Devoir de Philosophie

Matiere et esprit

Publié le 23/01/2011

Extrait du document

esprit

Introduction

 

La vie de l’homme semble matérielle par son corps et spirituelle par son âme (siège supposé des idées, sentiments et désirs). Serait-il composé de deux réalités distinctes, de matière et d’esprit ? - La matière et l’esprit, réponses à la question de savoir de quoi la réalité est faite
La matière et l’esprit sont moins des réalités, auxquelles on pourrait se référer pour dire ce que nous sommes, que des idées, conçues par la pensée (philosophique scientifique et religieuse), pour répondre à la question de savoir de quoi la réalité est faite.
La matière et l’esprit, notions corrélatives et constitutives de conceptions d’ensemble de la réalité
Les notions de matière et d’esprit sont corrélatives l’une de l’autre - elles se définissent le plus souvent l’une par opposition à l’autre  -  et leurs définitions respectives varient selon la conception de la réalité où elles prennent place.
Panorama des visions du monde où prennent place les idées de matière et d’esprit
Aussi convient-il de commencer par répertorier les principales conceptions  d’ensemble de la réalité en fonction de la place qu’elles accordent à l’une et à l’autre des deux constituants fondamentaux possibles de tout ce qui est, que sont sensés être la matière et l’esprit.

 

 

 

N.B. Le matérialisme est nécessairement moniste (la matière est pour lui l’unique réalité : tout se ramène à elle). Le spiritualisme et l’idéalisme peuvent l’être aussi (pour l’un comme pour l’autre l’esprit être tenu comme étant seul à exister, la matière n’étant que sa manifestation apparente), mais sont généralementdualistes (matière et esprit sont deux genres différents de réalité ou deux substances distinctes ; l’esprit est un principe transcendant la matière : une réalité première, libre, immortelle).

 

-  Problématique
Que penser du recours aux notions de matière et d’esprit pour dire ce dont, nous-mêmes et le monde, sommes faits ? Se demander de quoi nous serions faits est-ce d’ailleurs bien poser la question de savoir ce que nous sommes  ?

 

 

I. Pouvons-nous être définis comme étant des composés de matière et d’esprit ?

 

1. Position du problème

 

Quand est-il de la présence en nous, par quoi nous nous définirions, de l’esprit et de la matière (distinguées traditionnellement sous les noms d’âme et de corps) : forment-ils une unité effective ou bien cette unité n’est-elle qu’apparente ? Pour les spiritualistes, le corps est l’habitacle provisoire de l'esprit, conçu comme un souffle ( appelé spiritus en latin, principe d’animation du corps) qui s'en échappe à la mort. Mais les matérialistes contestent cette immatérialité de l'esprit. L'esprit est- il réductible à la matière, ou la transcende-t-il ? La vérité de l’homme est-elle dans le monismematérialiste (une seule substance matérielle : le corps) ou dans le dualisme spiritualiste (deux substances distinctes : le corps et l’esprit) ?

 

2. La solution de Descartes

 

