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Les sens ne sont-ils pas suffisants pour nous fournir toutes nos connaissances ?

Publié le 08/03/2011

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Depuis notre plus jeune âge, depuis notre naissance, les sens sont notre moyen le plus important, voir le seul moyen même pour nous d’entrer en relation avec le monde qui nous entoure. La sensation est une intelligence innée en tous, et permet de prendre conscience des phénomènes qui prennent place autour de nous. Ils nous fournissent des connaissances de la manière la plus simple,  la plus ancienne et la plus naturelle. On voit la mer calme, on entend le clapotis des vagues, on sent le sable entre nos doigts, et le soleil sur notre nuque : c’est grâce aux sens. Ce sont ces moyens de relations avec les éléments, avec le monde, qui font notre bonheur, notre malheur, bref notre vie. Avec les sens on développe notre expérience, et avec l’expérience nous viennent les formes les plus basiques de la connaissance. Mais alors, les sens, sont-ils à eux seuls capables de nous fournir la multitude de connaissances dont nous avons besoin, ou celles que l’on connait déjà ? Assurent-ils toutes les fonctions qui nous permettent de résoudre une équation mathématique, comprendre un raisonnement logique, écrire un livre, une dissertation philosophique, ou faut-il dans ces cas s’appuyer sur d’autres fonctions de l’esprit, fonctions moins évidentes que les sens ?

 

Il serait très important pour étudier la question posée de d’abord définir les grands termes de cette dernière : qu’est-ce que la connaissance ? qu’entend-on par « toutes nos connaissances » ? Il existe plusieurs façons différentes d’assimiler les connaissances (ouï-dire, expérience par contact…), mais ces méthodes d’apprentissage, elles ont chacune leur propre degrés de fiabilité, d’objectivité, mais une connaissance réelle doit être acceptée par tous, de façon universelle, sinon, elle se contredit dans sa propre définition. Nous allons donc aussi vérifier l’objectivité de certaines connaissances comparées à d’autres. Il ne faut pas oublier non plus que les sens sont sujets à de nombreuses contraintes, comme par exemple, les illusions sensorielles, ou les cas dans lesquels les sens ne sont pas en état de fonctionner correctement ou de fonctionner tout court : aveuglement, myopie etc… Il est donc nécessaire, même dans la thèse empiriste, de s’avouer que les sens ont toujours leurs limites, quel que soit le domaine dans lequel ils sont étudiés/utilisés. En supposant donc que les sens ne soient pas suffisants à l’acquisition de toutes les connaissances qui nous sont nécessaires, de quels autres moyens dispose-t-on ? Un homme vivant, en parfaite santé mais dépourvu de chacun de ses cinq sens (si cela est possible), comment procède-t-il pour s’approprier de nouvelle connaissances, pour enrichir son intellectuel et son esprit ?

 

 

Le terme de connaissance désigne avant tout l’acte par lequel nous identifions un certain sujet qui fait l’objet d’intérêt de notre « radar » sensoriel. On voit un bateau, on fait ainsi appel au sens de la vue, et on prend donc conscience de l’existence du bateau, et cela devient une connaissance, une connaissance qui peut en entrainer d’autres : on voit un bateau, on sait donc qu’il y a au moins un bateau dans ce port. Ce genre particulier de connaissance est dit, « acquis par expérience sensorielle », c’est-à-dire que le bateau est l’objet d’une expérience qui fait directement intervenir nos sens.

Mais toutes nos connaissances ne font pas intervenir directement les sens, il existe aussi la connaissance par « ouï-dire ». X apprend par Y que Z est décédé, c’est donc une connaissance qu’il a prise de Y, sans en avoir fait l’expérience sensorielle directe, il est aussi très probable que Y ait appris cette nouvelle de A ou de B etc… c’est la transmission de connaissance de bouche à oreille. La connaissance par  ouï-dire est présente partout autour de nous, dans l’éducation, dans les media, dans la culture etc… il est impossible d’éviter ce genre de connaissance, car notre apprentissage dans le monde actuel dépend fortement de lui. En effet, il serait extrêmement lent et long, pratiquement impossible en une durée de vie de devoir apprendre tout ce qui doit être appris par l’expérience sensible et directe. D’ailleurs, certaines informations nous sont impossibles à obtenir dans notre condition actuelle, pour cause d’éloignement (dans le temps ou dans l’espace), ou simplement, de manière générale, inaccessible dans notre situation présente. « L’opinion, fondée dans le vraisemblable, mérite peut être aussi le nom de connaissance historique ; autrement presque toutes connaissance historique et beaucoup d’autres tomberont. » (Leibniz).

D’autre part, en dehors des connaissances générales qui nous proviennent directement de l’expérience sensible, il y a aussi des connaissances qui nous influencent beaucoup plus dans la vie, des connaissances qui forment notre caractère et notre façon d’être, tel que notre manière de parler, de penser, de vivre, ou encore, la manière générale dont on se comporte avec les gens qui nous entourent. Ce ne sont pas des connaissances qui font l’objet d’expériences sensorielles ou que l’on peut apprendre par « ouï-dire », ces connaissances fondamentales dont nous avons peu conscience sont acquises par le contact avec la société, l’immersion dans un groupe et la participation dans une communauté. On se voit ainsi inconsciemment répliquer les gestes les plus petits à signifiance moindre, mais qui valorisent, justifient notre place au sein de ce groupe particulier.

