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On a souvent critiqué l'identification du lecteur aux personnages de romans, Dans quelles mesures cette critique vous semble-t-elle justifiée ?

Publié le 20/01/2011

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Le roman est un genre littéraire qui tire son origine de l'Antiquité,avec les œuvres épiques écrites ou inspirées par Homère (l'Iliade ou l'Odyssée). Au Moyen-Age, la littérature narrative épique s'impose à travers un genre très particulier qu'on appelle la chanson de geste, forme de poésie destinée au chant (le grand modèle français étant la Chanson de Roland). Ce genre valorise le côté sublime du héros ; celui-ci étant, en quelque sorte, le descendant humain des héros de Homère qui étaient divins ou semi-divins. Le mot roman n'apparaît que tardivement et, au début, il ne définit que les textes écrits en langue romane. Il est versifié jusqu'au XVIIème siècle, époque où l'on se met à écrire en prose et où le personnage de roman se diversifie, ce qui veut dire que ce n'est plus forcément un héros héroïque. On a souvent critiqué l'identification du lecteur aux personnages de romans. Dans quelles mesures cette critique est justifiée ? A partir de cela nous pouvons nous demander si l'évolution du personnage romanesque permet au lecteur de mieux s'y identifier. Pour se faire nous commencerons par étudier le héros « classique «, pour ensuite faire de même avec son successeur : le héros « moderne « et le antihéros. Enfin nous essayerons de démontrer que l'identification au héros « moderne « est plus facile que celle au héros « classique«.

 

 

 

Nous allons donc commencer par étudier le héros « classique «, de son apparition dans les textes de Homère jusqu'à sa diversification au 17ème siècle.

 

Tout commença dans l'Antiquité avec le héros mythologique d'origine divine ou semi-divine. En effet, ce héros est né, soit de l'union entre une divinité et un mortel comme Achille, fils de Pélée roi des Myrmidons et de la Néréide Thétis ; soit d'un humain à part entière, mais né de parents qui sont des reflets terrestres de la divinité (rois, reines, princes, etc), comme Ulysse, fils de Laërte et d'Anticlée, roi et reine d'Ithaque. L'estime incomparable qui était accordée à ces héros humains venait du fait qu'ils avaient accompli des exploits extraordinaires. Le héros antique est, en quelque sorte, cerné par la mort car déjà, à sa naissance, c'est un monde hostile qui l'attend (comme Persée, enfermé avec sa mère dans un coffre que le père de celle-ci a jeté en pleine mer). Il se distingue par ses exploits guerriers, tel Héraclès terrassant le lion de Némée ou Thésée tuant le Minotaure. Il doit faire preuve de bravoure et de courage au combat et est souvent confronté à des forces extérieures pouvant l'écraser mais devant lesquelles son triomphe est possible. Par exemple dans son épopée Homère met en scène ce conflit surmontable symbolisant la gigantesque lutte de l'homme contre le destin. On peut dire que ce héros était avant tout un guerrier, et qu'en dépit de son courage et de sa bravoure, son orgueil peut se révéler fatal, comme pour Bellérophon qui, après maints exploits, estima qu'il était digne de séjourner avec les dieux. Il entreprit de voler vers le Mont Olympe avec Pégase son cheval ailé ; mais Zeus, qui ne l'entendait pas de cette façon, envoya un taon piquer le cheval qui rua et fit chuter son cavalier. Bellérophon tomba dans un buissons d'épines qui lui crevèrent les yeux. Il finit par errer sur Terre jusqu'à sa mort.

 

Si on regarde dans la littérature médiévale on y retrouve un personnage de roman tout aussi extraordinaire que le héros antique même s’il a perdu ses attributs divins au profit de ses vertus chevaleresques. Avec l'apparition de la chanson de gestes au Vème siècle, dont le grand modèle français est la Chanson de Roland, un nouveau héros apparaît. Ce héros médiéval est humain mais possède tout comme le héros antique des qualités exceptionnelles : il fait preuve de courage dans des situations de combat ainsi que dans sa manière d'affronter les épreuves de la vie. Son intrépidité au combat est assez remarquable car il arrive à faire abstraction de sa fatigue, de sa peur et du danger face à l'ennemi. Lancelot, par exemple, qui a chevauché nuit et jour et traversé une épée tranchante comme une lame de rasoir doit livrer bataille contre Méléagant pour sauver la reine Guenièvre qui a été enlevée par ce dernier. On peut donc dire que ce héros est un preux et vaillant chevalier. De plus, il possède des valeurs morales telles la bonté et l'honnêteté, et des valeurs intellectuelles. Ces nombreuses qualités lui permettent d'endurer et de surmonter toutes sortes de souffrances physiques ou morales. On peut dire qu'à l'instar de son prédécesseur, c'est un héros épique : il incarne l'idéal chevaleresque du XIème et XIIème siècle. C'est un chevalier noble car il fait partie de la caste féodale et appartient donc à un lignage de chevaliers dont il est fier. Il est au service d'un suzerain et lui doit fidélité et obéissance ; et c'est d'ailleurs ce qui le rend exemplaire. Par exemple, dans la Chanson de Roland, tous les chevaliers respectent Charlemagne et lui sont fidèles, même le traître Ganelon qui va assouvir sa vengeance sans tromper son suzerain ; on peut aussi prendre l'exemple des chevaliers de la table ronde qui sont tous complètement dévoués au roi Arthur, hormis Méléagant (qui a enlevé Guenièvre). L'héroïsme du héros médiéval est souligné par la présence des autres protagonistes présents dans les romans médiévaux (ami confident, traître, ennemi, lâche,etc). On peut aussi dire que c'est un héros croyant et que sa foi le plie à la volonté divine. Ainsi il fait un bon représentant de la religion chrétienne en livrant bataille contre les peuples qui pourraient nuire à celle-ci.

