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Peut On Se Mentir A Soi Meme ?

Publié le 05/12/2010

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mentir

Introduction1

À défaut de pouvoir vérifier soi-même une information, on s'en remet fréquemment à des tiers à qui il arrive de la

déformer ou de l'occulter.

Lorsqu'autrui me ment, par conséquent, il sait une chose que je ne sais pas et qu'il me cache. En revanche, quand je

me mens à moi-même, je me cache une chose que pourtant je sais : ainsi puis-je m'illusionner sur mes propres

défauts et qualités, ou me faire croire qu'un événement que je redoute n'arrivera pas.

D'où le problème : chacun peut, semble-t-il, s'illusionner sur lui-même ou faire preuve de mauvaise foi et cependant

la chose est contradictoire, voire impensable. Comment peut-on en effet être victime d'une manipulation dont on est

soi-même l'auteur, comment ne pas être conscient d'une vérité qu'en même temps l'on connaît ? La conscience, en

un mot, ne me rend-elle pas entièrement maître de mes pensées ?

1. Les titres en gras servent à guider la lecture et ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.

1. Oui, on peut se mentir à soi-même

A. Tout préjugé relève du mensonge à soi

Le mensonge à soi peut prendre essentiellement deux formes : soit on fait passer pour vrai ce que l'on sait être faux,

comme lorsque l'on prétend, par exemple, qu'un événement que l'on sait devoir arriver n'arrivera pas.

Soit on fait passer pour certain quelque chose que l'on sait être subjectivement incertain − comme lorsque l'on se

convainc d'avoir pour autrui un sentiment que l'on n'est pas sûr d'éprouver.

Ainsi dans tous les cas préjuge-t-on, à proprement parler, d'une vérité ou d'un sentiment, soit parce que l'on nie une

réalité qui met à mal nos cadres de pensées ou nos intérêts, soit parce que l'on juge avec précipitation, préférant

croire en ce qui a des chances d'être faux plutôt que de faire l'veu de son ignorance ou de rester dans le doute.

Tout préjugé suppose donc, de fait, le pouvoir de se mentir à soi-même.

B. Le mensonge à soi est possible mais impensable

Le mensonge à soi est, en ce sens, un mensonge intérieur, dans lequel, se cachant ce que par ailleurs on sait, on se

traite soi-même comme un autre. Comme tel, il suppose que l'on puisse être à la fois soi-même et autre que soi, ce

qui est, semble-t-il, contradictoire.

C'est ce que remarque Kant, au paragraphe 9 de La Doctrine de la vertu : ' Il est facile de prouver la réalité de

nombreux mensonges intérieurs (...), il est difficile d'en expliquer la possibilité, parce qu'une seconde personne est

requise pour cela, que l'on a l'intention de duper, et que l'intention de se tromper délibérément soi-même semble

contenir une contradiction.

De fait, il est possible de se mentir à soi-même et les exemples attestant cette possibilité sont nombreux, mais l'idée

que l'on puisse retourner sa propre volonté contre soi est impensable.

Conclusion et transition

Tout préjugé, pour autant qu'il consiste à se duper soi-même sur une vérité que l'on refuse ou sur les limites de ce

que l'on sait vraiment, est mensonge à soi. Cela reste contradictoire et impensable.

Toutefois, existe-t-il réellement une intention consciente de se tromper ? Ce que l'on appelle couramment '

mensonge à soi ' n'est-il pas en réalité le résultat d'une tendance irrépressible et involontaire ? En d'autres

termes, n'est-on pas déterminé intérieurement à préjuger d'une chose − ou, ce qui revient au même, n'est-on pas

victime de ses préjugés ?

2. Non, on ne peut pas se mentir à soi-même

On émettra ici deux hypothèses, pour rendre compte de ce que l'on appelle abusivement le ' mensonge à soi

' − lequel est, au sens strict, impossible.

A. L'unité de la conscience exclut le mensonge à soi (première hypothèse)

Aucune de mes pensées ne saurait m'échapper ou être produite sans que j'en ai connaissance : je ne peux, pour cette

raison, ignorer ce que je sais ; cela découle de la nature même de la conscience, laquelle me met en effet

immédiatement en présence de ce que je pense.

