation surveillée : Conseil d'Etat, 3 février 1956, Ministre de la Justice contre Thouzellier. Extension de cette jurisprudence aux détenus en permission de sortie (Conseil d'Etat, 9 décembre 1981, Ministre de la Justice contre Theys) et aux détenus mentaux en sorite d’essai (Conseil d'Etat, 17 juillet 1967, Département de la Moselle).

 

     2) Les risques encourus par les collaborateurs de service

 

      Conseil d’Etat : 21 juin 1895 : les collaborateurs eu service public bénéficient d’un régime sans faute pour risque professionnel. Extension aux collaborateurs exceptionnels ou bénévoles : Conseil d'Etat, 22 novembre 1946, Commune de Saint-Priest-La-Plaine.

 

     3) les risques encourus en matière de santé publique

 

Application dans ce domaine la plus remarquable de la notion de garantie des risques : Conseil d'Etat Assemblée, 9 avril 1993, Bianchi. Reconnaissance d’une responsabilité sans faute médicale dans de nombreux cas. Extension de cette jurisprudence à des actes non thérapeutiques accomplis à l’hôpital : Conseil d'Etat, 3 novembre 1997, Hôpital Joseph-Imbert d’Arles).

Responsabilité sans faute également en matière de fourniture de produits sanguins : Conseil d'Etat, 26 mai A995, Cts N’Guyen, M. Jouan et Cts Pavan.

 

     4) la responsabilité de l’Etat du fait des attroupements et rassemblements

 

      Les victimes doivent attaquer l’Etat qui peut engager une action récursoire contre la commune dans laquelle les dommages ont été commis : lois du 7 janvier 1983.

Régime repose depuis 1914 sur la notion de risque social : la référence à la faute est exclue ; la victime n’a qu’à prouver le lien de causalité sans qu’il soit nécessaire que le préjudice soit anormal et spécial.

 

Les dommages de l’Administration peuvent ne pas apparaît comme probables mais comme inhérents à l’activité même de l’Administration ce qui expose les victimes à une rupture de l’égalité devant les charges publiques.

 

           B/ La responsabilité sans faute pour rupture d’égalité devant les charges publiques 

 

      Un fait de l’Administration peut sans engendrer de risque avoir pour effet de pénaliser indirectement une personne ou un petit groupe de personne. Ainsi, même si l’action est régulière et répond aux nécessités de l’intérêt général, le juge admet le principe de réparation dès qu’il constate l’existence d’un dommage anormal (spécial et grave).

 

           1) Une rupture de l’égalité devant les charges publiques imputable au législateur

 

      Rupture imputable au législateur : Conseil d'Etat, 14 janvier 1983, SA des produits laitiers La fleurette). Le juge oblige l’Etat a réparé les dommages d’une gravité et d’une spécialité incontestables. Jurisprudence étendue à l’hypothèse des traités internationaux : Conseil d'Etat, 30 mars 1966, Cie Général Radioélectrique Néanmoins, le juge reconnaît difficilement la responsabilité du législateur : Conseil d'Etat, 8 avril 1994, SA Etablissements Charbonneux-Brabant)

 

           2) Une rupture de l’égalité imputable à des décisions de ne pas faire intervenir la force publique

 

      Jurisprudence Couitéas pose que les autorités administratives peuvent « s’il y a menace grave pour l’ordre public, refuser de faire exécuter un jugement par la force «. Ce refus crée un préjudice pour l’individu auquel le concours de la puissance publique a été refusé : responsabilité sans faute de l’Administration.

 

           3) une rupture d’égalité due au défaut d’application d’une réglementation

 

      Conseil d'Etat, 7 mai 1971, Ministre de l’économie et des finances et ville de Bordeaux contre Sastre. Responsabilité sans faute engagée que ce soient les conséquences dommageables de règlements régulièrement édictés ou décisions non réglementaires régulières.

 

           4) Une rupture de l’égalité devant les charges publiques imputable à une opération de travaux publics

 

      Il y a responsabilité sans faute quand des travaux réalisés par une administration dans le cadre d’un service public pour le compte d’une administration et présentant un caractère immobilier peuvent entraîner des dommages pour les tiers et les usagers : dommages permanents de travaux publics (Conseil d'Etat, 24 juillet 1931, commune de Vic-Fezensac).

 

      La responsabilité sans faute répond à un souci d’équité et de solidarité. Le juge a progressivement reconnu que l’Administration ne pouvait, même au nom de l’intérêt général, se dédouaner des dommages possibles que peuvent engendrer certaines de ses actions. Cette percée de la responsabilité sans faute sous la pression des victimes avec bien souvent le consentement de l’Administration, si elle constitue une avancée indéniable dans le régime d’indemnité des victimes doit néanmoins demeurer le régime d’exception.

 

II] La responsabilité sans faute : un régime qui bien que constituant un progrès doit rester régime d’exception

 

La responsabilité sans faute a pu d’autant mieux se développer qu’elle jouit du soutien tant des victimes que de l’Administration. Néanmoins, le recours systématique à la responsabilité sans faute n’est pas souhaitable : cela permettrait en effet à l’Administration de ne pas justifier ses actes et aux victimes d’intenter de nombreux procès contre cette dernière.

