Devoir de Philosophie

Les objets dans Fin de Partie

Publié le 27/02/2008

Extrait du document

Quel est le rôle des objets dans Fin de partie? Les objets, qu'ils soient présents ou simplement mentionnés, sont très nombreux dans Fin de Partie. Ionesco, chef de file aux côtés de Beckett du théâtre d'avant-garde, a déclaré:  « Tout est langage au théâtre : les mots, les gestes, les objets. Il n'y a pas que la parole. ». En effet, les objets, tout comme les dialogues ou les didascalies, sont des éléments du langage dramatique. Ils ont leur propre langage, on dit qu'ils appartiennent au langage paraverbal. Le langage paraverbal désigne tout ce qui ne relève pas de la parole elle-même: le décor, les gestes, les sons... Les objets ont un véritable rôle dans une pièce, ils ont une fonction (comique, dramaturgique, métaphorique...), une signification (symbolique, philosophique, énigmatique), en particulier dans les pièces de Beckett qui leur donne une importance considérable et qui se montre d'ailleurs très précis dans ses didascalies. Les objets sont également très importants dans En attendant Godot  (1952), autre pièce fort célèbre de Beckett. Mais on pourrait aussi citer Les chaises d'Eugène Ionesco datant de la même année, où les objets envahissent la scène pour marquer le désir de l'enfant de combler l'espace pour mieux se cacher... C'est pour cela que nous tâcherons, dans ce devoir, d'étudier attentivement les objets présents dans Fin de Partie. Dans un premier temps, nous essayerons de les classer, puis de trouver leur fonction dans la pièce et enfin leur signification. I. Des objets de différentes sortes Certains objets sont des éléments essentiels du décor pendant que d'autres sont de simples accessoires et que d'autres encore sont seulement mentionnés par Hamm et Clov. a) Les objets du décor Ce sont les plus importants puisque les spectateurs les voient dés le début et jusqu'à la fin de la pièce. L'espace scénique est dépouillé, presque vide. Une des premières didascalies annonce l'intérieur de cette espèce de refuge \"sans meubles\". Les didascalies mentionnent quand même la présence de \"rideaux\" masquant les fenêtres, d'un tableau \"retourné\" accroché près de la porte (p.11). Les murs ne sont donc pas totalement dénudés. Il y a aussi le \"fauteuil à roulettes\" de Hamm et \"deux poubelles, l'une contre l'autre\" recouvertes d'un vieux drap, dans lesquelles logent Nagg et Nell (p.11). Sans la présence de ces objets, il n'y aurait pas de décor, il n'y aurait sans doute même plus de pièce puisqu'elle perdrait toute sa cohérence et son intérêt. b) Les accessoires Bien qu'ils ne soient pas aussi utiles que les objets du décor, les accessoires qui accompagnent Fin de partie sont tout de même nécessaires pour bien comprendre la pièce. On distingue trois catégories d'accessoires: - - un jouet, le seul de la pièce: le chien en peluche (p.55). - les objets de la vie courante: l'escabeau, le sifflet, la lunette, la \"gaffe\" (p.60), le réveil (p.64), la valise que prend Clov avec lui p.108... - les accessoires vestimentaires: le mouchoir tâché de sang qui couvre le visage de Hamm en début et en fin de pièce, sa robe de chambre, son plaid, sa \"calotte en feutre\" (p.13), ses \"lunettes noires\" (p.14), les \"brodequins\" de Clov (p.77), son \"parapluie\" ou son \"panama\" (p.108). c) Les objets mentionnés On mentionne, par exemple, le buffet et les deux roues de bicyclette qu'Hamm réclame à Clov (p.20), un cathéter (p.38), un fanal (p.45), un radeau (p.50), une burette d'huile (p.60), une masse (p.99)... Les objets mentionnés sont très nombreux, très hétéroclites. Ils n'ont pas une existence matérielle mais virtuelle. Issus des rêves et des conversations des personnages, ils jaissent de partout, de l'intérieur du refuge, de l'extérieur, d'ici et là. Ils ont eux aussi leur importance. II. Des objets aux fonctions différentes Les objets que Beckett a choisi ne sont pas là pour rendre la pièce plus réaliste, plus \"vraie\" ou encore pour tenir leur simple rôle d'objet. Ils ont des fonctions bien précises. a) Une fonction comique Clov se conduit comme un clown tout au long de la pièce, c'est le personnage le plus drôle. L'escabeau est un élément phare de ses pantomimes: Il monte dessus, en redescend parce qu'il a laisse tombé sa \"lunette\", et remonte. Quelques instants plus tard, il ne sait pas où il a mis l'escabeau, le cherche, demande à Hamm, qui est rappelons-le aveugle, s'il ne l'a pas \"vu\" (p.94) et le trouve enfin sous la fenêtre de gauche. Page 98, il va et bien mécaniquement d'une fenêtre à l'autre, grimpe sur son escabeau, en redescend aussitôt, cherche sa lunette, ne la trouve pas, demande à Hamm s'il ne s'est pas \"assis dessus\". Lorsque Clov se sert de sa longue-vue pour observer le public (p.43), cela donne lieu à une véritable pitrerie. En effet, autrefois, et encore de nos jours, les spectateurs venaient au théâtre ou à l'opéra avec des petites jumelles pour mieux voir