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La Science Fiction

Publié le 04/06/2012

Extrait du document

Introduction

 

La Science Fiction, peut-on entendre, est soit une littérature pour adolescents attardés, soit une littérature difficile d'accès, à laquelle seule une petite poignée d'élus peuvent éventuellement accéder.

La science fiction est à la fois paradoxalement trop ludique et trop sérieuse : trop ludique parce qu'elle joue avec les possibles au lieu de rester dans le monde bien délimité de la réalité conventionnelle ; trop sérieuse parce qu'elle remet en question le regard que nous portons sur le réel et qu'elle nous amène, par là même, à entrevoir des enjeux, des problèmes, que l'opinion aime mieux se cacher.

Toute tentative de définition de la science-fiction doit donc reposer sur la compréhension des rapports entre spéculation et jeu, raison et imagination, finalement : science et fiction.

 

-       L'expression « Science Fiction » peut paraître étrange si l'on donne au terme de « fiction » la signification purement littéraire. Ouvrons n'importe quel dictionnaire et nous y verrons en effet que la fiction, au sens littéraire, c'est l'invention d'un monde imaginaire, sans souci de vraisemblance. C'est donc une fantaisie, un jeu de l'imagination, une évasion. Voilà qui, d'une part, semble donner raison à l'opinion commune et qui, d'autre part, ne semble guère pouvoir être qualifié de scientifique...

 

-       Mais nous pouvons trouver également une autre acception du terme : une fiction juridique, c'est l'invention d'un fait hypothétique, pour en tirer des conséquences de droit. C'est, pour le dire autrement, une conjecture, un travail de la raison qui élabore des cas-limites pour évaluer l'extension et la légitimité de la loi. Cela signifie que le « et si... » de la fiction peut être un travail rationnel. Lorsque par exemple Démocrite, après avoir vu s'éparpiller une bande d'oiseaux migrateurs, se dit : « et si la matière était comme cette bande, constituée d'éléments plus petits ? Voilà qui expliquerait les changements d'états ! », il utilise les ressources de l'imagination pour proposer une hypothèse rationnelle, qui sera le fondement de toute la philosophie atomiste.

 

On le voit, la notion de fiction et celle de science ne sont pas antinomiques à partir du moment où l'on conçoit la fiction comme une conjecture rationnelle, destinée soit à proposer un nouvel ensemble d'hypothèses, soit à tester la validité d'une représentation.

On pourra donc proposer, à titre provisoire, la distinction suivante : lorsque la fiction est un pur produit de l'imagination, sans souci de vraisemblance ou de cohérence logique, on a affaire à de la fantaisie ; lorsqu'au contraire la fiction est un produit de l'entendement, de la raison, à des fins spéculatives, on a affaire à de la science-fiction au sens propre du terme.

I-              Toute science fiction est une spéculation qui, pour être ludique, n'en est pas moins sérieuse, pertinente et intéressante d'un point de vue intellectuel. La science fiction permet de sortir du réel pour mieux le saisir.

 

II-            Mais si la SF, objectivement, permet bien de sortir du réel pour l’appréhender, quand on lit ou regarde de la science fiction, avant tout, on éprouve du plaisir — un plaisir lié à la participation à un univers original, à un imaginaire riche et fécond. Il y a donc aussi, dans la science-fiction, de la fiction au sens littéraire, la production d'un univers imaginaire. Dire que la SF n'est PAS QUE littérature d'évasion, c'est dire qu'elle est AUSSI littérature d'évasion face à la réalité, qu'elle produit aussi une forme d'émerveillement, de dépaysement. La Science fiction nourrit notre imagination et nous éloigne du réel

 

III-          Nous l’avons vu, la science fiction permet d’appréhender le réel tout en étant une fuite face au réel. Comment outrepasser cette apparente contradiction ? La science fiction repose sur une spéculation, il doit donc y avoir une crainte ou une angoisse qui rende nécessaire cette spéculation sur l'être et le devenir de l'homme. La science fiction a pour objectif de donner du sens au réel tout en nous éloignant du réel. Peut-on alors la penser comme tentative de comblement à une dislocation du sens ?

 

 

 

        LA SCIENCE FICTION : SORTIR DU RÉEL POUR MIEUX LE SAISIR

 

Nous pouvons donc déjà, à ce stade de l'analyse, affirmer que la SF n'est pas QUE de la littérature d'évasion et qu'elle présente un intérêt intellectuel considérable, par ses liens avec la philosophie et avec la science.

Certes, elle construit des univers, qui ne ressemblent pas, ou qui ressemblent peu au nôtre. Il n'y a pas de dragons ou de licornes dans notre monde.

