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préface

Publié le 25/10/2012

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Préface ANTIGONE de JEAN ANOUILH a été présentée pour la première fois le 4 février 1944, au Théâtre de l'Atelier à Paris, dans la mise en scène d'André Barsacq avec Monelle Valentin dans le rôle du personnage principal. Les acteurs étaient en costume de soirée: «Le roi et tous les membres de la famille royale portaient le frac, et les gardes le smoking, sur lequel ils avaient passé un ciré de couleur noire« (A. Barsacq). Le décor était, comme proposé par l'auteur, purement fonctionnel, sans fixation à une époque déterminée. Outre un caractère provocateur, la présence de ces «anachronismes« serviraient - et servirent - à créer une certaine complicité avec le spectateur d'aujourd'hui et à montrer par cette modernisation du mythe que les héros mythiques sont de tous les temps. L'inspiration mythologique est une donnée fondamentale du théâtre français de la première moitié du XXe siècle (1927 Cocteau, «Orphée«, 1932 Gide, «Oedipe«, 1934 Cocteau, «La Machine infernale«, 1935 Giraudoux, «La Guerre de Troie n'aura pas lieu«, 1937 Giraudoux, «Électre«, Cocteau, «Oedipe roi«, 1943 Sartre, «Les Mouches«, 1944 Anouilh, «Antigone«, 1946 Gide, «Thésée«, Anouilh, «Médée«). Dans l'atmosphère d'inquiétude des années trente, où le monde apparaît de plus en plus plongé dans l'absurdité et dans la détresse, le mythe, désacralisé et réactualisé, véhiculait des questions brûlantes. Le héros antique, prisonnier de son destin, faisait tristement écho à l'individu du XXe siècle, menacé par la guerre et la montée des périls. Depuis sa première présentation aux Athéniens en 441 av. J.-C. sur les flancs de l'Acropole, le sujet d'Antigone a joui d'une popularité extraordinaire. C'est cette «Antigone« de Sophocle, «lue et relue et que je connaissais depuis toujours«, qu'Anouilh a décidé de réécrire, à sa façon, sous la forme d'une tragédie moderne qui, si elle reste parfois fidèle au modèle, est avant tout une création originale de l'auteur. Dans les deux pièces, l'histoire est la même: Antigone, en dépit de l'interdiction de Créon, a rendu les honneurs funèbres à son frère Polynice. Cette désobéissance lui vaudra la mort. Le déroulement de l'action et son dénouement sont également semblables, et les principaux personnages - même si leur signification dans la tragédie d'Anouilh est totalement différente - ont été conservés. Il a supprimé, par contre, le personnage de Tirésias, vieux devin aveugle qui, dans la tragédie grecque, représentait la voix des dieux et qui n'aurait guère eu de sens dans une pièce où la religion est niée et le mythe désacralisé. Mais c'est dans la signification du face-à-face symbolique entre Antigone et Créon que se situe la différence majeure entre les deux oeuvres. L'opposition entre la loi des hommes et la loi des dieux est devenue opposition entre la Raison d'État et la Rébellion. Ce qui était, chez Sophocle, un conflit entre le plan humain - l'orgueil des hommes, leur démesure - et le plan divin n'est ici que l'affrontement de deux êtres désabusés. L'Antigone grecque se sacrifiait pour la justice, celle d'Anouilh «ne sait plus pourquoi elle meurt«. Après le succès de l'«Antigone« d'Anouilh, à leur tour de rôle, l'«Antigone« de Garnier, celle de Cocteau et puis la tragédie de Brecht, sortirent de l'ombre. En 1968, on fit monter Antigone sur scène en blue jean et contester l'autorité de l'État et les structures universitaires répressives. Pour elle, les professeurs étaient «une bande de Créons«. En 1972, une « Antigone« de Mikis Theodorakis fut présentée au festival d'Avignon, et vers la fin des années quatre-vingt, deux théâtres parisiens ont ajouté de nouvelles variantes à la gamme des représentations de la pièce d'Anouilh. Comment s'explique la popularité durable du thème sophocléen? D'abord par la multitude des approches possibles: Antigone revendiquant les libertés et les droits de l'individu contre les nécessités de la Raison d'État; l'opposition entre une jeunesse intransigeante et l'âge mûr tendant vers le compromis réaliste; la quête de l'absolu et le contentement d'un bonheur modeste; le conflit de générations etc. Puis, le succès résulte certainement de la personnalité chatoyante de la protagoniste elle- même: Antigone est passée pour l'image accomplie de la vertu féminine, on l'a faite le porte-parole des faibles et persécutés, pour d'autres, elle n'était qu'une fille excessive et capricieuse; elle était républicaine, révolutionnaire et anarchiste; le personnage d'Antigone n'a jamais perdu son attrait et sa fascination. Sa tragédie est toujours actuelle.

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