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A partir de cet extrait des « Lettres persanes », analysez l'art du polémiste chez Montesquieu

Publié le 11/09/2014

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montesquieu

Usbek à Rhédi, à Venise

Je n'entends jamais parler de leurs libéralités, des grâces et des pensions qu'ils accordent, que je ne me livre à mille réflexions : une foule d'idées se présentent à mon esprit ; il me semble que j'entends publier cette ordonnance :

« Le courage infatigable de quelques-uns de nos sujets à

«   nous demander des pensions ayant exercé sans relâche

«   notre magnificence royale, nous avons enfin cédé à la

«   multitude des requêtes qu'ils nous ont présentées, les‑

«   quelles ont fait jusques ici la plus grande sollicitude du

«   Trône. Ils nous ont représenté qu'ils n'ont point manqué,

«   depuis notre avènement à la couronne, de se trouver à

«   notre lever ; que nous les avons toujours vus sur notre

«   passage immobiles comme des bornes ; et qu'ils se sont

«   extrêmement élevés pour regarder sur les épaules les plus

«   hautes Notre Sérénité. Nous avons même reçu plusieurs

«   requêtes de la part de quelques personnes du beau sexe,

«   qui nous ont supplié de faire attention qu'il est notoire

MONTESQUIEU                                                 10 1

«   qu'elles sont d'un entretien très difficile ; quelques-unes

«   même, très surannées, nous ont prié, en branlant la tête,

«   de faire attention qu'elles ont fait l'ornement de la cour

«   des rois nos prédécesseurs, et que, si les généraux de leurs

«   armées ont rendu l'État redoutable, par leurs faits militaires,

«   elles n'ont point rendu la Cour moins célèbre par leurs

«   intrigues. Ainsi, désirant traiter les suppliants avec bonté

«   et leur accorder toutes leurs prières, nous avons ordonné

«   ce qui suit :

« Que tout laboureur ayant cinq enfants retranchera journel‑

«   lement la cinquième partie du pain qu'il leur donne. Enjoi‑

«   gnons aux pères de famille de faire la diminution, sur chacun

«   d'eux, aussi juste que faire se pourra.

« Défendons expressément à tous ceux qui s'appliquent à

«   la culture de leurs héritages, ou qui les ont donnés à titre

«   de ferme, d'y faire aucune réparation, de quelque espèce

«   qu'elle soit.

« Ordonnons que toutes personnes qui s'exercent à des

«   travaux vils et mécaniques, lesquelles n'ont jamais été au

«   lever de Notre Majesté, n'achètent désormais d'habits à

«   eux, à leurs femmes et à leurs enfants, que de quatre en

«   quatre ans ; leur interdisons, en outre, très étroitement ces

«   petites réjouissances qu'ils avaient coutume de faire dans

«   leurs familles les principales fêtes de l'année.

« Et, d'autant que nous demeurons averti que la plupart

«   des bourgeois de nos bonnes villes sont entièrement occupés

«   à pourvoir à l'établissement de leurs filles, lesquelles ne se

«   sont rendues recommandables dans notre État que par une

«   triste et ennuyeuse modestie, nous ordonnons qu'ils atten‑

«   dront à les marier jusqu'à ce qu'ayant atteint l'âge limité

«   par les ordonnances elles viennent à les y contraindre.

«   Défendons à nos magistrats de pourvoir à l'éducation de

«   leurs enfants «.

 

A Paris, le 1er de la lune de Chalval, 1718.

Au milieu du texte, enfin, se

dresse un argument tout simple. Ici c'est un homme sensible qui parle, et non plus un notable engoncé dans la dignité de son milieu. Les sacrifices demandés au pays auront pour premières victimes ceux qui déjà ne mangent pas à leur faim, les enfants des familles les plus pauvres.

 

Voilà des idées sages, d'une sagesse un peu étriquée, mais à quelques détails près pleines de bon sens. Et c'est précisément ce qui devant un public frivole peut leur nuire. Montesquieu connaît ce public, toujours prêt à railler comme le fera le Don Salluste de Victor Hugo :

montesquieu

« MONTESQUIEU 101 « qu'elles sont d'un entretien très difficile; quelques-unes « même, très surannées, nous ont prié, en branlant la tête, « de faire attention qu'elles ont fait l'ornement de la cour « des rois nos prédécesseurs, et que, si les généraux de leurs « armées ont rendu l'État redoutable, par leurs faits militaires, « elles n'ont point rendu la Cour moins célèbre par leurs « intrigues.

Ainsi, désirant traiter les suppliants avec bonté « et leur accorder toutes leurs prières, nous avons ordonné « ce qui suit : « Que tout laboureur ayant cinq enfants retranchera journel­ « lement la cinquième partie du pain qu'il leur donne.

Enjoi­ « gnons aux pères de famille de faire la diminution, sur chacun « d'eux, aussi juste que faire se pourra.

« Défendons expressément à tous ceux qui s'appliquent à « la culture de leurs héritages, ou qui les ont donnés à titre « de ferme, d'y faire aucune réparation, de quelque espèce « qu'elle soit.

« Ordonnons que toutes personnes qui s'exercent à des « travaux vils et mécaniques, lesquelles n'ont jamais été au « lever de Notre Majesté, n'achètent désormais d'habits à « eux, à leurs femmes et à leurs enfants, que de quatre en « quatre ans; leur interdisons, en outre, très étroitement ces « petites réjouissances qu'ils avaient coutume de faire dans « leurs familles les principales fêtes de l'année.

« Et, d'autant que nous demeurons averti que la plupart « des bourgeois de nos bonnes villes sont entièrement occupés « à pourvoir à l'établissement de leurs filles, lesquelles ne se « sont rendues recommandables dans notre État que par une « triste et ennuyeuse modestie, nous ordonnons qu'ils atten­ « dront à les marier jusqu'à ce qu'ayant atteint l'âge limité « par les ordonnances elles viennent à les y contraindre.

« Défendons à nos magistrats de pourvoir à l'éducation de « leurs enfants ».

A Paris, le 1"' de la lune de Chal val, 1718.

INTRODUCTION Le Persan qui est censé écrire cette lettre n'a pas perdu son temps en visitant notre pays.

Cette ordonnance burlesque est un bon morceau de polémique à la française, cachant un raisonne­ ment précis sous la fantaisie et le badinage.

1.

IDÉES SÉRIEUSES Les deux développements contrastés qui la composent sont conduits par une même intention, qui n'est nulle part explicitée : la protestation contre la politique, inaugurée par Louis XIV,. »

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