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NOTES DE LECTURE : Gilles DELEUZE, Francis Bacon : Logique de la sensation

Publié le 23/07/2012

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La peinture de Bacon, à l’origine, apparaît proche de l’art égyptien car dans leur présentation, le fond et la forme sont rapportés par le contour sur le même plan de vision proche, haptique (du grec apto, « toucher «, qui ne désigne pas la relation extrinsèque de l’œil au toucher, mais une possibilité du regard, un type de vision distinct de l’optique). Cependant, son œuvre rencontre une catastrophe : la chute de la forme qui n’est plus l’essence mais l’accident de tout homme. Cette chute ne doit pas être comprise comme thermodynamique, de bas en haut, mais, comme le montre Kant quand il définit le principe de l’intensité comme une grandeur appréhendée à l’instant par son rapprochement à zéro ; elle est là pour affirmer une différence de niveaux. Cette chute brise l’unité du monde haptique au profit d’un monde tactile-optique : il y a plusieurs plans, la forme est projetée en avant-plan, ce qui affecte l’arrière plan qui s’enroule autour d’elle par une connexion tactile. Toutefois, Bacon brouille le monde tactile-optique au moyen du diagramme qui défait les coordonnées optiques et tactiles et constitue une zone d’indiscernabilité optique dans une catastrophe encore plus profonde que la précédente. La couleur en passant par le diagramme modèle la Figure. L’espace et le temps sont alors définis par deux éléments distincts, respectivement la lumière et la couleur, et c’est en cela que Bacon apparaît comme un coloriste.

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« le dit Paul Klee.

Le rôle de la peinture est de rendre visibles des forces invisibles.

Or la force est en rapport étroit avec la sensation.

La sensation a une réalitéintensive, le corps intense comme le peint Bacon est parcouru par une onde qui trace dans le corps des niveaux ou seuils d'après les vibrations de son amplitude : lasensation est la vibration et il faut qu'une force s'exerce sur un corps, sur un endroit de l'onde pour qu'il y ait la sensation que capte Bacon.

La fonction primordiale deses Figures est de rendre visible l'invisible.

Il les déforme mais c'est une déformation statique du corps subordonnée au mouvement, à la force.

Quand une forces'exerce sur la surface nettoyée de ses Figures, elle fait de cette zone une zone d'indiscernabilité commune à plusieurs formes.

Chez lui, tout est forces car le fond semet parallèlement en mouvement.

La déformation du corps chez Bacon, contrairement à l'opinion commune, n'est pas une torture mais la mise en scène de posturesnaturelles d'un corps qui se regroupe en fonction de la force exercée sur lui.

Il détecte trois types de forces invisibles : l'isolation visible quand les aplats s'enroulentautour du contour ; la déformation quand la tête se défait de son visage, le corps de son organisme ; et la dissipation quand la Figure s'estompe pour rejoindre l'aplat. Quand Bacon décrit sa peinture dans L'art de l'impossible, Entretiens avec David Sylvester, il dit qu'il veut faire « une sorte de peinture structurée dans laquelle lesimages surgiraient pour ainsi dire, d'un fleuve de chair.

[…] comme si c'était de flaques de chair que s'élevaient les images, si possible, de gens déterminés faisantleur tour quotidien.

[Il] essaye d'être capable de faire des figures surgissant de leur propre chair avec leurs chapeaux melons et leurs parapluies, et d'en faire desfigures aussi poignantes qu'une crucifixion.

» Il ne cherche donc pas à produire le sensationnel, la violence figurée mais il cherche à transmettre à travers des scènesbanales, le tour quotidien, la sensation, « peindre le cri plutôt que l'horreur ».

Bacon est cérébralement pessimiste mais nerveusement optimiste, il ne voit que leshorreurs du monde à peindre mais celles-ci prennent une autre dimension dans leur passage à l'état de sensation.

Bacon introduit dans sa peinture la notion d'hystériedont la définition en psychiatrie se retrouve dans de nombreux aspects de ses Figures comme les contractures et les paralysies, les précipitations et le retard (du grechysteresis), le caractère transitoire de la détermination des organes ou encore l'autoscopie, qui est le sentiment du corps senti sous l'organisme.