Descartes définit l’homme par l’union de l’âme et du corps : \" L’âme de l’homme est réellement distincte du corps, et toutefois [...] elle lui est si étroitement conjointe et unie qu’elle ne compose que comme une même chose avec lui. \" (Descartes, Abrégé des Méditations métaphysiques – 1647 ). L’homme est-il réellement l’union d’une âme et d’un corps ? Cette union n’est-elle pas contradictoire ? L’homme n’est-il pas plutôt fait d’une seule substance ? Le dualisme conçoit l’âme, siège de l’esprit, comme distincte du corps (au point que la mort physique n’empêche pas l’immortalité spirituelle). Descartes radicalise cette distinction : l’âme est une substance pensante (simple, n’occupant aucun espace assignable, indivisible), le corps est une substance étendue (divisible, sans pensée ni intériorité). Descartes tient la connaissance de l’esprit pour plus facile que celle de la matière en raison de l’immédiateté de la connaissance réflexive que nous en avons, dont témoigne l’évidence du cogito. Et pourtant, dénuée d’esprit et donc de liberté, la matière obéit au strict déterminisme comparable à celui qui régit les machines, appelé pour cela mécaniste. Elle est ainsi totalement offerte à l'étude scientifique (grâce, précisément,  à la « mécanique ») comme à la maîtrise technique (grâce à laquelle, reconnaît Descartes dans le Discours de la méthode, nous pouvons « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature  »). Mais peut-on connaître l’union de l’esprit et de la matière aussi bien que l’on connaît chacun d’eux ? Nous faisons certes l’expérience de l’union intime de l’âme et du corps : le corps agit sur l’âme par les sensations et l’âme agit sur le corps (par la volonté). Mais comment expliquer que s’unissent deux réalités n’ayant rien en commun, radicalement hétérogène l’une à l’autre ? Comment des réalités sans commune mesure ni point de contact peuvent-elles interagir ? Descartes explique à Elisabeth, dans une lettre du 28 juin 1643, qu’on n’échappe à cette contradiction qu’« en usant seulement de la vie et des conversations ordinaires », pour « se représenter la notion de l’union que chacun éprouve toujours en soi-même sans philosopher ». Cf. aussi sa lettre à Elisabeth de mai 1946. Bref, cette union est évidente pour qui la vit, non pour qui l’interroge : pour la raison, elle restera un mystère (un réalité dont on participe sans pouvoir la placer à distance de soi pour se la représenter). Saint Augustin l'affirmait déjà dans la Cité de Dieu : « La manière dont les esprits sont unis aux corps est tout à fait merveilleuse, elle ne peut être comprise par l'homme ; mais c'est l'homme même. » Pour tenter résoudre cette difficulté, deux possibilités s’offrent à nous : 1) soit maintenir le dualisme, mais en niant qu’il y ait une réelle interaction entre l’esprit et la matière, 2) soit en niant qu’il y ait réellement deux substances en adoptant un point de vue moniste.

 

 

II. Peut-on voir dans l’esprit un simple produit de la matière

1. Le point de vue matérialiste

 

Dès l’Antiquité hellénistique, Épicure et, à sa suite, Lucrèce reprennent et développent la physique atomiste de Démocrite. Tout ce qui existe est composé selon eux d’atomes. Il n'y a rien de ce qui existe qui ne soit de nature matérielle : ni l'âme, ni les dieux ne sont d'essence spirituelle. Le matérialisme épicurien ne nie donc pas la réalité de l’esprit, mais il n’y voit qu’une organisation physique parmi d’autres.  En fait cette conception est l’auxiliaire d’une morale :  elle permet aux épicuriens de combattre la superstition que constitue à leurs yeux la croyance en l'immortalité de l'âme et au châtiment des dieux, source de crainte, ennemie de la sérénité. Si la vie s'arrête à la mort, identifiée à une pure et simple désagrégation du corps, il n'y a plus lieu de craindre ni la mort, qui nous prive de toute sensation, ni un quelconque au-delà, inexistant (Epicure, Lettre à Ménécée). Seul compte dès lors la recherche des plaisirs naturels, en quoi consiste selon eux la sagesse. Plus près de nous, au XIXe siècle, Marx et Engels dénoncent la conception idéaliste de l’esprit, illustrée à leur époque par Hegel, comme principe premier. Que l’esprit mène le monde, que la conscience détermine l’existence des individus, c’est bien ce que les hommes pensent d’eux-mêmes, — mais non ce qui est réellement. « Ce n’est pas la conscience qui détermine la vie, c’est la vie qui détermine la conscience», affirment Marx et Engels. L'esprit est déterminé par ses conditions matérielles d'existence : la réalité économique et sociale (constituée par les forces productives et rapports de production, dans un certain état de leur développement historique) conditionne le développement de la vie politique et culturelle, c’est-à-dire des superstructures par lesquelles les hommes prennent conscience d’eux-mêmes. Mais cette conscience est déformée. Marx et engels la qualifient d’idéologique. L’idéologie est l’ensemble des représentations déterminées inconsciemment par l'infrastructure à titre de justification, c'est-à-dire pour favoriser les intérêts de la classe dominante en imposant à la classe dominée une vision faussée de la réalité. En occultant les processus de domination, l'idéologie empêche de s'y opposer. L’idéologie des idéalistes est la croyance illusoire selon laquelle la réalité est engendrée par un monde idéal. Or, en croyant que les idées mènent le monde et en cherchant à n’agir que sur l’esprit, « ils ne luttent aucunement contre le monde réellement existant ». On ne peut au contraire changer l’esprit qu’en transformant la réalité socio-économique. Par où l’on voit que si le matérialisme épicurien était l’auxiliaire de la morale, le matérialisme marxiste est au service d’un combat politique.

