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LE TRAVAIL EST UN SERVICE SOCIAL

Publié le 16/02/2011

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travail

On a fait du travail une punition et une déchéance. Le travail, un châtiment et la misère de notre vie ! L'âge d'or de l'humanité, un temps de paresse et d'ignorance ! Je me révolte contre cette double pensée. Mais c'est ne point travailler qui eût été le grand malheur de l'humanité : elle eût été alors vraiment condamnée et à ne rien savoir, et à ne point inventer, et à n'exercer ni son esprit ni sa volonté ; et la privation d'une tâche régulière et utile, loin d'être l'occasion d'un plaisir perpétuel, l'aurait privée de la haute et fine jouissance qui enveloppe le travail en cours et en sa fin. A ceux qui nieraient la beauté morale de ce travail, je rappellerai les paroles de l'historien Augustin Thierry qui, « aveugle, et souffrant sans espoir et sans relâche «, trouvait en ses heures de labeur sa suprême consolation. Mais je repousse pareillement la théorie de ces optimistes modernes qui font du travail une manière de plaisir. Il y a plaisir à faire et à finir sa tâche. Mais le métier lui-même, par l'effort qu'il exige, par les doutes qu'il éveille, est gros de peine et de fatigue, cela est vrai non seulement de l'ouvrier manuel penché sur l'enclume ou sur l'établi, mais de l'artiste qui cherche une forme inédite ou de l'historien qui cherche la vérité... Douleur et joie se rencontrent également dans la vie de travail, comme elles accompagnent la vie de famille ou le patriotisme. Elles sont tout à la fois la marque et la récompense des devoirs que nous impose notre condition d'hommes. Car le travail est une nécessité. — Je ne dis pas une nécessité matérielle, un devoir envers soi-même. C'est ravaler le travail, rabaisser le métier ou la profession, que d'y voir une manière de soutenir sa vie, disons le mot, de gagner de l'argent. Que l'argent, le gain, le salaire, soient indispensables à l'exercice d'une profes7 sion, cela va de soi : l'homme de métier a droit à une rémunération en échange de ce qu'il fournit. Mais ce salaire, si important soit-il dans la vie d'un travailleur, n'est qu'un règlement de circonstance. La véritable signification de l'acte de travail apparaît dès qu'on examine son rapport avec l'ensemble des actes humains, dès qu'on regarde l'homme de travail au milieu de la nation. Et je dis que le travail est une nécessité sociale, un devoir envers la patrie. Le métier, la profession, c'est l'occupation habituelle d'un homme à l'effet d'être utile aux autres hommes. Labourer son champ c'est préparer du pain pour la nourriture de tous ; extraire du charbon c'est préparer du feu pour le foyer de tous; étudier le passé c'est préparer des vérités pour l'enseignement de tous. Qui dit travail, dit service rendu. Quiconque travaille produit sa part possible des choses nécessaires à la société. Car je ne me figure pas un laboureur qui ne sèmerait du blé que pour lui-même, un mineur qui ne retirerait du charbon que pour sa famille, un historien qui ne lirait les documents que pour son instruction personnelle. Non ! la profession, telle que je la conçois, et la mienne aussi bien que le plus manuel des métiers, la vie laborieuse, à côté du geste professionnel, doit s'ouvrir au désir du bien de tous, Découvrir la vérité sur le passé et ne point la transmettre à ceux qui peuvent vous lire ou vous écouter, c'est manquer à son devoir d'homme. L'humanité a besoin de blé pour se nourrir, de charbon pour se chauffer, de science pour s'instruire : vous qui, de par vos forces, vos facultés, votre éducation, pouvez donner à l'humanité du blé, du charbon, de la science, vous n'avez pas le droit de le lui refuser. Le métier, pour chacun de nous, c'est notre manière propre et individuelle d'être un homme et de rendre des services d'hommes dans la société humaine. Travail et société humaine sont deux énergies solidaires : l'une ne progresse pas sans l'autre. A dire toute ma pensée, le travail est pour l'ensemble de l'humanité ce qu'est l'âme pour chacun de nous, ce qu'est l'amour pour la famille, le souffle divin qui anime et fait vivre. ...Le travail, quel qu'il soit, et celui du forgeron comme celui du paysan, et celui de la main comme celui de l'esprit, tous ont leur mérite et leur beauté; et même de la forge la plus rude, il jaillit un effort qui va jusqu'aux racines les plus subtiles de l'âme. Le métier surexcite et discipline la faculté de vouloir. Forger une épée, c'est un duel contre la matière : regards fixes, membres tendus, mais raidies, gestes calculés et surveillés, souffrance maîtrisée et fatigue abolie, voilà une double victoire remportée sur l'âme, sur le corps plié à sa volonté, sur la matière façonnée à son idée. Le métier tient l'intelligence en éveil. Même le plus humble n'est point machinal. Il faut que le charretier observe sa bête, sa voiture et le chemin, que le mineur précède de la pensée le choc du pic sur la pierre, et le pêcheur, pour scruter la surface de l'eau, déploie parfois la même souplesse de réflexion que l'historien pour analyser le sens d'un texte. Tout métier exige une technique de l'esprit. Le métier, enfin, lait sa place au sentiment, à la joie, la vraie joie, celle que provoque la sensation d'un devoir accompli, la vue d'un ouvrage terminé. N'est-ce pas un plaisir d'essence pure que celui du potier gui, à l'heure dite, aperçoit devant lui l'oeuvre achevée par ses mains, et il n'importe que cette oeuvre soit une figurine d'art ou un vulgaire ustensile : c'est une oeuvre bien faite, elle est finie, et c'est son oeuvre ; son temps et sa peine sont devenus cette chose; il y a de lui-même là-dedans, et sa conscience a trouvé un instant de repos.  