Quand il peint le cri, ilne cherche pas à figurer l'horreur mais les forces invisibles qui causent cette horreur.

Ainsi, quand le pape crie, il ne voit pas et ce sont les forces invisibles quiprovoquent son cri.

La bouche chez Bacon, comme moyen d'expression des forces et non comme simple organe, est aussi animée par le sourire, qui ne révèle pas unétat de bonheur mais est utilisé afin de permettre l'évanouissement du corps tout en survivant à l'évanouissement du reste du corps.

L'exemple du chat dans Alice auPays des merveilles de Lewis Carroll représente parfaitement l'utilisation du sourire par le peintre parce qu'alors que le chat a disparu, son sourire reste suspendu dansl'espace. Le rythme Enfin, la sensation passe nécessairement par le rythme du tableau.

Le rapport entre le rythme et la sensation met dans chaque sensation les niveaux par lesquels ellepasse.

La Figure est l'incarnation d'une sensation, elle est une vibration ; quand deux sensations se confrontent, il n'est plus question de vibration mais derésonnance entre deux Figures réunies par la même matter of facts ; et au sein des triptyques, forme d'œuvre où la nécessité de n'envisager toujours aucune relationnarrative doit être gardée en tête, le rythme prend une amplitude extraordinaire, dans un mouvement qui donne la sensation du temps au tableau.

La logique de lasensation réside dans les trois règles qui régissent le triptyque : la distinction de trois rythmes, de trois figures rythmiques ; l'existence d'un rythme témoin circulantdans le triptyque ; et la détermination des rythmes actif et passif.

Dans les triptyques, les figures sont séparées et le restent.

Il n'y a pas de progression mais un faitcommun.

Il y a là cependant trois rythmes : actif, passif et témoin.

Comme au théâtre, s'il y a trois personnages, l'un agit, l'autre subit et le troisième assiste à la scène.La fonction de témoin est primordiale, elle peut aussi bien être incarnée par une Figure que par un objet, comme une photo ou même le rond de la piste ; elle n'estabsolument pas spectateur, Bacon insiste même sur le fait qu'elle ne voit pas le reste du tableau, mais elle sert de mesure, de cadence.

Le rythme-témoin circule defaçon horizontale dans le tableau, la fonction témoin est d'abord sur les personnages apparents mais elle les quitte pour effectuer plus profondément un rythmedevenu lui-même un personnage.

Le témoin apparent fait place à un témoin rythmique qui devient tel quand la fonction lui arrive, libérant le témoin apparent pourd'autres fonctions.

Enfin, la détermination des rythmes actif et passif s'incarne dans la Crucifixion de 1965, avec l'opposition de la descente de la viande du corpscrucifié et de la contraction du corps du bourreau nazi. • L'ACTE DE PEINDRE Les clichés à combattre et le diagramme Le travail du peintre commence bien avant que la première touche soit apposée sur la toile : face à sa toile, il est confronté aux très nombreux clichés qui habitentcelle-ci.

Il ne peint pas pour reproduire un modèle sur la toile mais sur des images déjà présentes pour produire une toile qui va renverser les rapports du modèle et dela copie.

Ce sont des données figuratives qui encombrent la toile avant le début du travail, des moyens de voir, des illustrations comme des photographies, quiopèrent par analogie ou ressemblance, par code ou convention.

Bacon a avec la photographie un rapport proche de celui qu'il a avec le hasard, il s'abandonnelâchement à eux avant d'en sortir, de les rejeter.

Avant la peinture, tout est probable, toutes les places peuvent être occupées, cependant ce que le peintre a dans la têterend les probabilités inégales.

Il y a un ordre de probabilités égales et inégales dans la toile et dès lors que le peintre a une certitude de la probabilité inégale, il peutcommencer et le hasard agit alors pour que ce qui est peint ne soit pas un cliché : le hasard, sous forme de marques libres, accidentelles, n'est plus du tout unensemble de probabilités mais un type de choix d'action sans probabilité qui est manipulé car le peintre s'abandonne au hasard, passe dans la toile, conscient de cequ'il veut faire mais pas de la façon dont il y arrivera, et c'est en sortant de la toile qu'il trouvera ce moyen.