 

 

2. Que penser du réductionnisme matérialiste ?

 

Pour le matérialisme, l’esprit n’est pas un principe, mais s’explique par autre chose que lui-même : il est l’effet ou le résultat de processus matériels économiques (Marx), mais aussi atomiques (Épicure), pulsionnels et sexuels (Freud), cérébraux (neurosciences) - Le supérieur s’explique alors par l’inférieur. Reconnaissons toutefois que le primat de la matière (comme cause) n’empêche nullement la primauté de l’esprit (comme valeur). En effet que l’esprit soit déterminé par la matière n’est pas une raison pour encourager un matérialisme vulgaire, celui que l’on reprochait aux « pourceaux d’Épicure ». Que le supérieur (l’esprit) s’explique  par l’inférieur (la matière) n’empêche nullement de désirer le supérieur. Désirer l’esprit, c’est désirer la conscience et avec elle le pouvoir de choix que rend possible la pensée, et ainsi l’exercice d’un liberté. Or, ce désir n’a lieu qu’avec l’esprit. La matière, elle, ne désire pas l’esprit : elle le produit comme une nouveauté, mais ne s’en soucie pas et le fera d’ailleurs bientôt périr (la mort est certaine). « L’esprit n’est lui-même que le produit le plus élevé de la matière », écrit Engels dans Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie allemande. Mais cette ascension de l’inférieur au supérieur tient essentiellement à notre désir et à notre volonté : « Qu’un instant l’effort se relâche, que le désir se fatigue ou se lasse& on n’a plus qu’un “matérialisme” vulgaire, plat, avachi, un matérialisme qui redescend — et qui ne saurait par conséquent être philosophique », estime André Comte-Sponville dans le Mythe d’Icare. Reste toutefois à expliquer comment le supérieur peut sortir de l’inférieur, l’esprit de la matière, la pensée, pouvoir de distanciation sans distance effective, de relations purement spatiales, de proche en proche. Comment la matière pourrait-elle produire de l’esprit si elle n’était pas elle-même déjà en quelque façon organisée par un pouvoir de synthèse qui est caractéristique de l’esprit ?

 

 

III. Peut-on nier l’existence de la matière au profit du seul esprit

1. Les théories immatérialistes 

 

