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Samuel Beckett: Oh les beaux jours

Publié le 08/01/2020

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c - Dans son traitement générique

Les deux pièces précédentes de Beckett relevaient également du genre improbable de la «farce noire». Peut-être Oh les beaux jours, moins bouffonne (malgré certains aspects du personnage de Willie), plus simplement émouvante, en particulier parce que la pièce met au premier plan une figure de femme, révèle-t-elle une forme de tragique moderne, prosaïque, terre-à-terre, mais d’une universalité poignante.

5 - Quelques pistes pour l'interprétation

La pièce exploite aussi loin que possible les formes de l’échange entre les deux interlocuteurs du couple (tout le théâtre de Beckett est fondé sur un rapport de forces à deux). Le temps de parole du partenaire masculin a beau être réduit au minimum, sans lui pas de jeu possible : Winnie ne cesse de redouter ce moment où, son compagnon définitivement muet, parti ou mort, elle devrait «apprendre à parler toute seule chose que je n’ai jamais pu supporter un tel désert. Ou regarder droit devant moi les lèvres rentrées. À longueur de journée.» (p. 34). Pourtant, comme nous l’avons déjà souligné, elle a peur que le langage lui-même - pourtant la dernière manifestation de l’être - l’abandonne : 

3 - Principales données dramatiques

a - L'espace-temps

Espace et temps sont très condensés : peut-être est-ce dans une intention satirique à l’encontre des unités de la tragédie classique que Beckett inscrit la pièce dans un lieu unique et parfaitement circonscrit, le mamelon aux «pentes douces» sur trois côtés, avec «une chute plus abrupte» derrière. Winnie ne peut le quitter, Willie s’y est ménagé une sorte de terrier... Comme dans une tragédie, c’est le monde extérieur qui se déplace à la rencontre de l’espace théâtral, comme en témoigne le récit du passage du couple «Piper ou Cooker» dans le désert. Mais ce décor est aussi symbolique : cette étendue déserte et brûlante évoque l’enfer (ou l’idée que s’en fait la culture judéo-chrétienne), un enfer érotisé (mamelon), tandis que le terrier de Willie serait l’avant-goût de la tombe.

Quant au temps, même si la pièce ne «tient» pas dans les sacro-saintes vingt-quatre heures classiques, elle s’inscrit dans une durée maîtrisée : deux journées, qui commencent au lever du soleil - une sonnerie perçante réveille Winnie qui alors «s’apprête pour sa journée» - et s’achèvent à l’annonce d’une autre sonnerie («ça va sonner») au coucher du soleil. La pièce fournit le mode d’emploi de cette durée répétitive : on lit, page 45, «Il ne fait pas plus chaud aujourd’hui qu’hier, il ne fera pas plus chaud demain qu’aujourd’hui, impossible, et ainsi de suite à perte de vue, à perte de passé et d’avenir. » Pourtant le temps passe : l’acte II, plus concentré, est aussi beaucoup plus pathétique que l’acte I. A plusieurs reprises, Winnie y avoue son impuissance à «prier» désormais, sa peur panique que les mots lui manquent tout à fait, et son affolement se marque par la perte des quelques jalons du passé qui l’avaient encore guidée dans l’acte I.

Le temps «référentiel» est peu explicite : au début, Winnie porte une tenue de soirée (toque, collier de perles, décolleté, ombrelle) impossible à dater, passe-partout. Willie lit un vieux journal, qui justement n’est pas «du jour». Quelques mots - par exemple le terme cold cream - pour désigner de la crème solaire sont un peu désuets, mais rien en fait ne permet de situer autrement qu’au XXe siècle le moment de l’action. Ce choix n’est pas sans conséquence pour l’interprétation.

b - Les didascalies* : un usage singulier

Tout lecteur d’une pièce de Beckett est frappé par l’invasion des didascalies* qui, littéralement, «mangent» le texte. Leur abondance a plusieurs explications, générales ou spécifiques à la pièce Oh les beaux jours :

- la passion de Beckett pour la mise en scène et son souci de précision ; cette rigueur est perceptible aussi bien pour les indications de décor que pour les

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« SAMUEL BECKETT, ÜH LES BEAUX JOURS seulement ce titre apparaissait comme la conclusion de la pièce, ainsi achevée avant même d'avoir commencé, mais également la première réplique proclamait : «Fini, c'est fini, ça va finir, ça va peut-être finir.» Même provocation avec le titre apparemment joyeux de Oh les beaux jours, exclamation béate reprise par le personnage principal sous forme d'un véritable refrain : «Üh le beau jour encore que ça aura été ! » Cette reprise indique assez que le sujet de la pièce, parfaitement saisi par son titre, c'est le temps selon la perception que chaque être humain peut en avoir.

Qu' appelle-t-on un« beau jour»? La modalité exclamative de la phrase nominale suggère en effet que c'est quelqu'un qui la dit, la pense ou la ressent.

Ajoutons que ce titre laisse attendre une pièce légère, peut-être naïvement heureuse, attente qui ne sera pas satisfaite.

c -Liens avec les autres œuvres de Beckett Après le scandale provoqué par En attendant Godot où deux vagabonds atten­ dent un mystérieux personnage qui ne viendra pas et qu'ils continuent à attendre après avoir échoué à se tuer -et après la stupéfaction des spectateurs devant Fin de Partie, Oh les beaux jours finit de construire l'univers dramatique déroutant de Beckett.

Ici encore des personnages en-deçà de l'humain, privés des facultés les plus élémentaires (bouger, marcher, se toucher) manifestent la radicale étran­ geté de la condition humaine et sa cruauté tragique.

Le couple de Winnie et de Willie ressemble à s'y méprendre à celui de Vladimir et d'Estragon, de Pozzo et de Lucky, de Clov et de Hamm.

Comme les autres créatures beckettiennes ces deux-là n'ont plus que les mots qu'il faut continuer, malgré tout, à proférer, en vertu d'une injonction venue d'on ne sait où (sans doute de l'instinct de conservation) : il faut continuer, même si on ne peut pas continuer.

Par là, le théâtre de Beckett déploie avec de nouveaux moyens les intuitions qui étaient celles des romans, notamment de L:Innommable (1953), dontles dernières lignes sondes suivantes: «Ça va être le silence, là où je suis, je ne sais pas, je ne saurai jamais, dans le silence on ne sait pas, il faut continuer, je ne peux pas continuer, je vais continuer.» 2 -Résumé et composition a- Résumé La pièce est en deux actes.

Le lieu indiqué est le suivant : «Étendue d'herbe brûlées' enflant au centre en petit mamelon».

Acte I Une femme, Winnie, la cinquantaine, est enfouie dans la terre jusqu'à la taille au centre du mamelon.

Elle se réveille, fait un brin de toilette, bavarde intarissable- 243. »

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