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Oh les beaux jours - Beckett

Publié le 22/10/2010

Extrait du document

beckett

 

« Oh les beaux jours « est la troisième pièce la pièce de la trilogie la plus fameuse de Beckett (avec En attendant Godot, et Fin de partie). « Oh les beaux jours « est une pièce de la maturité : le décor dépouillé de tout objet, les personnages ont un corps en difficulté. L’atmosphère d’ensemble semble annoncer la fin du monde, et on y reconnaît la thématique de la menace, de la mort et de la fin du temps. La communication y est difficile, mais nécessaire. Au cours de la trilogie, on évolue vers de moins en moins de mobilité, et une réduction du nombre de personnages. On passe de dialogue (Fin de Partie et En attendant Godot) à un quasi-monologue. L’augmentation du nombre de didascalies semble être une mise en abîme où le texte dans le texte donne plus de théâtralité. Cette pièce est la seule des trois à avoir été d’abord écrite en anglais : Beckett cherchait à avoir plus de réputation en Angleterre. Il commence à écrire la pièce en octobre 1960 et y intègre beaucoup d’attaques contre l’Église anglicane et le gouvernement anglais. Le manuscrit est terminé fin 1961, et envoyé à Alan Schneider, metteur en scène new-yorkais. La première à New-York reçoit un flot de critiques, mais se maintient grâce au public. Elle est traduite en français en décembre puis envoyer à Roger Blin, le metteur en scène français fétiche de Beckett.  Elle est représentée en France en 1963 et publiée aux Éditions de Minuit la même année.

Mais le rôle de Winnie pose problème, car l’actrice doit avoir un physique ridicule, elle doit être comique et jouer un rôle tragique. Blin pense immédiatement à Madeleine Renaud (qui était contraire à la description) et réussit à convaincre Beckett. La pièce remporte un immense succès.  

 

I) Le système dramatique

 

A] Le titre

 

L’exclamation « Oh « témoigne d’un discours spontané. Le « Beaux « est une subjectivité : un énonciateur dont on ignore le nom prend une position favorable. Mais est-ce sincère, ou ironique? Nous devons aussi nous demander si le terme de beau fait uniquement référence à l’esthétique, ou plutôt à la nostalgie ou la morale. Quant aux « jours «, il s’agir de savoir quels jours sont évoqués ? Des jours lointains ?  Parle-t-on de jours en terme de journée (c’est-à-dire, le contraire de nuit) ?

Nous voyons néanmoins apparaître dès le titre, la thématique du temps, du bonheur, et de la subjectivité. Le titre en anglais «Happy Days « est différence du point de vue de la subjectivité et de l’interjection. Le titre en français est plus riche. 

 

B] Structure

 

La pièce est composée de deux actes, mais ne comporte aucune scène (comme En attendant Godot). Nous constatons donc une rupture entre les actes, mais une action continue dans les actes, puisqu’il n’y a pas de scènes.

Par ailleurs, le lecteur est face à un paradoxe temporel, puisqu’il y a une discontinuité dans le passage du temps avec : la sonnerie du réveil, l’évocation du matin, et du soir, les propos de Winnie sur son passé, l’évocation d’un futur,l’enfoncement dans la terre de Winnie

 

C] Les personnages

 

Les personnages d’OLBJ sont des vieillards qui aiment raconter leur passé. Leur corps peu mobiles, est en dégradation. Le couple est coupé du monde extérieur et se retrouve seul. Le couple est uni et chacun se soucie de l’autre. Mais ce sont des personnages qui veulent continuer à vivre : Winnie est une battante. Willie est peu caractérisé, mais il essentiel : c’est la condition de la parole de Winnie, car c’est le seul qui l’écoute. Winnie est optimiste, elle s’enthousiasme, malgré des moments d’abattement (où elle est lucide).

 

II) Caractéristiques dramaturgiques

 

A] Dialogue et monologue

 

La particularité de cette pièce est qu’elle est essentiellement constituée d’un monologue. Winnie a la volonté de maintenir le fil avec le monologue. Il y a quelques dialogues, lorsque Willie répond, ce qui provoque un effet de surprise et une jubilation de la part de Winnie. Mais ce sont de petits dialogues en stichomythies, avec des chansons, des gestes (Willie), des dialogues dans le regard, dans le rire. Winnie invente des personnages des « tu «, elle interpelle Willie, et le bombarde de questions, d’impératifs, elle fait pression sur lui : même les silences sont matière à échange. 

Elle se dédouble aussi pour se donner des ordres et inventer des personnages (le revolver Brownie par exemple.)