Son rapport avec le figuratif suit un schéma semblable : ily a un premier figuratif sur le tableau et dans la toile qui ne peut être totalement éliminé, un ensemble visuel probable qui est désorganisés par les traits manuels libresdu peintre qui font surgir la Figure visuelle improbable en se réinjectant dans l'ensemble.

Bacon appelle le diagramme, l'ensemble opératoire des lignes et des zones,des traits et des taches asignifiants et non représentatifs qui a pour fonction de suggérer des possibilités de fait dans le tableau.

C'est l'intrusion d'un monde dans unmonde visuel de figuration, un chaos, une catastrophe mais c'est aussi le germe de l'ordre et du rythme dans le tableau, ce qui termine l'acte préparatoire et commencel'acte de peindre.

« C'est comme le surgissement d'un autre monde.

Car ces marques, ces traits irrationnels, involontaires, accidentels, libres, au hasard.

Ils sont nonreprésentatifs, non illustratifs, non narratifs.

Mais ils ne sont pas davantage significatifs ni signifiants : ce sont des traits asignifiants.

Ce sont des traits de sensation,mais de sensations confuses […] Et surtout des traits manuels.[…] C'est comme si la main prenait une indépendance, et passait au service d'autres forces, traçant desmarques qui ne dépendent plus de notre volonté ni de notre vue.

» Francis Bacon et sa peinture La peinture de Bacon, à l'origine, apparaît proche de l'art égyptien car dans leur présentation, le fond et la forme sont rapportés par le contour sur le même plan devision proche, haptique (du grec apto, « toucher », qui ne désigne pas la relation extrinsèque de l'œil au toucher, mais une possibilité du regard, un type de visiondistinct de l'optique).

Cependant, son œuvre rencontre une catastrophe : la chute de la forme qui n'est plus l'essence mais l'accident de tout homme.

Cette chute nedoit pas être comprise comme thermodynamique, de bas en haut, mais, comme le montre Kant quand il définit le principe de l'intensité comme une grandeurappréhendée à l'instant par son rapprochement à zéro ; elle est là pour affirmer une différence de niveaux.

Cette chute brise l'unité du monde haptique au profit d'unmonde tactile-optique : il y a plusieurs plans, la forme est projetée en avant-plan, ce qui affecte l'arrière plan qui s'enroule autour d'elle par une connexion tactile.Toutefois, Bacon brouille le monde tactile-optique au moyen du diagramme qui défait les coordonnées optiques et tactiles et constitue une zone d'indiscernabilitéoptique dans une catastrophe encore plus profonde que la précédente.

La couleur en passant par le diagramme modèle la Figure.

L'espace et le temps sont alorsdéfinis par deux éléments distincts, respectivement la lumière et la couleur, et c'est en cela que Bacon apparaît comme un coloriste.

Dans le colorisme, la couleur estdécouverte comme le rapport variable dont tout le reste dépend ; ainsi la formule des coloristes explique que « si vous portez la couleur jusqu'à ses rapports les plusinternes (chaud et froid, expansion et contraction) alors vous avez tout.

» La modulation est alors indissociable du colorisme.

Bacon est considéré comme l'un desplus grands coloristes depuis Van Gogh et Gauguin.

Pour lui la couleur n'existe pas comme fondue mais comme deux modes de clarté, les plages de couleur vive etles coulées de tons rompus.

En outre, dans la peinture de Bacon, le rapport entre l'œil et la main est primordial : la ligne et la couleur dépendent du visuel tandis que letrait et la tache dépendent du manuel ; et ce rapport passe par des tensions dynamiques, des échanges organiques et des renversements logiques. Le travail de la couleur Les trois éléments de la peinture de Francis Bacon, la structure, le contour et la Figure convergent vers la couleur, et la modulation qui est le rapport entre les. »

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