 

Il apparaît donc que le héros antique et le héros médiéval sont des personnages épiques, ce qui peut donner envie au lecteur de s'y identifier.

 

 

 

Cependant on retrouve dans le roman du XVIIème siècle de nouveaux héros, bien différents de ceux que l'on connaissait jusqu’ici et qui sont peut être plus réalistes.

 

A partir du XVIIème siècle, le héros mis en scène dans les romans est un personnage qui se caractérise par ses vertus héroïques qu'il doit en partie au modèle du héros mythologique. Mais contrairement au héros « classique «, ce héros obéit à la loi du changement ; il suit un chemin jalonné d'obstacles qui le modifient ou le transforment, ce qui l'aide à se construire. Ainsi Rastignac (dans La maison Nucingen de Balzac) ou Emma de Bovary (dans Madame Bovary de Flaubert) vont rencontrer de nombreux obstacles qui vont les transformer si bien qu'ils ne seront plus les mêmes au terme de leur aventure. Les aventures de ces personnages prennent place dans un contexte réel, ce qui correspond aux codes du roman du XVIIème siècle. Jusqu'au XVIIIème siècle, le héros de roman est un personnage noble sous toutes les coutures. Il associe noblesse de rang et noblesse morale. On peut prendre l'exemple de la Princesse de Clèves qui, comme son nom l'indique, est quelqu'un de noble socialement et qui allie aussi la noblesse morale car elle renonce à l'amour qu'elle a pour un autre homme que son mari par respect pour celui-ci qui vient de mourir et par respect des conventions de l'époque. Le fait que ces personnages soient si « parfaits « est dû à l'apparition du classicisme dans la seconde moitié du XVIIème siècle. Ce courant se définit principalement par un ensemble de valeurs visant à la recherche de la perfection. A partir du XVIIIème siècle, les personnages de romans font partie du peuple et sont toujours présentés sous une forme péjorative comme Jacques dans Jacques le Fataliste et son maître de Diderot dont le nom fait tout de suite référence au monde paysan, ou encore le couple Michaud dans Suite Française d'Irène Nemirowsky.

 

Dès le début du XVIIème siècle on retrouve des antihéros avec notamment le personnage de Cervantès : Don Quichotte. Comme son nom l'indique ce nouveau personnage se définit en comparaison avec le héros. Il ne se distingue par aucune qualité particulière. Ce personnage ressemble un peu à « monsieur tout le monde « : il est banal voir méprisable comme l'étranger de Camus. Il peut aussi être affligé d'une tare, tel Don Quichotte qui est fou ce qui empêche toute admiration devant les actions qu'on lui voit commettre. On peut qualifier ce personnage de « raté « en prenant l'exemple de Charles Bovary dans Madame Bovary car il n'est pas très beau, n'est pas intelligent, n'est même pas un vrai médecin et vit sous la coupe de sa mère. Le antihéros peut être un personnage qui n'effectue pas une noble quête, n'est pas animé de sentiments altruistes, etc. Il peut aussi tout simplement être un personnage dont les caractéristiques physiques diffèrent de celles du héros « classique « qui est jeune, beau, etc. On peut prendre l'exemple des personnages de Bernard Werber qui font partie, pour la plupart, de la catégorie des antihéros tel Isidore Katzenberg, ancien policier choqué et horrifié par la violence et l'hypocrisie du monde et traumatisé par un attentat à la bombe dont il est sorti indemne. Suite à cela, il s'est mis à l'écart de la société et vit dans un château d'eau avec des dauphins. Malgré son fort embonpoint, il arrive à accomplir des exploits dont on ne l'aurait pas cru capable. Le personnage de Michael Pinson peut aussi être considéré comme un antihéros du fait de son caractère réservé et de son physique assez banal. On peut dire que ce nouveau héros est devenu un personnage omniprésent dans la littérature contemporaine, qu'elle soit destinée au grand public ou aux plus jeunes. Ainsi l'auteur Eoin Colfer met en scène dans sa série de romans destinée aux adolescents intitulée Artemis Fowl un adolescent du même nom, âgé de douze ans et doté d'une rare intelligence. Son jeune âge ne l'empêche pas de tout mettre en œuvre pour restaurer la fortune de sa famille et il use de tous les moyens pour arriver à ses fins.

 

On peut donc dire que le XVIIème siècle voit naître de nouveaux héros plus proches de la réalité .