les comédiens. Ici, c'est Clov qui observe les spectateurs, la \"foule en délire\" alors qu'on suppose bien que les spectateurs ne sont pas du tout en train de rire. Toutes les pantomimes et les pitreries effectuées par Clov sont rendues possibles par l'escabeau et à la lunette, qui ont donc une fonction comique. b) Une fonction dramaturgique Fin de Partie n'a pas de véritable intrigue. Pourtant certains objets permettent des amorces d'action. L'escabeau, nous l'avons vu précedemment, donne lieu à des pantomimes, et il permet d'atteindre les hautes fenêtres du refuge. L'observation de l'enfant page 101 grâce à la lunette provoque un début d'action, un vent de panique qui retombe rapidement \"Pas la peine\" (p.103). Par ailleurs, c'est par elle que nous sommes au courant qu'une castastrophe s'est produite, que le monde en décomposition est à présent \"noir clair. Dans tout l'univers\" (p.46). Mais si les personnages sont tous réunis dans ce refuge, s'ils discutent en attendant la fin, si nous pouvons voir la pièce, c'est grâce au buffet. En effet, Clov reste et supporte Hamm car \"il ne connait pas la combinaison du coffre\" où sont entreposés les dernières vivres. c) Une fonction métaphorique Certains objets sont là pour suggérer des états: la cécité de Hamm est traduite avec ses lunettes noires, son handicap avec son fauteuil à roulettes, son cathéter... Les poubelles dans lesquelles logent, ou plutôt sont enfermés Nagg et Nell, montrent leur état de déchets humains... Les poubelles traduisent la \"dégoûtation\" de la vie, la décomposition des corps, objets de répulsion... Les objets sont ici plus utiles que les mots pour décrire cet univers qui se dégrade. Les objets, au delà de leur fonction utilitaires, ont donc des fonctions comique, dramaturgique et métaphorique. Mais quel sens peut t'on leur donner? III. Les objets et leurs significations La présence de ces objets n'est pas dûe au hasard et n'est pas dénuée de sens... On peut leur trouver différentes significations: symbolique, philosophique, énigmatique. a) Une signification symbolique Hamm considère son chien peluche à la fois comme un jouet et comme un substitut de Clov: il le maltraite tout comme il maltraire son fils adoptif qui s'assimile lui-même à un chien. Le chien est estropié, il a une patte en moins, ce qui peut faire penser à la démarche bancale de Clov. Ceci dit, on peut aussi l'assimiler à son propriétaire infirme, qui a également du mal à tenir debout. Le fait qu'il n'aie pas de sexe suggère une certaine frustration sexuelle. Dans l'extrait page 57, Hamm demande à Clov si le chien le regarde. Il imagine que son chien en peluche est en train de l'implorer pour une promenade ou un os et demande à Clov de le laisser comme ça. Hamm semble également en manque d'affection... Mais ce qui est le plus flagrant, et qu'on a pu observer à travers son comportement avec les autres personnages, c'est son désir de domination, sa cruauté. Il aime qu'on le regarde, que ses \"sujets\" lui obéissent. Il peut faire ce qu'il veut de sa peluche. b) Une signification philosophique Clov entreprend de ranger le refuge page 76 car \" [il] aime l'ordre, c'est [son] rêve. Un monde où tout serait silencieux et immobile et chaque chose à sa place dernière, sous la dernière poussière. Ce besoin de rangement est en fait un besoin d'absolu, le souhait que quelqu'un, une \"intelligence supérieure\" aie assigné une place à chacun, à chaque chose. Mais Hamm, qui a perdu toute croyance religieuse et qui a déjà, à plusieurs reprises, tourné en dérision la religion, lui suggère de \"laisser tomber\" (p.77). Cela démotive Clov qui renonce, désespéré, à son rangement \"Après tout, là ou ailleurs\". Lorsque Hamm sent que la fin est proche, il se débarasse un à un des objets qui lui donnaient l'illusion d'exister. Il jette en dernier le chien peluche et le sifflet, et conserve uniquement le mouchoir tâché de sang dont il couvre son visage comme on couvre le défunt d'un linceul. c) Une signification énigmatique L'objet dont on peut tirer le plus grand nombre d'interprétations est sans aucun doute le tableau retourné. On peut lui trouver plusieurs significations: C'est le symbole d'une perte de sens. Etant donné qu'il est retourné, il ne renvoie à rien, à personne. C'est une forme d'absurde. Même s'il n'était pas retourné, Hamm ne pourrait pas le contempler. C'est d'ailleurs sans ménagement que Clov le remplace par le réveil. C'est une source de comique. ................................................................................................................................................ L'une des caractéristiques du théâtre d'avant-garde des années 50 est la prolifération des objets sur scène. Ils envahissent l'espace jusqu'à empiéter sur celui des êtres humains. Ils ont bel et bien leur propre langage. Beckett donne aux objets une importance qu'ils n'avaient pas dans le théâtre traditionnel et leur fait jouer un rôle non négligeable.

Liens utiles