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Architecture de La Modification de Butor

Publié le 23/01/2020

Extrait du document

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J’ai fait rentrer dans le premier passage C deux paragraphes au futur. Vous pouvez constater qu’il ne s’agit pas du même futur que celui que nous lisons à partir de « Vous allez arriver », que je place sous la rubrique A : d’abord ces anticipations A portent sur un futur assez prochain, ce qui n’est pas le cas des 3e et 4e paragraphes de la page 272, et surtout les anticipations A représentent toujours des images dont Léon Delmont essaie la vraisemblance en tâchant de se les figurer, alors que les futurs de la page 272 sont les conséquences d’un raisonnement : « Je continuerai par conséquent. » Cela dit ce chapitre est très simple : il commence par la suite habituelle, il a pour centre le C des pages 276 à 278 où se trouvent les grandes considérations politiques de Léon Delmont. De part et d’autre, à P5 répond P4 et à A répond P1, comme dans toute la fin du livre.

Une dernière remarque : le nombre des éléments d’un chapitre n’est pas tout à fait libre : il est évident qu’il doit être impair; mais en outre, l’élément C ne peut venir au centre que s’il y a 5, 9, 13, 17 ou 21 éléments.

Pour y voir clair, je vous propose de dresser le tableau suivant où les symétries et les parallélismes sautent aux yeux :

de faire davantage de kilomètres par page de roman : il est en gare de Gênes, vers 22 h 30, à la page 233, soit aux 2/3 du trajet quand le roman en est aux 4/5 de ses pages. Après quoi Léon Delmont dormant de plus en plus, nous fonçons vers Rome au cours du chapitre vin : six heures et demie de voyage en 34 pages ! Ces savants calculs vous semblent peut-être mesquins. Cependant nous sommes en droit de les faire à partir du moment où le roman prétend ne dérouler que le contenu d’une conscience.

Mais le déplacement dans l’espace va avoir deux avantages, dont l’un est capital. En premier lieu, le déroulement romanesque ne demandera aucun artifice de datation. Butor évite les ensuite et les le lendemain. Une fois pour toutes, on nous a fourni, avec l’horaire des chemins de fer, la correspondance entre l’espace, qui n’a aucune réalité pour nous, lecteurs assis dans nos fauteuils, et le temps qui seul nous importe. Il suffira donc à Butor de dire que Léon Delmont est à Dijon ou à Modane pour que nous suivions l’écoulement du temps. Pour des chronologies plus fines, Butor superposera un mouvement à un autre, par exemple pendant que le train roule, la lente translation du contrôleur de compartiment en compartiment (p. 56-57). Mais surtout ce déplacement du héros permet de conserver la solide base continue d’un temps que l’on parcourt comme un chemin, tout en bouleversant l’ordre chronologique du passé vers le futur. C’est un merveilleux procédé pour composer le roman sans violenter les habitudes du lecteur.

Et nous voici parvenus à l’architecture de La modification.

COMPOSITION

La modification est divisée en 9 chapitres distribués 3 par 3 entré 3 parties. Dans la ire partie, les chapitres sont de longueur croissante : 15, 24 et 40 pages dans le tirage en 10/18. Puis viennent' 3 chapitres d’égale longueur (31, 32 et 33 p.). Enfin les 3 chapitres de la 3e partie, de longueur décroissante, 38, 34 et 12 pages. La 3e partie est à peu près égale à la ire (84 p. contre 79), mais l’avant-dernier chapitre (34 p.) est nettement plus long que le 2e (24 p.). Ces mesures

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« Nous pouvons remarquer en outre que le déplacement du héros dans respace selon un horaire strict suscite quelque difficulté, s'il a des avantages que nous verrons·, plus loin.

La difficulté est la suivante : puisque l'on prétend nous donner le flux même d'une conscience, notre lecture devrait durer le .temps d'un parcours de Paris à Rome, et en plus devrait se faire au même rythme que ce flux d'états de conscience, parfaitement chronométré.

Or il n'en est rien : nous mettons six heures -à lire de suite La modification; nous sommes loin des ving~ et une heures trente-cinq du trajet.

L'écart est estompé 'Pllr ·deux moyens, ·l'indétermination du temps que Léon Delmont passe hors du compartiment, et l'indé­ termination du··temps pendant lequel il dort.

Vous avez sans doute vu que le texte nous donne la vie de Léon Delmont seulement dans le compartiment; les blancs qui séparent les parties et les chapitres sont occupés par les moments où il quitte sa place.

Vraisemblablement, ces blancs repré­ sentent quatre heures et demie au plus.

Notre homme aurait donc dormi plus de dix heures; il aurait fait, en plusieurs fois, une bonne nuit ! ce qui n'est pas.

En cherchant encore davantage à couper les cheveux en quatre, on s'aperçoit que le débit du roman devient de plus en plus rapide au fil des pages: par exemple nous repartons de Dijon à 11 h 18, page 97 : il nous a fallu lire r/3 du volume pour faire 1/7 du voyage.

Il est 15 h 30 à la page 156 : nous avons dépassé la moitié du volume et nous ne sommes qu'au tiers du voyage, la vitesse du roman a encore diminué.

Heureusement car cela réduit le décalage entre la durée de la méditation de Léon Delmont dans son compartiment et le temps de notre lecture.

Cette lenteur est due à ces descrip~ions minutieuses des choses et des gens qui donnent tant de ressemblance -superficielle -entre les œuvres de Robbe-Grillet et le début de La modification ..

On a reproché à ces descriptions d'être plus longues que l'examen que le personnage fait de l'objet; cela ne me paraît pas bien juste puisque la len­ teur de débit du texte traduit la lenteur d'une contemplation fascinée.

Cependant le roman se précipite à partir du milieu, d'une part grâce à la disparition des descriptions de menus objets, d'autre part grâce aux moments d'inconscience de Léon Delmont dont les sommeils commencent, semble-t-il, page 202, au début du chapitre vn, ce qui permet au train - 50 -. »

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