On remarque ainsi que malgré les différents types de connaissances, ces dernières nous proviennent toutes par le « canal des sens », c’est-à-dire par le moyen des sens, mais cela ne change rien quant aux différentes valeurs épistémologiques de ces connaissances, de leur objectivité et leur fiabilité.

 

Les connaissances qui sont acquises par contact, par expérience direct, par une vie partagée en communauté sont le plus souvent destinées à favoriser le contact avec d’autres, l’immersion dans le groupe, donc des connaissances qui n’ont pas de réelle valeur objective,  et dans les cas contraire, ne la recherchent pas forcement. Ce type de connaissance ne porte donc pas de vraie signification pour la question posée. Au contraire, les informations reçues par ouï-dire sont, de par leur nature même, dirigées vers une recherche de l’objectivité, de la fiabilité. C’est le cas dans l’éducation, dont le principe est d’informer, d’enseigner les sujets tels qu’ils le sont sans y ajouter opinion personnel ou quelque manipulation d’information. Dans ces cas, c’est par leur principe qu’ils recherchent l’objectivité absolue.

Mais, il ne s’agit pas toujours du cas, car l’objectivité dans le domaine de transfert d’informations est le choix du porteur primaire de l’information. Ce dernier peut modifier le contenu de cette information à sa guise et à son avantage, ou pour son simple plaisir. X apprend par Y que Z est mort, et Y prétend que Z s’est suicidé suite à la mort de son chien.

Y a menti, mais X ne le sait pas, selon lui Z s’est suicidé. Il est donc impossible de s’assurer de la fiabilité certaine de ce type de connaissance, surtout à cause du fait qu’elle nous est rapportée par une tierce personne, qui, dans le meilleur des cas rapporte sa propre expérience, mais qui nous raconte parfois aussi ses raisonnements, suppositions, et parfois, sa pure machination.

On peut enfin citer les connaissances acquises par expérience sensorielle directe, qui peuvent être considérées comme les plus fiables et les plus objectives, car il n’y a pas de tierce personne, ni la pression du groupe, qui peuvent exercer une influence sur l’enregistrement passif de données à lequel se livrent nos sens en permanence. La fiabilité de ce genre d’informations est fortement liée à la nature de l’objet de l’expérience. En effet, pour fournir des connaissances objectives et fiables, les sens doivent être mis en relation avec des objets sensibles, susceptibles d’être sujets à des expériences sensibles.

Cependant, même dans les cas où les sens analysent un objet sensible, on ne peut s’assurer de la fiabilité certaine de la connaissance fournie. Un myope observant un petit chien, pourrait se dire que c’est un chat, mais sachant qu’il est lui-même myope, il se prépare déjà à la possibilité d’une erreur. Il faut donc être dans la mesure d’accepter que nos sens ont leurs limites, et que ces limites ne peuvent être repoussées que par la réflexion et la pensée.

 

L’expérience sensible étant une condition nécessaire de l’objectivité, il faut maintenant voir si cette expérience est bien suffisante, et aussi est-elle applicable à tous les domaines de notre connaissance actuelle ? Nous pouvons ici prendre l’exemple des sciences mathématiques, qui ne portent en aucun cas sur des objets sensibles, réels, sur lesquels on peut faire une expérience sensible, mais plutôt sur des éléments abstraits, et sur les liens entre ces éléments que l’on peut concevoir. Les mathématiques ne portent pas sur la réalité, donc ne sont pas justifiables par l’expérience sensible pour la simple raison qu’ils ne portent pas sur des objets ou des réalités sensibles. La rigueur de cette matière repose donc sur la cohérence interne de son propre discours. Donc il existe des domaines de la science (notamment les mathématiques) ou les sens ne peuvent jouer aucun rôle, ils sont inutiles et ou, ultimement, tout repose sur la logique, le raisonnement et l’intelligence. Les sens sont donc déjà incapables de nous fournir certaines connaissances, sans compter qu’ils ont aussi plusieurs limites qui nous empêchent de voir, entendre, sentir etc… plusieurs éléments de ce monde, qui nous sont indispensables dans le domaine scientifique notamment avec les progrès de la médecine. Par exemple, l’étude de microbe, de bactéries microscopiques, ne pourrait pas être envisagée par les sens seuls, cela serait absurde. Dans ces cas, la possibilité d’observer la réalité et en faire des expériences sensibles ne repose plus que sur les sens, mais aussi sur notre capacité à trouver des moyens susceptibles à rendre visibles, perceptibles plutôt, des aspects de la réalité qui, sinon, ne le seraient pas. Il y a donc des choses, des objets sensibles, que les sens ne peuvent nous faire remarquer ou en prendre conscience sans une collaboration avec les autres fonctions de l’esprit (si ce n’est que pour trouver des moyens pour atteindre l’objectif, l’objet sensoriel, de la question) : il s’agit par exemple de l’infiniment grand, ou de l’infiniment petit, bref, tout objet qui ne correspond pas aux fonctions et réglages actuels et habituels de nos sens.