C'est ce que montre Descartes dans la première méditation des Méditations métaphysiques, à travers l'expérience du

cogito. Le raisonnement est le suivant : je peux bien douter que mes pensées soient vraies − fût-ce que deux et

deux fassent quatre − , je ne saurais douter, en revanche, que, les ayant, je n'en ai effectivement conscience car la

pensée (la conscience) est transparente à elle-même : elle est immédiatement en possession de ce qu'elle pense.

En d'autres termes : j'ai toujours et par définition la pleine connaissance de mes pensées, même si celles-ci sont

fausses. Je peux bien me tromper, par conséquent, je ne saurais le faire délibérément.

Le préjugé n'est, dans ce contexte, que le résultat de mauvaises habitudes mentales − soit d'un défaut de méthode,

lequel me pousse à juger par ouï-dire ou à affirmer hâtivement ce que pourtant je ne suis pas en mesure de savoir.

En un mot, s'il arrive que l'on juge par ' prévention ' (selon une idée préconçue) ou par ' précipitation ' (de

manière irréfléchie), cela reste accidentel et non pas volontaire, car l'unité de la conscience exclut, par définition, la

possibilité de se mentir à soi-même.

B. La dualité supposée du psychisme exclut également le mensonge à soi (seconde hypothèse)

Toutefois, il arrive fréquemment que l'on sente une résistance intérieure à reconnaître un désir ou une réalité qui

nous blesse, une pensée dont on a honte.

Or, ce refus de reconnaître une vérité que l'on juge,  au fond de soi , épouvantable ou dérangeante, ne saurait être

l'effet d'une simple erreur de méthode, susceptible d'être rectifiée grâce aux secours de la réflexion et de la volonté,

comme le voulait Descartes.

Voilà pourquoi il semble nécessaire d'examiner ici une seconde hypothèse, dans une perspective opposée à la

précédente. Procédant en effet d'un désir irrépressible d'éviter une souffrance ou un malaise intérieur à la suite d'une

contradiction avec soi-même − d'un conflit entre l'image que l'on a de soi et la pensée, honteuse, susceptible de la

ternir − , le refus d'une vérité est, à peine vécu, aussitôt oublié, ainsi que la pensée qu'il vise à effacer.

Comme tel, il relève d'une tendance intérieure inconsciente et, pour cette raison, incontrôlée. Cette tendance

consiste à chasser hors du champ de la conscience ce que pourtant l'on connaît mais qui, tel le désir édipien (le désir

pour le parent du sexe opposé) par exemple, représente une pensée incompatible avec les aspirations morales de

l"individu et l"image de lui-même qu"il a intériorisée dès l"enfance. C"est à proprement parler ce que Freud appelle

" refoulement ". L'inconscient psychique en serait la cause.

Par conséquent s'il n'est pas l'effet d'une intention consciente − ce qui est au contraire le cas de tout mensonge − ,

s'il ne résulte pas, pour cette raison, d'une volonté de se tromper soi-même, l'acte par lequel nous refoulons sans le

savoir certaines de nos pensées n'est pas mensonge à soi .

Conclusion et transition

Parce que le psychisme est double, conscient d'un côté, inconscient de l'autre, il connaît ce qu'il refoule. Le

mécanisme par lequel nous rejetons ce qui nous gêne à l'occasion d'un conflit intérieur n'étant pas contrôlable, il ne

saurait être qualifié, pour cette raison, de  mensonge à soi . Toutefois, on ne saurait réduire toute contradiction

intérieure à cette action involontaire, comme si l'on n'était jamais coupable en effet de donner foi à ce que l'on sait

pertinemment − c'est-à-dire consciemment − être faux ou incertain. Mais dans ce cas, comment est-ce possible ?

3. Il est possible et pensable de se mentir à soi-même

A. La possibilité de se mentir à soi-même est inhérente au fait d'être conscient

Si l'on ne doit pas se mentir à soi-même, comme on le dit communément, c'est que cela est possible. Pourtant,

comme on l'a vu, l'hypothèse d'une unité absolue de la conscience exclut cette possibilité − tout comme celle de

l'existence d'un inconscient psychique.

C'est donc que la conscience n'est pas une mais double − ce qu'atteste l'expérience de la mauvaise foi.

Ainsi Sartre essaye-t-il de penser, dans L'Être et le Néant, ce que Kant jugeait contradictoire.