Mais ces univers développent toujours des virtualités, des possibilités ouvertes par nos modèles ou nos représentations. Après tout, des films comme « Avatars » nous font réfléchir sur le traitement qu’ont subi les amérindiens par le passé…

La science-fiction nous dépeint des univers qui auraient pu être (uchronie), des univers qui pourraient advenir (anticipation, space opera, cyberpunk), des univers qui pourraient être ailleurs, parallèlement au nôtre, ou très loin dans l'espace... dans tous les cas, il s'agit bien d'explorer une virtualité, de produire une fiction rationnelle, ou au moins raisonnable. La science-fiction éclaire notre réalité en nous offrant la possibilité de la regarder sous l'éclairage d'un autre possible.

 

La science fiction est donc fiction au sens de spéculation, de création d'un monde possible, c'est-à-dire non-contradictoire.

Bref, pour utiliser les termes de P.J. Farmer, elle est de l'ordre de l'extrapolation logique. C'est en tentant d'extrapoler de manière cohérente, de construire un autre monde, différent du nôtre, mais obéissant à des prémices logiques, que l'on s'aperçoit de la complexité et de la richesse du réel.

Dans l'exemple de Farmer, c'est en essayant de construire une terre plate, qui ne soit pas écrasée par la pression de l'air, ni vidée de toutes ses eaux par l'existence d'une frontière extérieure, que l'on réalise à quel point il est difficile de concevoir le monde autrement qu'il n'est.

Et peut-être cela fait aussi prendre conscience, par la même occasion, du caractère précieux d'une configuration viable.

On ne sort du réel que pour mieux y revenir, enrichi d'un nouveau regard, d'une nouvelle perspective sur notre monde. De la même façon, ne peut-on pas dire que tous les êtres étranges qu'invente la science-fiction, robots, androïdes, extra-terrestres ou êtres du futur, ne servent finalement qu'à donner en retour une image plus nette de ce qu'est l'homme ou de ce qu'il devrait être ? Ne serait-ce qu'en s'opposant (réellement ou fictivement) à d'autres formes de vie, que l'on peut vraiment se comprendre ?

 

 

            LA SCIENCE FICTION : FUITE FACE À LA REALITÉ ET PRODUCTION D’UN             UNIVERS IMAGINAIRE

 

La science ne produit pas que des concepts, mais aussi des images et des représentations du monde.

La science, dans sa volonté de soumettre le monde à des lois, de mettre la réalité en équation, est amenée à découvrir des phénomènes qui heurtent le sens commun et modifient radicalement sa conception du monde.

Pour ne donner qu'un exemple classique, c'est bien la science qui a transformé la conception rassurante d'un monde clos et centré en cette idée d'un univers infini, qui effrayait tant Pascal. De ce fait, la science, sans que cela soit son objectif, a un impact émotionnel, psychologique : elle atteint les gens dans leur représentation du monde et de leur rapport au monde.

 

Or, autant un concept peut être décortiqué, modelé, modifié à volonté, autant une image échappe aussitôt à ses créateurs, du fait précisément de cet impact psychologique qu'elle peut avoir. Par une sorte de mécanisme de défense, la conscience se saisit de ce qui la trouble, la dérange ou l'émerveille et elle tente de le maîtriser en l'intégrant à ses schémas de fonctionnement normaux.

La science perd donc tout contrôle sur les images qu'elle crée : elles sont réinvesties par l'opinion, dans une tentative d'appropriation qui est tout sauf scientifique. Cette volonté de se réapproprier les représentations scientifiques, de les intégrer dans une conception globale du monde, définit bien l'objectif de la science-fiction. Ses fictions s'enracinent dans les angoisses, les espoirs, l'émerveillement que peut ressentir l'homme d'une société scientifique et technique, confronté à un changement rapide des représentations du monde et des pratiques quotidiennes.

 

  Prenons un exemple très intéressant : celui de la taille des ordinateurs dans les films, livres et séries de SF des années 50 à 70. Ils ont continué à prendre de l'ampleur alors même que tous les scientifiques savaient parfaitement que la tendance serait à la miniaturisation. Pourquoi ? Ce qui était important dans ces représentations fictives, c'était que justement l'ordinateur était menaçant, qu'il pouvait prendre la place de l'homme, le supplanter dans tous les domaines de pouvoir. Pour le dire autrement, la fiction avait pour but de représenter, non pas le devenir réel, objectif, mais une idée de ce devenir : sa gestion pratique et émotionnelle par l'être humain.