 

A/ Une responsabilité sans faute qui jouit d’une double bénédiction ce qui lui permet de se développer : celle des victimes mais aussi celle de l’Administration

 

      Elle permet non seulement une amélioration de la prise en compte de la victime, mais elle est aussi favorable à l’Administration.

 

      1) Une Administration séduite par une responsabilité plus indolore qui lui permet     de légitimer certaines de ses actions qui peuvent causer des dommages

 

       Elle est plus indolore que la responsabilité pour faute. Elle permet d’éviter que ses actes ne soit juger : le jugement ne se porte pas sur les faits dommageables. = épargne tout sentiment de culpabilité, seule la matérialité du dommage est prise en compte.  Ex : Conseil d'Etat condamne les ruptures d’égalité du fait des lois ou des traités internationaux sans pour autant se prononcer sur le contenu de ces actes. Indemnité à payer en contrepartie d’une rupture d’égalité devant les charges publiques.

   Elle permet aussi à l’Administration de pouvoir en toute bonne conscience poursuivre des activités qui bien que licites causent des dommages en contrepartie d’indemnisation : refus d’interventions justifiées en raison des circonstances, carences non fautives de l’Administration  (responsabilité sans faute permet d’éviter de se prononcer sur la légalité de la carence), les dommages permanents de travaux publics.

 

     2) Une victime mieux prise en compte avec la reconnaissance d’une responsabilité sans faute

 

  L’idée d’équité justifie la responsabilité sans faute. Le juge en plus fait une application extensive dans le sens des victimes. La conception de risque est envisagée de façon large.

Aucune charge de la preuve de la faute n’est nécessaire : cela n’exclut pas le fait qu’une faute a pu être commise. Seul le lien de causalité doit être établi. Régime encore plus intéressant que celui de la présomption de faute.

      Le développement de la responsabilité sans faute dans l’intérêt de l’Administration ainsi que dans l’intérêt des victimes ne doit pas la faire devenir régime de droit commun, même si elle présente d’indéniables avantages pour les deux parties

 

B/ La responsabilité sans faute reste  et doit rester  un régime dérogatoire 

 

           1) la responsabilité pour faute réapparaît souvent dans des hypothèses voisines de celles engageant la responsabilité sans faute

 

      Pour éviter les dérives, le Conseil d'Etat a une interprétation assez restrictive de l’engagement de la responsabilité sans faute de l’Administration, la preuve de la faute reste encore très souvent nécessaire. Dans de nombreux cas, la responsabilité sans faute de l’Administration ne peut être engagée que par des tiers. En effet :

    - en matière de travaux publics : les participants ne peuvent mettre en cause l’Etat que sur la base d’une faute.

    - En matière de police, la responsabilité sans faute de l’Administration ne peut être mise en cause que si la victime de l’usage de méthodes dangereuses n’est pas liée à la mise en œuvre d’une telle méthode.

    - Pour les mineurs détenus dans des conditions non libérales, la responsabilité de l’Administration ne peut être mise en cause que pour faute.

    - La responsabilité sans faute de l’Etat en matière de vaccination ne peut être mise en cause que pour les vaccinations obligatoires

( Forte corrélation entre système de responsabilité qui entre en jeu et position de la victime :

plus elle est éloigné , étrangère à un fait et n’en tire pas profit, plus le dommage apparaît d’autant plus choquant : recours plus systématique dans de pareils cas à la responsabilité sans faute.

      Ainsi, pour Benoît, lorsque le préjudice est causé à l’usager : responsabilité pour faute, à un tiers : responsabilité sans faute. Cependant, il est difficile de faire différence entre tiers et usagers et séparation trop rigide mais donne une grande ligne directrice.

 

           2) Une responsabilité sans faute qui doit être étroitement encadrée pour éviter les excès

 

Nécessité d’éviter que l’Administration ne soit trop souvent mise en cause afin de ne pas la paralyser dans ses actions et de ne pas l’assommer sous les indemnisations.

L’Administration ne doit pas s’accommoder de cette solution de façon systématique : elle doit répondre de ses actions et les justifier ce que ne permet pas la responsabilité sans faute.

( Administration comme victimes ne doivent pas envisagés la responsabilité sans faute comme la solution optimale. Elle ne doit rester qu’un recours en cas d’impossibilité de mettre en évidence une faute.

 

      La responsabilité sans faute offre une protection enviable à la victime et évite la preuve de la faute. Elle s’inscrit dans la reconnaissance du fait que la poursuite de l’intérêt général ne peut justifier une totale immunité de l’Administration. La reconnaissance d’une telle forme de responsabilité marque l’évolution d’un système qui auparavant cherchait uniquement à établir une responsabilité à un système qui a tendu progressivement à se concentrer davantage sur les droit des victimes. Elle doit cependant rester la responsabilité d’exception pour ne pas encourager des recours trop systématiques à l’encontre de l’Administration et ne pas laisser l’Administration agir sans se préoccuper de la justification de ses actions.

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