Il faut attendre Malebranche et Berkeley, au XVIIe siècle, pour que l'existence d'un monde matériel soit récusée et que s'affirme ainsi un idéalisme radical. Malebranche met en cause la notion d'espace et d'étendue, et nie, en conséquence, l'existence du monde matériel. Il soutient que c'est Dieu lui-même qui produit les idées grâce auxquelles nous pouvons appréhender les choses du monde. Il parle ainsi de « vision en Dieu  », qui nous permet de voir les choses telles qu'elles sont effectivement. Pour Berkeley, les sensations étant identiques aux idées, elles ne peuvent pas être la représentation des choses du monde ; or, rien n'existe hormis la représentation, donc toutes les qualités des choses dont on a conscience sont réductibles aux idées présentes dans l'esprit.   « Malebranche commence par constater, après Descartes, que nous ne connaissons les choses extérieures que par l'intermédiaire de nos idées. Dans la perception, nous ne sortons pas de nous-mêmes et, quand nous voyons le Soleil et les étoiles, « nous n'allons pas nous promener dans les cieux » pour les contempler. L'objet immédiat n'est pas le Soleil, mais « quelque chose qui est intimement uni à notre âme et c'est ce que j'appelle idée [...], ce qui touche et modifie l'esprit de la perception qu'il a d'un objet  ». Développant le même exemple, Malebranche affirme que les seules étoiles que nous puissions voir, auxquelles l'âme se puisse unir dans la perception, ne sont pas dans les cieux. Ce sont des idées. Car des objets matériels étendus ne peuvent pas s'unir à l'âme inétendue. « C'est une même chose à l'âme d'apercevoir un objet et de recevoir l'idée qui le représente. » L'impossibilité de concevoir une interaction entre la pensée et l'étendue transforme le problème de savoir comment nous connaissons les objets en celui de savoir comment nous connaissons les idées de ces objets. La solution idéaliste consisterait à remplacer les objets par les idées ou à faire passer la nature dans la représentation en postulant que la réalité objective des idées équivaut à leur réalité. C'est à peu près ce que font Berkeley et Malebranche, qui suppriment la valeur représentative des idées. Sous la réserve que, pour le premier, les sensations, identiques aux idées, étant les choses, ne peuvent pas en être représentatives, tandis que, pour le second, les choses sont autres que les sensations qui nous les représentent ; au lieu de cela, les idées, que nous voyons en Dieu qui les produit, sont les vraies choses.  » (Encyclopaedia Universalis)

 

2. Que penser de l’idéalisme radical ?

 

 

Si le matérialisme tente de façon contestable de ramener les processus psychiques à des processus matériels, l’idéalisme radical ne tombe-t-il pas dans l’excès inverse ?
Il est vrai que nous ne pouvons accéder à la réalité que par le truchement de la représentation que notre esprit nous en donne. Mais notre esprit ne saurait produire ses représentations à partir de rien : il lui fait bien qu’elles lui viennent d’ailleurs que de lui-même. Pourquoi dès lors ne pas reconnaître l’apport des sensations au contact d’une réalité extérieure à notre corps. Que gagne-t-on à les mettre au compte d’un autre esprit que le nôtre, fût-il l’esprit d’un dieu créateur, dont l’existence ne peut-être que l’objet d’une hypothèse invérifiable ? Le cas de celles et de ceux auxquels l’usage de l’un ou l’autre organes sensoriels, voir de plusieurs, est éloquent : leur capacité de pensée est lourdement handicapée.

 

 

Conclusion

 

La distinction radicale de la matière et de l’esprit comme leur réduction de l’un à l’autre sont également insatisfaisantes. D’un sourire peut-on dire qu’il est simple configuration géométrique d’un visage ou pur vécu d’un esprit avenant ? Il est l’un et l’autre, indissociablement. Il semblerait bien que la distinction de l’esprit et de la matière comme la réduction de l ‘un à l’autre tiennent davantage à une infirmité de notre capacité à nous représenter la réalité telle qu’elle est en elle-même qu’à constitution effective de celle-ci. Les matérialistes oublient que leur idée de la matière est le produit de leur esprit et les idéalistes qu’ils tiennent leur idée de l’esprit de leur propre existence incarnée. Il se pourrait bien, comme l’a conçu Spinoza, que l’esprit et la manière ne soient que deux attributs d’une seule et même réalité considérée sous deux angles différents cf. Ethique III, 2Heideggerrécusait la métaphysique, qu’il accusait de confondre l’être avec les êtres, qu’il appelait étants pour les distinguer de l’être. Nous serions bien inspirés de dépasser nous-même la problématique qui fut celle des présocratique, soucieux de penser la réalité en identifiant ses probables composantes. La réalité est une, ne la confondons pas avec les découpages que notre pensée lui impose pour tenter de se la représenter !

Liens utiles