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Michel de MONTAIGNE (1553-1592) Il n'y a nulle différence radicale entre l'homme et l'animal

Publié le 19/10/2016

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montaigne

Michel de MONTAIGNE (1553-1592)

Il n'y a nulle différence radicale entre l'homme et l'animal

Considérons donc pour cette heure l'homme seul, sans secours étranger, armé seulement de ses armes, et dépourvu de la grâce et connaissance divines, qui est tout son honneur, sa force et le fondement de son être. Voyons combien il a de tenue en ce bel équipage. Qu'il me fasse entendre, par l'effort de son discours, sur quels fondements il a bâti ces grands avantages qu'il pense avoir sur les autres créatures. Qui lui a persuadé que ce branle admirable de la voûte céleste, la lumière éternelle de ces flambeaux roulant si fièrement sur sa tête, les mouvements épouvantables de cette mer infinie, soient établis et se continuent tant de siècles pour sa commodité et pour son service ? Est-il possible de rien imaginer si ridicule que cette misérable et chétive créature, qui n'est pas seulement maîtresse de soi, exposée aux offenses de toutes choses, se dise maîtresse et souveraine de l'univers, duquel il n'est pas en sa puissance de connaître la moindre partie, tant s'en faut de la commander ? Et ce privilège qu'il s'attribue d'être seul en ce grand bâtiment qui ait la capacité d'en reconnaître la beauté et les pièces, seul qui en puisse rendre grâces à l'architecte et tenir compte de la recette et mise du monde, qui lui a scellé ce privilège ? Qu'il nous montre lettres de cette belle et grande charge.

Ont-elles été octroyées en faveur des sages seulement ? Elles ne touchent guère de gens. Les fous et les méchants sont-ils dignes de faveur si extraordinaire, et, étant la pire pièce du monde, d'être préférés à tout le reste ?

[...] La présomption est notre maladie naturelle et originelle. La plus calamiteuse et frêle de toutes les créatures, c'est l'homme, et en même temps, la plus orgueilleuse. Elle se sent et se voit logée ici parmi la bourbe et la fiente du monde, attachée et clouée à la pire, plus morte et basse partie de l'univers, au dernier étage du logis, et le plus éloigné de la voûte céleste, avec les animaux de la pire condition des trois, et se va plantant par imagination au-dessus du cercle de la Lune, et ramenant le ciel sous ses pieds.

C'est par vanité de cette même imagination qu'il s'égale à Dieu, qu'il s'attribue les conditions divines, qu'il se sélectionne lui-même et se sépare de la presse des autres créatures, taille les parts aux animaux ses confrères et compagnons, et leur attribue telle portion de facultés et de force que bon lui semble.

Comment connaît-il par l'effort de son intelligence les mouvements internes et secrets des animaux ? Par quelle comparaison d'eux à nous conclut-il la bêtise qu'il leur attribue ? Quand je me joue à ma chatte, qui sait si elle passe son temps de moi plus que je ne fais d'elle ? Nous nous entretenons de singeries réciproques. Si j'ai mon heure de commencer ou de refuser, aussi a-t-elle la sienne. [...]

Ce défaut qui empêche la communication d'entre elles et nous, pourquoi n'est-il aussi bien à nous qu'à elles ? C'est à deviner, à qui est la faute de ne nous entendre point : car nous ne les entendons non plus qu'elles nous. Par cette même raison elles nous peuvent estimer bêtes, comme nous les en estimons. Ce n'est pas grande merveille si nous ne les entendons pas ; aussi ne faisons-nous les Basques et les Troglodytes. [...]

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