 

 La science-fiction serait une méditation dramatisée et constituerait aussi bien une tentative de compréhension du réel tout en étant une fuite face à ce dernier.

 

 

 

 

 

 

 

 Peut-on alors la penser comme tentative de comblement à une dislocation du sens ?

 

          La SF, en tant que littérature autonome, n'a guère plus d'un siècle. Elle reposerait sur une crainte ou une angoisse qui rende nécessaire une spéculation sur l'être et le devenir de l'homme. Cependant la Science fiction et la philosophie partagent ce fondement sur une crainte. Entreprenons donc cette tâche et essayons de comprendre ce que l'Antiquité grecque peut avoir de commun avec l'époque moderne.

 

          En lisant les présocratiques, ou même encore Platon, on s'aperçoit aisément que leur discours plonge ses racines dans des représentations mythiques extrêmement anciennes, entre lesquelles il s'agit presque toujours de discerner. La philosophie fait son apparition dans un contexte où le mythe doit être étayé, où il ne vaut plus comme modèle unique de compréhension du monde, mais comme simple hypothèse pouvant être discutée par la raison.

Au VIème siècle av JC, la Grèce antique fait la première expérience connue d'une dislocation du sens : le progrès des mathématiques, l'apparition de la physique, font apparaître l'insuffisance objective des discours antérieurs. Alors que dans la pensée archaïque, le mythe apparaissait comme la Parole du Monde, comme le langage permettant aux hommes de saisir ce qui est, plusieurs discours peuvent désormais être tenus sur un même phénomène, chacun revendiquant le statut de Vérité première. Le réel devient ce qui échappe à notre saisie immédiate, ce qu'il faut chercher, ce sur quoi l'on doit spéculer — autre chose, donc, que la réalité sensible qui s'offre spontanément à nos yeux. Le Savoir et la Sagesse (la sophia) apparaissent dès lors comme distincts de l'opinion (la doxa) et comme objets d'une quête sans fin — et non plus comme la récompense du grand âge. Aux anciens Sages succèdent les philosophes, étymologiquement : ceux qui cherchent la sagesse. Ce que la dislocation du sens a ouvert, finalement, c'est la dimension du possible.

L'apparition de la philosophie correspond donc à une crise profonde du sens.

 

          Revenons maintenant à l'époque moderne : rien de comparable, en apparence, à cette dislocation du sens qui caractérise l'Antiquité grecque. Quoi que... A y regarder de plus près, depuis environ trois siècles, nous avons retrouvé une configuration assez proche de ce qu'ont pu connaître un Socrate ou un Platon : un discours spirituel (qui n'est plus le mythe mais la religion) en déclin, concurrencé par un discours rationnel (la science) de plus en plus critique sur les représentations communes de la réalité. Les mêmes problèmes resurgissent, avec cette fois des moyens accrus de trancher entre les diverses propositions : héliocentrisme ou géocentrisme, évolution ou création, unité ou diversité de la conscience... La puissance argumentative de la science, la mutation continuelle de ses modèles, suscitent des angoisses comparables, quoique infiniment plus importantes, que ne pouvaient le faire les prétentions de la raison antique. Le monde grec avait connu l'ouverture du possible, le nôtre fait l'expérience de son opacité : tout est devenu possible, à tel point qu'il est devenu impossible de le déterminer. Le monde grec avait compris l'impossibilité des prédictions, le nôtre découvre que même la prévision devient purement hypothétique, pour ne pas dire absurde.

 

          La science-fiction en spéculant sur la science, mais aussi sur les autres discours que l'on peut tenir sur le monde (religion, politique, etc.), tente d'assimiler ce que la civilisation scientifique et technique sécrète d'espoir, de crainte et de désorientation.

 

          Quant au devenir des sociétés humaines, il est visible que la fonction utopique (et contre-utopique) est passée de la philo à la SF.

Ainsi, 1984, de G. Orwell ou le Meilleur des Mondes de A. Huxley, permettent de comprendre la manipulation des consciences ou le caractère fallacieux de la définition commune liant plaisir et liberté.

 

Ce dont nous avons surtout envie, finalement, c'est de jouer avec tous ces possibles qui ont rendu notre futur opaque et de participer à tous, fictivement et émotionnellement. Nous ne ressentons pas l'envie de savoir s'il est possible que nous rencontrions un jour des extra-terrestres : nous voulons les rencontrer. La science-fiction répond donc au désir d'expériences mentales de l'opinion, à l'envie d'explorer les possibles, tous les possibles, pour se consoler de sa mortalité et de son appartenance à un unique espace-temps.

 

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