Analyse linéaire "Le Dernier feu"
Publié le 22/05/2023
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8 – Colette, Les Vrilles de la vigne, « Le dernier feu », 1908
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Et les violettes elles-mêmes, écloses par magie dans l’herbe, cette nuit, les reconnais-tu ?
Tu te penches, et comme moi tu t’étonnes : - ne sont-elles pas, ce printemps-ci, plus
bleues ? Non, non, tu te trompes, l’an dernier je les ai vues moins obscures, d’un mauve
azuré, ne te souviens-tu pas ?… Tu protestes, tu hoches la tête avec ton rire grave, le vert
de l’herbe neuve décolore l’eau mordorée de ton regard… Plus mauves… non, plus
bleues… Cesse cette taquinerie ! Porte plutôt à tes narines le parfum invariable de ces
violettes changeantes et regarde, en respirant le philtre qui abolit les années, regarde
comme moi ressusciter et grandir devant toi les printemps de ton enfance !…i
Plus mauves… non, plus bleues… Je revois des prés, des bois profonds que la première
poussée des bourgeons embrume d’un vert insaisissable, - des ruisseaux froids, des
sources perdues, bues par le sable aussitôt que nées, des primevères de Pâques, des
jeannettes jaunes au cœur safrané, et des violettes, des violettes, des violettes… Je revois
une enfant silencieuse que le printemps enchantait déjà d’un bonheur sauvage, d’une triste
et mystérieuse joie… Une enfant prisonnière, le jour, dans une école, et qui échangeait des
jouets, des images contre les premiers bouquets de violettes des bois, noués d’un fil de
coton rouge, rapportés par les petites bergères des fermes environnantes… Violettes à
courte tige, violettes blanches et violettes bleues, et violettes d’un blanc bleu veiné de nacre
mauve, - violettes de coucou anémiques et larges, qui haussent sur de longues tiges leurs
pâles corolles inodores… Violettes de février, fleuries sous la neige, déchiquetées, roussies
de gel, laideronnes, pauvresses parfumées… Ô violettes de mon enfance ! Vous montez
devant moi, toutes, vous treillagez le ciel laiteux d’avril, et la palpitation de vos petits visages
innombrables m’enivre
Analyse
Introduction
Colette a 35 ans lorsqu’elle écrit ce récit, « Le Dernier Feu », qu’elle publie ensuite dans le
recueil Les Vrilles de la vigne.
Elle commence sans doute à se sentir vieillir et elle vient de
connaître une séparation douloureuse.
Après avoir été abandonnée par son mari, elle a une
relation amoureuse avec une femme à qui ce texte est dédié.
L’écriture et la plongée dans le
passé apportent à Colette un apaisement salvateur.
Cet extrait dévoile en effet une triple
célébration : celle de la femme aimée, celle de l’enfance et celle du printemps naissant.
Tout
commence avec une banale conversation entre les deux amantes à propos de la couleur des
violettes.
Lecture à voix haute du texte
Problématique proposée : Comment Colette parvient-elle à partager avec le lecteur la
beauté d’un moment précieux ?
Mouvements du texte :
1.
Un personnage peu heureux (l.1 à 9)
2.
Une dégustation unique (l.
9 à 18)
3.
La fin de l’expérience (l.18-21)
Et les violettes ellesmêmes, écloses par magie
dans l’herbe, cette nuit, les
reconnais-tu ? Tu te
penches, et comme moi tu
t’étonnes : - ne sont-elles
pas, ce printemps-ci, plus
bleues ? Non, non, tu te
trompes, l’an dernier je les
ai vues moins obscures,
d’un mauve azuré, ne te
souviens-tu pas ?…
Comment le lien amoureux et la tendresse sont-ils perceptibles dans ce premier
mouvement du texte ?
Passage = moment tendre entre Colette et amante Missy => Contemplent premières violettes du
printemps qui viennent d’apparaître durant la nuit.
Cette éclosion présentée manière méliorative : CC manière « par magie » (l.
1)
Complicité qui unit les deux femmes => question posée par Colette à Missy suppose
expérience partagée (« les reconnais-tu ? » l.
1-2) + similitude attitudes : « Tu te
penches, et comme moi tu t’étonnes » (l.
2).
Tutoiement = intimité relation + interrogation de Missy : « ne sont-elles, pas ce
printemps-ci, plus bleues ? » (l.2-3), sous-entend ensemble dernier printemps
Toutefois, parfois difficile d’identifier qui pose les questions, car dialogue rapporté manière assez
libre et elliptique sans mention nom locutrices.
Colette défend thèse violettes étaient « moins obscures, d’un mauve azuré » (l.
3-4) l’année
précédente
Relance Missy dernière interrogation totale « ne te souviens-tu pas ? » (l.4).
Tu protestes, tu hoches
la tête avec ton rire
grave, le vert de l’herbe
neuve décolore l’eau
mordorée de ton
regard… Plus mauves…
non, plus bleues…
Colette rapporte suite du dialogue sous forme de sommaire en juxtaposant 2 verbes
caractérisant attitude de Missy (« Tu protestes, tu hoches la tête » l.
4) et en abrégeant la
conversation en ne reprenant que des bribes suivies de points de suspension « Plus mauves...
non, plus bleues...
» (l.
5-6)
Cesse cette taquinerie !
Porte plutôt à tes narines
le parfum invariable de
ces violettes
changeantes et regarde,
en respirant le philtre qui
abolit les années,
regarde comme moi
ressusciter et grandir
devant toi les printemps
de ton enfance !…i
Met fin badinage amoureux // « taquinerie » impératif l.6 : « Cesse cette taquinerie ! ».
Echange
couleur violettes => éloge femme aimée : « le rire grave » (l.4-5) + regard : « le vert de l’herbe
neuve décolore l’eau mordorée de ton regard » (l.
5).
= fusion lyrique : éléments nature + corps => célèbre beauté couleurs printemps naissant + yeux
femme aimée.
Autre sens = odorat : « narines » (l.
6), « parfum » (l.
6), « respirant » (l.
7)
Couleurs violettes changeantes année sur autre mais parfum reste même,
«
invariable » (l.
7)
Antithèse : processus mémoire affective
= ramène Colette à année précédente, et encore plus loin.
Retrouve enfance en
respirant parfum violettes.
Bonheur éprouvé dans métaphore qui transforme violettes en « philtre qui abolit les
années » (l.
7-8).
Comprend mieux emploi nom « magie » l.1.
Impératif V « regarde », anaphore l.7 et 8 = invitation à partager voyage dans passé.
Réminiscence si vive => deux verbes hyperboliques « ressusciter et grandir » (l.
8) +
tournure exclamative pour évoquer pluriel tous printemps enfance.
Points de suspension confirment invitation à contempler printemps enfance s’adresse
aussi lecteur
Deuxième mouvement (l.
10 à 18) :....
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