 

 

 

Après avoir étudié l'évolution du héros nous pouvons nous rendre compte que le héros « moderne « et notamment le antihéros est beaucoup plus proche du lecteur que le héros « classique «.

 

En effet le héros classique ne présente que peu de points communs avec le lecteur, ce qui ne lui permet pas de s'y identifier. Si on prend l'exemple du héros antique, on peut dire que rien, mis à part son orgueil, ne peut le rapprocher du lecteur. Il est évident que ce n'est pas l'origine divine ou les capacités exceptionnelles dont disposent ces personnages qui les rapprochent du lecteur. De ce fait il paraît difficile de pouvoir s'identifier à un personnage qui ne nous ressemble en rien. Le héros médiéval est aussi peu « rapprochable« du lecteur que son homologue car, en dépit de son origine humaine, il est aussi capable d'exploits extraordinaires comme de sortir vainqueur d'un combat perdu d'avance. La bravoure et le courage dont font preuve ces personnages pendant les combats ne nous sont pas non plus très communs. Ces héros représentent plus un idéal qu'une réalité ce qui ne peut nous permettre une quelconque identification à ceux-ci. De ce fait nous pouvons nous demander si le lecteur croyant pouvoir s'identifier à ces personnages ne se « force « pas inconsciemment à le faire par désir d'y ressembler. En dépit de tout cela il vrai que le lecteur peut se retrouver dans les sentiments et les états d'âme des héros « classiques «. Ainsi il serait donc tout à fait possible de s'identifier à Héraclès, par exemple. Nous ne nous retrouverions donc pas dans la force incroyable de ce demi-dieu mais plutôt dans sa honte et son dégoût pour lui-même d'avoir tué sa femme et ses enfants ainsi que dans son besoin de se racheter pour expier sa faute.

 

On peut donc se demander si l'apparition du héros « moderne « ne s'est pas faite justement afin de nous permettre de nous y identifier complètement et non en partie comme avec le héros « classique «. Il est vrai qu'à partir du XVIIème siècle le héros se diversifie, il n'est donc plus forcément un héros héroïque ce qui facilite l'identification du lecteur. Même si bon nombre de personnages de romans gardent encore ces valeurs ils ne sont plus aussi extraordinaires que leurs prédécesseurs. Comme nous l'avons vu précédemment, le parcours du héros « moderne « est souvent chaotique ce qui lui permet d'évoluer. Nous pouvons donc mieux nous retrouver dans ce héros qui démarre souvent avec « trois fois rien « pour finir par atteindre la gloire absolue, ce que le personnage de George Duroy de Bel-Ami de Maupassant réussit à merveille. Le fait que les personnages de romans soient issus du peuple à partir du XVIIIème siècle facilite aussi l'identification. De plus avec l'apparition du antihéros, qui est déjà présent à cette époque, l'identification du lecteur se fait encore plus facilement. En effet ce personnage ne possède aucun talent particulier, il ne se distingue en rien du reste de la société. C'est quelqu'un de tout à fait banal et qui nous est donc plus proche qu'un preux chevalier sauvant de belles dames en détresse et tuant de terrifiants dragons. Les personnages de Bernard Werber illustrent tout à fait ceci même s’ils finissent par accomplir des exploits malgré eux. Ce sont de simples « citoyens lambda «. On comprend donc que le lecteur puisse mieux s'identifier à un antihéros puisqu'il a plus de chances de se retrouver dans ce personnage que dans un riche bourgeois, par exemple. Il ne faut pas oublier que le antihéros dispose souvent d'un physique atypique ou banal ce qui nous permet de mieux nous projeter dans ce personnage.

 

Nous pouvons donc dire que l'évolution du personnage romanesque a permis de faciliter l'identification du lecteur à celui-ci.

 

 

 

Pour conclure nous pouvons dire que l'évolution du héros permet une meilleure identification du lecteur. En effet le héros « classique « ne nous permet pas vraiment de nous y identifier car nous avons, d'un côté un héros antique d'origine divine ou semi-divine qui réalise des exploits extraordinaires, et d'un autre côté un héros médiéval qui lui est certes humain mais qui est aussi capable de prouesses exceptionnelles. On peut donc dire qu'il est assez difficile de s'identifier à ce type de personnage du fait de leur côté « divin « et du contexte fantastique dans lequel ils évoluent. Avec l'arrivée de nouveaux personnages de romans au XVIIème siècle, le lecteur a enfin pu trouver matière à s'identifier. Le « héros du classicisme «, en dépit de sa perfection tant du côté de ses origines que du côté de ces actions, nous permet de mieux nous y retrouver du fait de son parcours difficile et du contexte réaliste dans lequel il vit. Le antihéros est vraiment le personnage de roman auquel le lecteur peut vraiment s'identifier car il n'est pas parfait, ne fait pas preuve de qualités exceptionnelles, etc. Il nous ressemble tellement que l'on peut en venir à se demander si nous ne sommes pas le nouveau héros du roman. En effet le fait que celui-ci ait évolué d'un demi-dieu à un être ordinaire montre que nous nous désintéressons de plus en plus de ce qui nous est trop éloigné pour privilégier ce qui nous ressemble.

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