La mauvaise foi, en effet, consiste à se masquer délibérément une vérité que l'on connaît − à endosser à la fois le rôle

du trompeur et celui du trompé : tel est le cas de la femme qui, alors même qu'elle se sait courtisée, veut croire

qu'elle ne l'est pas.

Or, précisément, ce dédoublement renvoie à la dualité même de la conscience, par laquelle tout sujet a le pouvoir de

s'échapper à lui-même, de se saisir comme autre que ce qu'il est, capable d'agir autrement s'il a commis une faute,

simple et sincère alors même qu'il est insincère et compliqué : c'est parce qu'il a conscience de ce qu'il est, parce

qu'il est double − à la fois sujet et objet de conscience − que l'homme, en effet, ne coïncide jamais avec lui-même,

qu'il est toujours au-delà de ce qu'il est immédiatement ou de ce qu'il a été, bref, a le pouvoir et la liberté de devenir

autre.

En un mot : si l'homme n'est pas une chose que ses actes figeraient dans une identité (le méchant, la coquette), c'est

parce qu'il a une conscience.

Celle-ci n'est pas un être fixe ou une ' substance ', comme le pensait Descartes, mais une pure relation à autre chose

qu'à soi (en l'occurrence : celui que l'on veut ou a décidé d'être, en dépit de ce que l'on est présentement), un pur

pouvoir de s'échapper à soi-même ou de se dépasser.

B. On peut ne pas se mentir à soi-même

La possibilité de se mentir à soi-même est donc inscrite dans la nature de la conscience. Il reste qu'elle implique, sur

le plan de la morale, une dualité qu'il nous faut encore expliquer : pourquoi, en effet, un homme s'illusionne-t-il

lui-même ? En quoi est-il l'auteur de cette illusion ?

L'illusion, contrairement à l'erreur, n'est pas accidentelle ; nous n'en sommes pas totalement victimes : ainsi puis-je

prendre pour règle morale de reconnaître mes torts lorsqu'il y a lieu, plutôt que de m'obstiner à les nier dans une

attitude de mauvaise foi.

Et cependant, l'illusion par laquelle nous nous masquons une vérité à nous-mêmes n'est pas non plus exactement une

faute, pour autant qu'elle n'est pas entièrement délibérée : elle est bien plutôt déterminée par une tendance naturelle

et spontanée à transformer une réalité que nous connaissons, pour la rendre plus conforme à nos désirs.

C'est cette tendance qui nous incline à donner foi, à croire en la ' vérité ' qui correspond le mieux à nos intérêts :

l'acte de se mentir à soi-même traduit précisément cet effort, propre à l'illusion, de conformer le réel à ce que nous

désirons qu'l soit. En résumé, le mensonge à soi est en partie au moins volontaire : nous en sommes, pour cette

raison, moralement responsables et l'on pourrait, de fait, ne pas se mentir à soi-même ; il procède cependant d'une

attitude spontanée qui nous porte à imposer la force de notre désir contre la vérité.

Conclusion

Peut-on se mentir à soi-même, peut-on avoir l'intention consciente de se cacher ce que pourtant l'on sait ?

D'un côté, si la conscience est une et transparente à elle-même, cela n'est pas seulement contradictoire, c'est

impossible. Mais d'un autre côté, si l'on admet au contraire que le psychisme est double (constitué d'une partie

consciente et d'une partie inconsciente), on ne peut se cacher à soi-même que ce que l'on a oublié ou refoulé − bref

ce que l'on sait seulement de manière inconsciente. Cela n'est donc pas, là encore, ' mensonge à soi ', volonté

consciente de se tromper.

Et cependant, l'expérience de la mauvaise foi atteste la réalité de cette forme particulière de mensonge, en même

temps qu'elle révèle la nature même de la conscience humaine : l'être conscient en effet a le pouvoir de se nier et de

se dépasser, d'être toujours, par définition, autre que ce qu'il est, de n'être jamais, pour cette raison, tout à fait luim

ême.

Il reste que, sur un plan moral, il est possible de ne pas se mentir à soi-même, car toute illusion procède au fond du

mensonge à soi, soit de la volonté positive de conformer la réalité à ses désirs.

Ouvertures

LECTURES

− Kant, Doctrine de la vertu, Vrin.

− Descartes, Méditations métaphysiques, 10-18.

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