On voit ainsi que nos sens sont puissants, mais comme tout ce qui est humain, ils ont aussi leurs limites, et sont parfois sujets à des problèmes de fonctionnement, comme par exemples des conditions de myopie, qui affecte la vue. Il existe également des cas où les sens, en parfait état de fonctionnement, sont présentés à des illusions, des illusions qui peuvent carrément tromper l’esprit, ou le laisser en doute quant à ce qu’il vient de remarquer. On parle alors d’illusions sensorielles, que l’on peut observer par exemple en regardant une illusion optique, ou un miroir déformant, où un tour de magie etc... On obtient dans ces deux cas une vision incorrecte de la réalité, des informations fausses à partir de lesquelles on ne peut construire des connaissances. Aussi, on peut prendre l’exemple de personne ayant perdus un ou plusieurs de leur sens (aveugles, sourds etc…), est-ce à dire que ces personne ne pourront plus prendre connaissance de chose nouvelles ? Bien sûr, la connaissance objective est impossible sans l’expérience sensible, ou du moins la possibilité d’une telle expérience, l’expérience par les sens est donc une condition nécessaire à toute connaissance objective, mais la question se posant alors est : est-elle suffisante ?

 

Nos sens sont en constante activité, durant notre vie entière, ils enregistrent passivement les activités dont il leur est possible de prendre conscience, et les enregistrent sous forme d’expérience, qu’il s’agisse d’expérience sensible directe, ou d’expérience par contact, elles jouent tous sur les connaissances que l’on a acquises jusqu’à là, et sur les connaissances à venir. Mais, comment les données enregistrées par nos sens se transforment-elles en expérience puis en connaissance ? Y a-t-il même une transformation qui prend place, ou les données sensibles sont-elles déjà des expériences sensibles ou de contact ?

Les sens enregistrent constamment et passivement, et les données qui en sont enregistrées nous permettent de former des connaissances. Par exemple, un enfant peut voir la mer pour la première fois de sa vie, et ses sens vont absorber toutes l’information sensible qui est disponible, et ensuite, la prochaine fois que l’enfant se trouvera face à la mer, il pourra la reconnaitre par les différentes sensations qu’il aura enregistré de sa dernière expérience de mer : l’eau bleue clair, la sensation du vent frais, l’odeur salée etc… On pourrait forcer un peu l’utilisation de ses sens en l’y amenant une seconde fois avec un foulard au-dessus des yeux. Dépourvu ainsi de son sens principal, il devra faire appel à ses autres sens pour pouvoir reconnaitre l’endroit où il est : la mer. Si les sens étaient suffisants pour cette connaissance, comment l’enfant aurait-il reconnu la mer ? S’ils étaient les seuls acteurs dans la formation de la connaissance, la seule chose que l’on possèderait serait une longue lignée d’images, d’odeurs, de sons, bref de sensations, qui n’ont aucun lien logique entre-elles, car la mémoire, l’anticipation, le jugement, le raisonnement, toutes les autres fonctions de l’esprit ne serait aucunement impliqués dans le processus.

D’autres fonctions de l’esprit à part les sens sont donc mises en évidence pour leur rôle dans la formation de connaissances. Alain a démontré avec l’expérience du dé cubique le rôle de l’esprit dans le processus d’acquisition de connaissances. Il nous est impossible, en voyant un dé cubique, de déterminer tout de suite s’il s’agit d’un cube ou non, car on ne voit pas toutes ses faces en même temps, mais en le tâtant, en touchant ses arêtes et ses faces, on en déduit que c’est un cube.

Il faut donc comprendre que c’est de cette manière que fonctionnent les sens, ils nous indiquent un élément, souvent, en nous cachant un autre. On ne peut voir ce qui est derrière, en dessous, ou même à l’intérieur d’un objet donné, et c’est cela même « voir » et « percevoir ». On peut ainsi affirmer que les sens, dans le domaine de l’expérience sensible, ne suffisent pas à nous donner toutes nos connaissances.

 

 

En conclusion, il serait donc juste de dire que les sens sont, étaient et seront toujours  absolument indispensables à l’acquisition de nouvelles connaissance par notre esprit. Les sens fournissent de manière passive des informations sur nos alentours d’une richesse énorme. Mais, ces informations ne sont que des données pures qui ne peuvent en aucun cas constituer une véritable connaissance objective sans le support des autres fonctions de l’esprit. Pour fournir donc la moindre connaissance, les sens ont besoin de la coopération de ces autres fonctions de l’esprit : la mémoire, le jugement, l’anticipation, et le raisonnement sans lesquels la mise en relation des données fournies par les sens serait impossible, et donc nos connaissances seraient nulles, inexistantes. Ultimement, les sens, bien qu’indispensables au processus, ne sont en aucun cas suffisants pour nous fournir toutes nos connaissances.

 

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