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André GIDE : LES ATTENTES ... Les Nourritures terrestres

Publié le 30/06/2012

Extrait du document

gide

 

 

Nathanaël, je te parlerai des attentes. J'ai vu la plaine, pendant l'été, attendre, attendre un peu de pluie. La poussière des routes était devenue trop légère et chaque souffle la soulevait. Ce n'était même plus un désir; c'était une appréhension. La terre se gerçait de sécheresse comme pour plus d'accueil de l'eau. Les parfums des fleurs de la lande devenaient presque intolérables. Sous les soleil tout se pâmait. Nous allions chaque après-midi nous reposer sous la terrasse, abrités un peu de l'extraordinaire éclat du jour. C'était le temps où les arbres à cônes, chargés de pollen, agitent aisément leurs branches pour répandre au loin leur fécondation. Le ciel s'était chargé d'orage et toute la nature attendait. L'instant était d'une solennité trop oppressante, car tous les oiseaux s'étaient tus. Il monta de la terre un souffle si brûlant que l'on sentit tout défaillir ; le pollen des conifères sortit comme une fumée d'or des branches.- Puis il plut. J'ai vu le ciel frémir de l'attente de l'aube. Une à une les étoiles se fanaient. Les prés étaient inondés de rosée ; l'air n'avait que des caresses glaciales. Il sembla quelque temps que l'indistincte vie voulût s'attarder au sommeil, et ma tête encore lassée s'emplissait de torpeur. Je montai jusqu 'à la lisière du bois ; je m'assis ; chaque bête reprit son travail et sa joie dans la certitude que le jour va venir, et le mystère de la vie recommença de s'ébruiter par chaque échancrure des feuilles.- Puis le jour vint.

Les Nourritures terrestres, 1897

 

gide

« la sollicitation des sens, et, partant, à l'écoute du message dont ce texte est peut-être porteur, derrière des apparences violemment décoratives ...

Une évocation tendue Les deux paragraphes du récit poétique évoquent deux sites géogra­ phiques opposés, aux paysages nettement contrastés.

Le premier suggère l'Afrique, ses pistes ("la poussière des routes"), sa luminosité agressive ("l'extraordinaire éclat"), sa chaleur qui écrase tout ("Sous le soleil tout se pâmait"), ses habitations typiques ("la terrasse").

A cet exotisme répond, dans le second paragraphe, un paysage de l'Europe tempérée, suggéré par des éléments plus usuels pour le lecteur :"les pré:; /la rosée/le bois/chaque bête".

Aucun de ces lieux n'est nommé, comme :;'il s'agissait d'évoquer un climat, un univers.

Le même contraste se retrouve dans l'évocation de la nature et de la végétation :"les fleurs de la lande 1 les arbres à cônes 1 les conifères" évoquent un paysage aride, brûlé par la chaleur.

A l'opposé, le paysage occidental offre une végétation luxuriante et dense : "les prés inondés de rosée 1 la lisière du bois 1 les feuille~".

Aridité et luxuriance ne permettent pas au regard de se déployer de la même manière.

L'espace ainsi défini diffère du tout au tout : l'Afrique offre au regard des espace plans et infinis suggérés par "la plaine 1 les routt~s 1 la lande".

Inversement, la végétation européenne définit des espaces restreints, rigoureusement délimités, tels que "les prés" et le "bois".

Le regard ne peut plus se déployer, mais s'élever, dans cet espace structuré par les lignes verticales.

La perception du temps et de la durée reflète les oppositions consta­ tées dans la mesure de l'espace.

Les saisons contrastent vigoureusement: il est question de "l'été" et de "fécondation", puis dans le second para­ graphe, de "caresses glaciales" : opposition radicale que l'on retrouve à l'échelle de la journée.

Le premier paragraphe évoque le moment où le so­ leil est à son zénith :"sous le soleil 1 chaque après-midi 1 l'extraordinaire éclat du jour".

Selon une technique de clair-obscur frappante, le second paragraphe évoque la fin de la nuit, le moment indécis de "l'attente de l'au­ be": "les étoiles se fânaient 1 sommeil 1 torpeur /la certitude que le jour va venir".

"Puis le jour vint", nous dit-on enfin.

Et là se trouve le dénominateur commun des deux paragraphes, où se lit la même insistance sur l'attente.

Attente soulignée par l'étirement d'une durée grammaticalement marquée par l'emploi de l'imparfait; par, égale­ ment, de nombreux verbes d'état ("ce n'était 1 c'était") ; les volutes des longues phrases induisent un rythme lent.

Toutes les étapes temporelles sont minutieusement décomposées ; les répétitions du verbe "attendre" produisent des effets d'insistance.

Le temps s'étire ...

et cela rend plus frap- 115. »

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