 

B- Didascalies

 

Les didascalies représentent un deuxième texte. Nous pouvons voir plusieurs raisons de leur présence :

La suspicion de Beckett sur la raison

La volonté de Beckett de s’imposer sur la mise en scène

Le texte n’existe pas seul, les mots ne suffisent pas

Les didascalies conservent leurs fonctions traditionnelles : ce sont des indications. Mais ces didascalies sont porteuses de sens. Les gestes sont plus forts, plus instinctifs.

L’augmentation des didascalies et des silences est une menace qui pèse sur la parole. Mais le morcellement crée un suspens. L’écriture avec des didascalies est un style télégraphique : le dramaturge accorde moins d’importance aux phrases longues, mais joue avec le spectateur, il le met au défi de tout lire. 

 

C] Le temps

 

Il y a une absence totale de repère temporel. On ne sait pas depuis combien de temps elle est engluée et quelle durée sépare les deux actes.

 

III) Le monde d’oh les beaux jours

 

A] Un monde en régression

 

Ce phénomène touche toutes les composantes de la pièce: 

Les personnages (plus qu’un seul couple), quand un personnage ne répond plus, on imagine sa mort. 

La régression de leur mobilité : Willie se déplace à quatre pattes (il passe du statut d’homme à celui d’animal). Et Winnie ne peut bouger (son corps est prisonnier d’un mamelon) et cela empire entre l’acte I (« enterrée jusqu’au dessus de la taille dans le mamelon «) et l’acte II (« Winnie enterrée jusqu’au cou «)

Le monde n’a pas de végétation, pas d’animaux mis à part une fourmi.

La fin est toujours envisagée : la fin de la journée, la fin de la parole (la scène se finie sur une non-parole c’est-à-dire sur « temps long «), la fin de la terre ( « elle a perdu son atmosphère «), des allusions à la mort « nuit noire sans issue «, « heure noire «, « sommeil «, « coma « …

 

B] Importance des corps et des gestes

 

Un des thèmes récurrents des romans et des pièces de Beckett est la dégradation du corps par le temps et donc, l’évocation du passé :

Le corps de Winnie souffre du soleil et elle se plaint de douleurs

Les corps sont exhibés : il y a une grandeimportance accordée à la gestuelle, comme si le corps était la seule présence scénique

Les objets ont aussi leur importance : ils sont liés aux personnages, ils les identifient (Winnie avec son sac et sa toque, Willie avec son journal, sa crème solaire, son canotier et son mouchoir). Les objets symbolisent les personnages : par exemple, Winnie veut maintenir un contact avec le monde, grâce au revolver qui est toujours à portée de main. Les objets entraînent des gestes et des paroles, ils existent par eux même.

 

C] Un monde de la théâtralité

 

Puisque rien ne se passe, tout va être montré en détail (avec l’importance des didascalies, le jeu des objets…). Tous les regards convergent vers Winnie : le jeu de l’actrice est très important et très difficile puisqu’il exige une diversité d’intonations et un auditoire (elle se sent à l’intérieur d’une représentation). Winnie est une succession de « je « (à différencier d’un « je « substantiel).

Willie est le plus souvent spectateur. À plusieurs reprises Winnie se sent observée, épiée. Quand elle commente le dérèglement du temps avec la glace elle s’adresse au public. Nous avons d’ailleurs l’impression d’être en face d’un éternel recommencement : des phrases et des actions sont répétées, tout se rejoue, comme au théâtre.

 

IV Les grands thèmes de la pièce

 

A] La parole

 

Nous pouvons constater la nécessité de l’autre, du « tu «, qui garantit la présence du « je «. Winnie dépend de Willie, et souffre donc, lorsqu’il ne souhaite pas parler, mais s’enthousiasme lorsqu’il arrive à prononcer quelque chose. Pourquoi a-t-elle besoin de parler à quelqu’un ? Pour combattre l’ennui, le silence, et l’animalité, mais aussi pour créer une sorte de remise en route, de réveil.

 

B] Le langage

 

Le langage est aussi un défi pour l’écrivain : il ne se passe rien, les temps sont répétitifs, les sujets sont dérisoires, décousus, et hachés par le silence. Le langage est néanmoins travaillé : il y a plusieurs tons chez Winnie, des tournures vieillies et archaïques (« que ne l’eussé-je «) des mots rares (ralinier, authrase), et un vocabulaire familier (comme avec la suppression du « ne « dans la négation ou le péjoratif « saloperie «). Mais ce langage sème le trouble : il signale le danger de la polysémie. Par exemple lorsqu’elle s’exclame « plus pour longtemps « parle-t-elle du tube de dentifrice ou de sa vie ? Winnie s’inquiète aussi du pouvoir des mots : « les mots vous lâchent « d’où la nécessité pour elle (et pour l’écrivain) de recourir aux gestes.

Mais il n’y a jamais de sens tranché, d’où la nécessité pour le spectateur et le lecteur de chercher un sens à l’œuvre.

 

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