RÉSUMÉ Le travail ne saurait être considéré comme une punition succédant à un âge d'or fait d'oisiveté. L'homme sans lui n'aurait pu utiliser son esprit, sa volonté, sa sensibilité, et Augustin Thierry a pu en témoigner. Il ne faut pas nier cependant la fatigue physique et morale qu'il implique et en faire un plaisir. C'est en fait une nécessité, non tant pour le salaire individuel que pour la vie de la société. Des services sont à rendre dans tous les domaines — industriel, agricole, intellectuel. Le travail est l'âme même de la société. Quel qu'il soit, il a son mérite et sa beauté, formant la volonté, l'intelligence, la réflexion, procurant même la joie de l'ouvrage bien fait.

ANALYSE L'auteur veut ici infirmer la conception traditionnelle qui fait du travail une malédiction : il ne saurait être considéré comme une punition succédant à un âge d'or fait d'oisiveté. Le premier argument est fourni par l'histoire de l'humanité : l'homme, sans le travail n'aurait pu utiliser son esprit, sa volonté, sa sensibilité, et Augustin Thierry a pu en témoigner. Pourtant Camille Jullian se refuse à une vision conventionnelle de la réalité : il ne faut pas nier la fatigue physique et morale qu'implique le travail, et en faire un plaisir ; c'est en fait une nécessité. Mais l'écrivain cherche à ennoblir cette nécessité : elle est imposée non pas tant par le besoin individuel de salaire que par la vie de la société ; des services sont à rendre dans tous les domaines — industriel, agricole, intellectuel ; le travail est l'âme même de la société. Mais l'auteur n'oublie pas pour autant les exigences de l'individu, que satisfait le travail : quel qu'il soit, il a son mérite et sa beauté, formant la volonté, l'intelligence, la réflexion, procurant même la joie de l'ouvrage bien fait.

COMMENTAIRE Notre choix s'est porté sur cette définition qui pose un problème essentiel : « Le métier, pour chacun de nous, c'est notre manière propre et individuelle d'être un homme et de rendre des services d'hommes dans la société humaine. «

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