Contes cruels
Publié le 06/04/2013
Extrait du document
«
Villiers de L'I sle-Adam
est né à Saint-Br ieuc
l e 9 novembre 1838
et, ayant mené une vie
mouvementée et
misérable ,
il meurt le
18 août 1889, après
avoir épou sé,
in
extremis, Marie Dantine
afin que soit l
égitimé
leur fils Victor.
« Le vertige lui ôtait la
faculté de parler .»
EXTRAITS
L'illusion présente
Il ne pouvait que la trouver toujours pré
sente, ta nt la forme de la je un e femme était
mêlée à
la présente, sienn e.
Tantôt , su r un
banc du jardin, les jou rs de soleil , il
lisait,
à haute
voix , les poésies qu'elle aimait; tan
tôt,
le soir, auprès du feu , les deux tasses de
thé
sur un gué ridon, il causait avec
l' Illusion souriante , assise, à ses yeux, sur
l'autre fauteuil.
Les jours , les nuits , les semaines
s' envo l è
rent.
Ni l'un ni l 'autre ne savait ce qu 'ils
accomplissaient.
Et des phéno mèn es singu
liers se passaient maintenant, où il deve nait
d iffi cile de distingue r le
point où l' ima
ginaire et le réel étaient identiques.
Une
présence flottait
dans
l'air : une
forme s'efforçait de
transparaître, de se
tramer sur l'espace
devenu indéfinis
sa bl
e.
Songe ou réalité ?
« En ce mom en t,
l'heure sonna , de
hors , à l'église, dans
l e vent nocturne.
»- Qui es t là ? de
mandai-je , à voix
basse .
» La lueur s' étei
g nit :
j'allais m' ap
procher ...
» Mais la port e
s'ouvrit, largement,
l enteme nt, silencieu
sement.
» En face de moi,
dans le co rrid
or, se
tenait , debout, une
forme haute et noire, -un prêtre,
le tricorne
sur la tête.
La lune l'éclairait tout enti er à
l'exception de la figure: je ne voya
is que le feu
de ses deux prunell es, qui me co nsidé
raient avec une solennelle
fixit é.
» Le so uffle de l'autre monde env elo ppait ce
v isite u
r, son attitude
m'oppressait l'âme.
Paral ysé
par une
frayeur qui s'enfla
instantanément
jusqu 'au paroxysme,
je contem plai le déso
lant pers
on na ge, en
s il ence.
» Tout à cou p, le
prêtr e éleva le bra s,
avec le nt eur , vers moi.
Il me pr ésentait une
c h ose lourde et vagu
e.
C'était un manteau .
Un grand mant eau
noir , un manteau de
voyage.
Il me le ten
dait , co mm e pour me
l' offri
r! ...
» Je fe rmai les yeux,
p o ur ne pa s vo ir cela .
Oh! je ne voulais pas
vo ir cela ! Mais un
oiseau de nuit, avec
un cri affreux, passa
entre nous, et le ve nt de ses ailes, m' effl e
u
rant les paupières, me les fit r ouvrir.
Je
se ntis qu'il
voletait par la chambr e.
» Alors, -et avec un râ le d'ango isse, car
l es forces
me trahis saient pou r cr i er, -je
repoussai la porte de m es deux main s cr is
pées et éte ndues et je donnai un vio le nt tour
de clef,
fréné tique et les cheveux dr essés!
» Chose singulière, il me sem bla que tout
ce la ne faisait aucun bruit.
» C'était plus qu el' organisme n'en pouvait
su
pp o rt er.
Je m'éveillai.J'étais sur mon
séan t, dans mon lit, les bras tendus devant
moi ;
j'é tais g lacé; le front trempé de su eur ;
m on cœ ur frappait contre les par ois de ma
p oitrin e de g ros coups sombres.
» «
N'espère
pa s me
per s uader que tu n'as
connu de l'amour que
ces va ins abandons ...
»
NOTES DE L'ÉDITEUR
« Dépassant les apparences, il fait du conte
un e sorcellerie évocatoire et pratique l
'art
du symbo le.
Il a vo ulu su ggérer des
rapports intimes entre les choses, des
correspondances entre la natur e hum a
ine et
sa demeure , son vête ment , ses meubles et
objets fam
iliers, indiqu er ses lien s avec la
natur e, Je monde anim al et l e mond e
spiri tuel.
Non content de saisir les
comportements extérieurs des homme s de so
n époque, il a tâché de pénétrer leurs
a rrièr e-pens ées ;
il les a confrontées avec
les grande s loi s de la vie , de la mort et de
1
'au-delà .
Il a constamment rappelé que la
Terre est habité e
par des pa ssa nts égarés
e ntre l
'abîme de leur origine et celle de leur
avenir inconnu .
» Présent ation des Œuvres
de Villiers de l'Isle-d'Adam , A lan Raitt et
Pi erre- Georges Castex , Gallimard , 1986.
« Voici donc ce qu' il lui arrive tout à coup,
dix-sept ans après qu'
il s'est endormi .
La
Gloire vient, la gloire toute nue, sans aile ni
auréole , la gloire des mi sérable s.
Elle le tire
de son sé pulcre et dressant le cercueil, elle
en arrache les
planche s d'une irrésis tible
main ..
.
Le pauvre grand poète qui n'es t pa s
mort , pui sque nul ne peut mourir , entrouvre
l es yeux comme un criminel mal éveillé qui
se demanderait
si c'est l'heure de son
jugement ou ) 'heure de son supplice.
»
Léon Bloy, La Rés urr ection de Villiers de
L'I sle-Adam, 1906.
1 Photo de Loys Delteil , Goldner/S ipa lcono 2,3,4,5 Eaux-fortes de P.
Maurice Vigoure u x, Kieffer Libraire, 1925 VILLIERS DE L 'I SLE-ADAM 02.
»
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